
© Julian Sander
Michael Somoroff est le fils du célèbre photographe Ben Somoroff. Il grandit donc dans les studios photos. Il plaisante souvent en constatant que la question n'est pas tant comment il est devenu photographe, mais plutôt pourquoi il n'a pas choisi une autre voie.
Depuis qu'il est jeune, la photographie lui est complètement naturelle. Il aime beaucoup son père dont il est très proche, et avec qui il travaille depuis son enfance. Néanmoins, Michael Somoroff pense un moment à être peintre, et cet intérêt pour un nouvel art lui sert beaucoup dans sa création photographique.
Il y a quelques années, Michael Somoroff redécouvre d'anciens tirages. Parmi eux, de sublimes portraits de célèbres photographes réalisés il y a trente ans. Ces clichés n'ont jamais été exposés ou publiés jusqu'à présent. Avec la collaboration des éditions Damiani, le photographe américain prend donc la décision de dévoiler ces portraits au grand jour. C'est ainsi que sort aujourd’hui un très bel ouvrage regroupant ces photos étonnantes et rares. La sortie de ce livre est accompagnée d'une exposition a la galerie Art District.
Andreas Feininger, New York City, 1980 © Michael Somoroff
Pouvez-vous me raconter ce qui vous a conduit à immortaliser tous ces photographes ?
Je connaissais beaucoup de ces personnes. J'ai grandi avec elles, et travaillé pour elles.
Mon père était connu pour ses natures mortes, et moi, j'étais jeune, j'avais la vingtaine, et il me semblait important de trouver mon propre truc. J'ai grandi dans les studios, je connaissais très bien la photographie. Mais, il aurait été dur de sortir de l'ombre si j'avais fait les mêmes choses que mon père. Je cherchais donc à faire ce qu'il n'avait jamais réalisé. Il n'a jamais pratiqué le portrait.
J'ai donc fait des portraits de personnes qui n'étaient pas si connues. Si vous allez dans la section « portraits » de mon site internet, vous pouvez voir les premières photographies que j'ai réalisées. Mais bien sûr, le grand intérêt du portrait est de photographier les personnages importants de la société. Cependant, je ne connaissais personne, et nul n'allait me donner de travail qui m'aurait permis de capturer ces célèbres personnes. J'avais seulement vingt ans.
Néanmoins, je connaissais ces photographes, et ils étaient connus ! Il est donc devenu facile pour moi, de commencer à photographier ces célèbres personnages. La série a débuté avec Frances McLaughlin-Gill. Mon père connaissait son mari qui était mort de nombreuses années auparavant. Son nom était Leslie Gill, et je l'admirais beaucoup. C'était donc la façon la plus appropriée de débuter cette série, car cela renvoyait à mes racines. Puis, le second portrait a été celui de Cornell Capa. Il venait de fonder Le Centre international de la photographie, et c'est donc le premier lieu où j'ai exposé. J'avais 21-22 ans. Un jour, Cornell m'a appelé, et il m'a demandé de faire un cliché de son chien. J'ai trouvé cela amusant, et je lui ai répondu que la plupart des photographes auraient été vexés qu'il les appelle pour réaliser un portrait de son chien. Il m'a répondu que moi je ne le serai pas car il m'avait offert ma première exposition, et que j'allais donc le faire pour lui. Il avait raison ! Alors je l'ai fait, et ensuite, bien sûr, puisque j'étais à son studio, je l'ai lui aussi photographié. Une fois que j'ai donc eu réalisé le portrait de Cornell, j'ai eu l'idée de faire les autres. Ainsi, durant les six ou sept années qui ont suivi, j'ai photographié tous les autres. Mais ça n'a jamais été un projet. Ce n'était pas mon idée de faire un livre, ou autre chose. Je n'avais pas vraiment d'idée, je voulais juste photographier toutes ces personnes.
Qu'est ce qui était intéressant pour vous dans le fait de photographier tous ces photographes ?
C'est une question intéressante. Je dois faire attention à ma réponse car je suis moi-même photographe.
Je pense que l'une des qualités d'un photographe est de savoir comment disparaître. Un photographe n'est pas un bon voyeur. Il est actif. Il participe toujours à ce qu'il est en train de photographier. Il fait partie des évènements. Cette idée a eu beaucoup d'effets sur moi. Faire partie des choses, plutôt que d'être une individualité est crucial.
