Autoportrait © Louis Jammes
Né en 1958, Louis Jammes est au départ un artiste issu de la « Beat Generation ». Son parcours commence dans les années 80, avec, entre autres, son ami Combas. Il photographie les artistes phares de cette époque, tels que Basquiat, Andy Warhol, ou encore Keith Haring. Après cela, il est descendu dans la rue, planter son décor. Puis il a décidé d'aller sur les lieux de conflit, mais pas comme reporter d'information : « Il ne cherche pas à nous livrer des informations ou à expliquer l'origine d'un conflit ; il regarde les gens vivre et les gens mourir, les gens tuer d'autres gens, l'humanité qui s 'effondre cherchant à saisir ce qui ne se saisit pas : le moment où tout bascule, où tant de haine enfouie soudain ressuscite. Où nous devenons bêtes traquées, victimes d'autres bêtes prédatrices, tueurs et tués piégeurs et piégés, violeurs et violés ? ».
A l'occasion du Mois de la Photo à Paris, Louis Jammes expose à la galerie RX tout un panel d'oeuvres ecclectiques qui retracent son travail.
Garçon des rues. Place Tahrir, Le Caire, Juillet 2012 Impression jet d’encre 70 x 70 cm © Louis Jammes
Quand et comment avez-vous décidé de partir en reportage à l'étranger ?
Il y a eu un événement majeur dans ma vie, comme dans la vie de pas mal de gens qui rendent compte du monde, qui représentent le monde, c'est Sarajevo. Donc comme beaucoup de gens, en étant photographe, je me suis senti concerné, nous sommes là pour représenter notre époque.
Je suis parti à Sarajevo. J'y suis allé plusieurs fois pendant le siège, fin 92-93, où j'ai photographié les gens, beaucoup d'enfants. J'ai superposé cela en deux couches, où je gratte l'image, où je dessine, où j'utilise des produits chimiques, pour inscrire un peu ma petite histoire à moi, ma subjectivité par rapport à des évènements. Donc j'ai transformé les personnages que je photographiais en anges, sorte d'anges. J'ai tiré des sérigraphies grandeur nature et je les ai collées pendant le siège sur les murs de Sarajevo.
En Egypte en 2011, j'ai un peu renoué avec cela. Là-bas, il n'y avait pas de graffitistes sous Moubarack, et en même temps que la révolution a émergé un peu dans tous les pays arabes je crois une génération d'artistes de rue, de graffitistes, qui racontent, assez 1er degré la révolution sur les murs du Caire, dans un endroit assez précis, la place Tahrir, où la révolution s'est déroulée. Il y a là-bas une avenue qui prolonge la place Tahrir, qui est investie sur 4-5 blocs par des artistes de rue qui m'ont fait une place, donné un mur sur lequel j'ai collé certaines des photos qui sont exposées aujourd'hui.
De l’autre coté du monde. Beni Tajjite, Maroc, Septembre 2011 Impression jet d’encre 32 x 42 cm © Louis Jammes
Comment les gens réagissent-ils quand ils voient vos images sur les murs de leur ville ?
Ils étaient contents. Il y a une sorte de code là-bas, c'est intéressant de voir comment, avec la révolution, est née cette génération d'artistes graffitistes qui sont vraiment investis, et qui sont une part de la révolution, et qui sont vraiment, je pense, respectés par les gens de la rue sur place.
Comment est né cette idée de collaborer avec Robert Combas sur des œuvres artistiques ?
Dès le départ, quand j'ai commencé à faire ces premiers travaux de portraits dont je vous parlais, de Warhol, ou de Combas, je peignais des fonds dans lesquels je plongeais mes portraits. Il y avait déjà une sorte de collaboration avec eux, Warhol me faisait des dessins à la craie que je superposais avec la photo, jusqu'à Combas qui pouvait dessiner entièrement sur une photo comme sur celle qui s’appelle La bataille, et dans laquelle c'est lui qui a peint le décor.
L’origine du monde. Beni Tajjite, Maroc, Septembre 2011 Impression jet d’encre 32 x 42 cm © Louis Jammes
C'est quelque chose que nous avons pratiqué depuis le début, et cette collaboration s'est développée sur très longtemps, une quinzaine d'années, où il m'a donné des dessins que j'ai intégré aux photos, et il intervenait dessus ect... Ca s'est fait vraiment sur du long terme.
Comment cela se passe-t-il ? Est-ce que vous êtes ensemble quand vous réalisez vos œuvres ?
Parfois il me donne des dessins, et je les retravaille seul dans mon propre atelier. J'en fais des images, que je ré-agrandi, puis je lui renvoie dans son atelier. Il n'y a jamais aucune question, on en parle pas, chacun fait son travail dans son coin et voilà.
Au fond du noir. Beni Tajjite, Maroc, Aout 2011 Impression jet d’encre 32 x 42 cm © Louis Jammes
Etes-vous toujours content du résultat ?
Je ne me pose jamais la question à vrai dire ! On en a pas fait beaucoup, et ce n'est pas quelque chose que l'on réalise pour une commande. Les choses étaient là, et ce sont faites. C'est lorsque nous sommes arrivés au bout du processus que nous nous sommes dit qu'en fait ce n'était pas mal et qu'on devait le montrer !
De l’autre coté du monde. Place Tahrir, Le Caire, Juin 2012 Impression jet d’encre 32 x 42 cm © Louis Jammes
Les formats de vos œuvres sont souvent très différents, de très grands ou de beaucoup plus petits formats, est-ce un choix ?
Oui il y a un choix. D'abord, certaines sont de l'argentique (les grands formats), d'autres du numérique (la plupart des petits formats). J'avais l'habitude de travailler avec des polaroid que je grattais, j'ai longtemps travaillé comme ça, ça me permettait d'échanger avec des gens, des enfants, je leur donnais la photo. Maintenant que les polaroid n'existent plus – enfin ces films là – j'ai trouvé une sorte de système avec l'ipad et le numérique. Avec des petits programmes, on peut dessiner directement sur l'image numérique. Ca me plaît aussi, j'ai cherché une solution qui ressemble, qui me donne à peu près la même liberté, et l'avantage de l'ipad c'est que c'est petit, on peut le transporter partout.
Vous utilisez toujours le noir & blanc : pourquoi ?
Ces derniers temps je me suis un peu ouvert à la couleur. Certaines images de cette exposition, je les ai tirées en 3m X 3m, que j'ai collé dans les rues du Caire, et en les re-photographiant in situ, la nuit, avec les éclairages soliums de la ville, ça donne une image un peu dorée qui rappelle les couleurs des pharaons, celles de l'Egypte. C'est une sorte d'ouverture sur la couleur, je vais certainement continuer un peu. Ca m'intéresse de traiter la couleur.
Installation 3. Mohamed Mahmoud street, Le Caire, Aout 2012 Tirage Argentique 125 x 125 cm © Louis Jammes
Y a-t-il des « maîtres » photographiques ou artistiques qui vous ont poussé plus que d'autres à en faire ?
J'étais fan des films de Cocteau, de la lumière de ses films.
Man Ray, bien sûr, et la photographie en général.
Des projets à venir ?
Je vais continuer un peu le travail au Caire, donc j'ai le projet de retourner là-bas.
Installation 4. Mohamed Mahmoud street, Le Caire, Aout 2012 Tirage Argentique 125 x 125 cm © Louis Jammes
Propos recueillis par Claire Mayer