Marc Riboud commence la photographie à 14 ans, lorsque son père lui offre un appareil Vest Pocket. Tout d'abord une passion qu'il pratique en parallèle de son métier d'ingénieur, la photographie devient son occupation principale à partir de 1951 : alors âgé de 28 ans, il oublie de rentrer d'un festival de Lyon qu'il souhaite immortaliser !
Issu d'une famille bourgeoise lyonnaise, il a la chance de rencontrer deux des créateurs de Magnum Photos, Henri Cartier-Bresson et Robert Capa. Ils deviendront très vite ses mentors. Ils perçoivent le talent inné de Marc Riboud : ils l'envoient tout d'abord à Londres, « pour voir les filles et apprendre l'Anglais ». Il n'apprendra pas l'anglais, mais photographiera jusqu'à se fondre dans le paysage londonien et capter la vérité qui s'y dégage.
Commence alors un désir, une passion, un besoin du voyage : à partir de 1955, il part « vers l'orient » au volant de sa vieille Land Rover, dans un ailleurs où peu d'occidentaux ont mis les pieds, et encore moins de photographes ont transporté leur appareil. Pendant trois belles années, il sillonne la Turquie, l'Iran – l'Afghanistan - le Pakistan, l'Inde, la Chine et le Japon, armé de son appareil photo. Pourquoi ces destinations exotiques ? Parce qu'il avoue avoir « toujours été fasciné par l'Asie, car elle a longtemps gardé sa propre identité, à un moment où l'Europe, l'Amérique et même l'Afrique changeaient ».
Les Editions Xavier Barral rassemblent les beaux clichés de ce long voyage initiatique dans un coffret de cinq ouvrages, Vers l'Orient. Entre émerveillement de la beauté du temps passé et intemporalité des clichés, Marc Riboud offre cinq véritables carnets de bord de son voyage d'exception.
Turquie © Marc Riboud.
Par où commencer ? Cela n'est pas facile de répondre à cette question, tant l'intégralité de l'ouvrage donne envie au spectateur curieux !
Chine © Marc Riboud.
Dans un coffret au visuel intriguant, cinq livres se détachent, un pour chacun des voyages du photographe. Les couvertures sont toutes d'un bleu subtil, entre le bleu outremer et le bleu saphir, comme une invitation au dépaysement. Par contre, le dessin diffère à chaque fois pour mieux illustrer la beauté et la culture propre à chaque pays.
Marc Riboud est un grand amoureux des lettres, à tel point qu'il affirme que « l'exercice de la plume, c'est (son) école buissonnière ». Pour autant, dans ce coffret, les mots s'effacent, ils n'ont pas lieu d'être tant la beauté des clichés parle d'elle-même. L'image parle à tous, contrairement aux discours qui peuvent se heurter à la frontière de la langue. Seule une introduction générale du photographe lui-même explique à la perfection sa démarche. Pas besoin de plus.
Iran © Marc Riboud
Chaque cliché donne intrinsèquement son histoire. Marc Riboud ne traduit pas la misère qu'il voit par une mise en scène pleine de pathos, mais au contraire tente d'accéder à une sensibilité grâce aux détails qu'il glisse dans ses clichés. Selon lui, « si l'on veut bien voir, inutile de se fondre dans ce que l'on regarde. Car si l'on devient l'autre, comment avoir la surprise de l'autre ? » Le cadrage est intéressant dans ce sens : l'oeil du photographe fait face aux modèles. Il ne montre jamais ce que la population regarde ou s’apprête à faire : au contraire, Marc Riboud montre leurs visages, leurs expressions.
Loin d'être dans le voyeurisme gratuit, Marc Riboud partage ses coups de cœur, ses rencontres, ses aventures extraordinaires à travers ses clichés. Il va cependant plus loin : les personnes seules, détachées de leur univers, n'ont pas d'intérêt. Le paysage, le ciel, l'eau viennent ancrer la population dans leur réalité.
Afghanistan © Marc Riboud.
Souhaitant fuir le souvenir douloureux de la seconde guerre mondiale durant laquelle il était résistant, Marc Riboud ne montre jamais de violence dans ses clichés. Son regard est toujours bienveillant. Si sa photographie la plus connue est surement La fille à la fleur, prise en 1967 lors d'une manifestation pacifique à Washington contre la guerre au Viet-Nam, la non-violence se retrouve déjà dans ses voyages en Orient. Par exemple, de la Chine communiste et dictatoriale dirigée par Mao, Marc Riboud préfère mettre en avant la population : aucune image des militaires qui maintiennent l'ordre.
Aller ainsi en Asie dans les années 50 est très rare, les photos de Marc Riboud sont donc une part du passé, une marque du temps qui passe. Le photographe a immortalisé en noir et blanc ce lieu où « le temps n'était pas compté », mais qui est en pleine mutation. Marc Riboud l'affirme : « Si la photographie ne peut changer le monde, elle peut montrer le monde quand il change ». Ceux qui connaissent l'Orient d'aujourd'hui découvriront, derrière occidentalisation croissante, le fil caché de l'intemporalité.
Inde © Marc Riboud.
Henri Cartier-Bresson, dans une litote pleine d'humour, concèda que Marc Riboud n'est « pas le plus mauvais des presse-boutons ». Ce dernier le prouve dans ce coffret prestigieux. Si, « d'une façon générale, (sa) démarche n'a jamais été réfléchie », le spectateur n'a pas non plus à tergiversez pour comprendre que ce livre est idéal pour tous les amoureux de la photographie et du voyage.
Vers l'Orient – Marc Riboud
18,7 x 20 – 60 pages chacun – Reliés sous coffret – 220 photographies noir et blanc
Editions Xavier Barral
55 euros
Claire Barbuti.
Japon © Marc Riboud.