Ces photographes savaient qu'ils devaient disparaître, mais je trouvais intéressant de les exposer. Prenons l'exemple de Brassaï. Tout le monde connaît ses photos, mais personne ne sait à quoi il ressemblait, ou qui il était. Et lorsque je vois mon portrait de Brassaï, je comprends pourquoi il a réalisé des photos comme il l'a fait. D'une certaine façon, il ressemble à ses photos. C'est ce que je trouve intéressant.
N'y a t-il pas quelque chose de paradoxal dans le fait de photographier des photographes ? Etait-ce une démarche facile ?
Et bien, toute ma vie est un paradoxe.
Ce n'était pas une démarche facile, c'était un procédé terrifiant. Tout d'abord, lorsque vous aimez quelqu'un, vous ne voulez pas le décevoir. Et j'aimais tous ces personnages, ils étaient mes héros. Vous pouvez imaginer : vous avez vingt ans, et vous réalisez une photo de Brassaï. Il est un Dieu pour vous ! Si vous réalisez une mauvaise photo, c'est un désastre ! Donc, je venais à chaque séance avec beaucoup de pression.
Je peux vous dire que je suis moi-même surpris par les images. Je sais que mon travail a de la valeur, lorsque je suis moi-même l'audience, le voyeur. Car cela veut dire que mes œuvres sont assez fortes pour avoir leur propre vie. J'ai quatre enfants, et le plus vieux a 19 ans. Il n'est pas mon fils, il est un homme indépendant, avec ses propres idées, et sa propre vie. Cela arrive à travers vous, et non pas grâce à vous. Cela est possible lorsque vous vous oubliez vous-mêmes. Toutes les belles choses peuvent arriver lorsque vous vous oubliez vous-mêmes. Ainsi, lorsque je regarde ces images, je les regarde comme vous le faîtes. Je ne les observe pas en tant que leur créateur, ou en tant que leur parent. C'est ainsi que je sais qu'elles sont réussies, parce qu'elles ont leur propre vie.
Duane Michals, New York City, 1980 © Michael Somoroff
Pourquoi ce livre n'est-il jamais sorti avant, et pourquoi maintenant ?
C'est une bonne question. Tout d'abord, j'ai toujours eu beaucoup de projets en cours. Je suis un homme occupé, et je suis constamment en direction de mon prochain projet. Je suis une personne créative. Et puis, ces photos étaient très personnelles, car nombreux d'entre eux étaient mes professeurs. De plus, il y avait une certaine intimité dans cette série.
Dans le même temps, j'avais d'autres projets, je démarrais à peine ma carrière de photographe commercial. Je commençais tout juste à percer dans les magazines. Et puis pour moi, cette série parlait de ma relation avec mes professeurs, avec mes héros. Ce n'était pas quelque chose destiné au public, et je n'ai jamais pensé que ça pouvait l'intéresser. Or, je ne fais pas de projet qui n'intéresse pas les gens. Je suis assez créatif pour penser à des projets qui vont probablement intéresser le public. Et puis, j'aime les gens, j'aime travailler avec eux.
J'ai réalisé la dernière photo en 1986, et puis je me suis dirigé vers la direction de films, ce qui est une autre carrière. J'ai quelque peu délaissé la photographie en tant que préoccupation quotidienne. Je n'ai jamais complètement arrêté, mais j'avais beaucoup de travail. Puis, il y a trois ans, j'ai commencé à archiver mon travail publié. Mais, j'ai eu l'idée d'archiver avec celui-ci mon travail personnel. La personne qui archivait a découvert ces clichés de photographes, et a été impressionnée. Il lui a semblé regrettable que ce travail n'ait jamais été montré, et elle m'a incité à faire quelque chose. Dans un premier temps, j'ai donc décidé de les imprimer. J'ai d'abord tiré le cliché de Frances McLaughlin-Gill, et je l'ai trouvé très beau. J'ai donc apporté tous les autres clichés à l'imprimeur. Lorsqu'il a regardé les négatifs, il a été totalement choqué. Il m'a demandé si je réalisais que toutes ces personnes étaient mortes. Je n'ai pas compris au départ ce qu'il voulait dire par là, mais il a insisté et m'a assuré que c'était très important. J'ai donc commencé à demander à des musées, à des conservateurs et des personnes dont je respecte l'opinion, ce qu'ils en pensaient. Ils avaient tous le même avis, à savoir qu'il s'agissait de photos importantes. J'ai par la suite reçu un appel d'Andrea Albertini, le propriétaire des éditions Damiani, et il m'a appris qu'il souhaitait voir les clichés. A l'époque, je lui expliquais que je n'avais que quatre portraits, mais il a insisté pour venir les voir. Lorsqu’il est arrivé, il a immédiatement déclaré qu'il voulait faire un livre, et qu'il s'agissait d'un projet incroyable. Je lui ai répondu pourquoi pas ? Et Nous avons fait ce livre.
Lesquels de ces photographes vous ont inspirés ?
Ils m'ont tous inspiré de manière différente. Je les admirais tous énormément, et ils m'ont appris des choses différentes. Mais j'ai pris de chacun d'entre eux.
Horst P. Horst, Oyster Bay, New York, 1980 © Michael Somoroff
Quel est votre meilleur souvenir de ces séances de photos ?
J'ai beaucoup de souvenirs car j'adore faire des portraits. En réaliser, c'est comme faire l'amour. Il s'agit d'une collaboration, ce n'est jamais la photo de quelque chose, mais la capture d'une relation. La clé de quoique ce soit de valeur dans la vie, c'est la relation que l'on entretient avec une autre personne. Dans ma vie, il y a très peu de choses qui soient plus intimes que de prendre des photos avec mon appareil. Le portrait est une expérience intéressante, car je suis à la fois dans, et obervant la danse.
Il s'agissait de collaborations, de découvertes de procédés créatifs mutuelles. Il n'y avait pas de formule. Par exemple, la photo de Brassaï a été réalisée dans les escaliers de sa maison. Celle de Newton, dans sa cuisine. Art Kane a été photographié dans mon studio, et Jeanloup Sieff dans le sien. Les portraits ont donc été produits dans différentes circonstances. Il y a beaucoup d'aspects dans ces photographies. Donc bien sûr, j'ai beaucoup d'histoires, j'en ai pour chacun des portraits. Choisissez-en un, et je vous raconterai l'histoire.
Alors quelle a été l'histoire du portrait d'Helmut Newton ?
Je ne connaissais pas personnellement Helmut. Nous avions des amis en commun. Il était proche de Ralph Gibson, qui a été l'un des premiers que j'ai photographiés. Il avait travaillé avec mon parrain, Henry Wolf, qui était le directeur artistique du Harper's Bazaar. Et lorsque Helmut est venu à New York, il a été introduit auprès de personnes que je connaissais. Helmut était une superstar, il m'était donc impossible de ne pas le photographier. Je vivais en Europe depuis dix ans, en Allemagne. Je suis donc allé voir Helmut à Monaco, et il a accepté de me laisser faire ce portrait. D'ailleurs, l'une des choses intéressantes dans cette série, est qu'ils ont tous accepté. C'est complètement fou lorsque vous y pensez. Pourquoi ont-ils tous accepté ? Je n'étais rien !
Nous étions donc avec Helmut autour de la piscine, puis nous sommes montés à son appartement. Nous parlions d'équipement photographique. Nous nous sommes assis dans la cuisine, la lumière venait de la fenêtre, et j'ai commencé à photographier. Le portrait exposé est le dernier de la série. Puis, Helmut s'est demandé pourquoi il passait son temps avec un jeune gosse de New York, alors qu'au même moment, il pouvait être avec de belles femmes. Ca n'avait plus de sens pour lui! Il s'est donc levé et ça a été la fin. Avec le recul, je me dis qu'il avait raison.
Helmut Newton, Monaco, 1983 © Michael Somoroff
Quels sont vos futurs projets ?
J'ai beaucoup de futurs projets. Avoir monté celui-ci m'a rappelé que j'adore faire des portraits. J'en fais donc beaucoup à nouveau, et c'est génial ! Je commence donc de nouvelles séries de portraits, sur différents sujets. Et puis, je travaille aussi avec les nouveaux médias, et je fais beaucoup d'installations vidéos. Je trouve cela intéressant. Je travaille donc actuellement sur deux grands projets. Enfin, j'aimerais travailler à nouveau avec des magazines.
Jeanloup Sieff, Paris, 1983 © Michael Somoroff
Propos recueillis par Adèle Latour