Felix Thiollier - Etang à Mornand, Forez (Loire), 1900-1910 Collection Julien-Laferrière, Paris © Musée d'Orsay.
Thomas Galifot débute sa carrière en 2007 au musée Picasso de Paris, après une formation de conservateur menée en partie auprès de Dominique de Font-Réaulx, conservatrice photographie au musée d’Orsay. C’est en 2008 qu’il lui succède. « La photographie, c’est un goût personnel et un intérêt d’historien, à la fois pour l'histoire de l’art et pour l'histoire propre de la photographie ».
Rencontre avec Thomas Galifot dans la cadre de la nouvelle exposition du musée d’Orsay consacrée à Félix Thiollier du 13 novembre 2012 au 10 mars 2013.
Pourquoi avoir choisi de présenter une exposition sur Félix Thiollier ?
L’idée d’une exposition du travail photographique de Félix Thiollier date de 15 ans environ. Elle a été nourrie par Françoise Heilbrun, conservatrice en chef au musée jusqu’en 2011.
L’exposition a été programmée ensuite. Mon travail dans sa préparation a été facilité par les liens étroits qui unissaient le musée, en la personne de Françoise Heilbrun, et les héritiers du photographe.
Félix Thiollier (1842-1914), Portrait de quatre jeunes soeurs, 1875-1880
Collection Julien-Lafferrière © Musée d'Orsay.
Est-ce la première exposition sur ce photographe ?
C’est la première monographie parisienne consacrée à Félix Thiollier. Il y avait déjà eu en 1995 une exposition au musée d’art moderne de Saint Etienne, la ville natale du photographe.
L’exposition au musée d’Orsay a pour spécificité de montrer son travail depuis ses débuts vers 1860 jusqu’à sa mort en 1914.
Comment s’organise l’exposition ?
Elle s’organise comme souvent de manière chronologico-thématique.
Le parcours commence avec les premières photographies attestées de Thiollier.
Assez vite, la chronologie passe au second plan, pour la simple raison qu’il est difficile de dater précisément nombre des images, mis à part celles publiées dans ses ouvrages. J’avais l’espoir, pour les grandes épreuves 30x40 cm au gélatino-bromure d’argent, de pouvoir affiner la chronologie. Heureusement j’ai trouvé des indices dans les archives pour le faire pour certaines épreuves. Pour les autres, une part que j’aurais souhaité voir diminuer davantage, la datation reste volontairement large afin de laisser le champ ouvert, ne pas figer les choses et me donner/donner à d’autres la possibilité d’y revenir.
L’exposition vise surtout à mettre en lumière la spécificité et l’évolution du regard photographique de Félix Thiollier : la manière dont ce regard est, jusqu’au 20e siècle, conditionné par le concept de pittoresque, mais aussi en quoi le moyen d’expression adopté de manière privilégiée, qui n’est ni la peinture, ni le dessin, ni la gravure, fait précisément évoluer cette conception du pittoresque.
Thiollier, c’est l’un de ces nombreux bourgeois cultivés, peintres de peu de talent, que compte l’histoire de la photographie. C’est entre autres son ami le peintre Ravier, d’une objectivité
implacable, qui l’a décidé à abandonner cette voie.
Thiollier a affirmé : « Je n’ai pas à faire le procès de la photographie et je suis le premier à reconnaître les services qu’elle rend dans certains cas, à l’artiste comme à l’archéologue. Mais en somme elle peut toujours être définie : une bête qui a de bons yeux et qui souvent s’en sert mal ». Thiollier, qui avait choisi la photographie par dépit, utilise en premier lieu ce médium pour l’étude des monuments, mais aussi en paysagiste, avec une ambition artistique, même s’il ne dit jamais qu’il est artiste. Il dit qu’il est dessinateur, qu’il est graveur, peintre, érudit … mais si en dehors de son travail d’éditeur illustrateur, il peut passer sous silence qu’il est photographe, c’est mieux : pour lui, il n’est pas photographe à part entière. D’ailleurs, quand il a reçu la Légion d’honneur en tant que photographe, il a été très vexé !
Son milieu est celui des peintres, des archéologues et des bibliophiles. C’est vrai qu’il n’a pas su estimer son propre talent à sa juste valeur, mais il savait aussi très bien qu’il n’était pas un petit amateur (il conseillait techniquement ses amis photographes, il était l’interlocuteur des Lumières). Il y a un décalage avec la façon dont il commente.
Félix Thiollier (1842-1914), Paysage, La Sauvetat, 1890-1914
© Musée d'Orsay.
Comment évolue alors le regard de Félix Thiollier ?
Le parcours commence avec les thématiques, liées les unes aux autres, de la publication d’ouvrages illustrés, de l’archéologie et du paysage, en lien avec la conception traditionnelle du pittoresque. Thiollier commence à photographier un peu moins de dix ans après la mission héliographique. Il essaie de faire un petit peu pareil avec sa région Le Forez, la région de Saint Etienne. Le parcours continue avec l’évocation du monde rural. Ces premières sections sont aussi peuplées que celles qui suivent sont désertés par les hommes : une section de paysages, proches de ceux des pictorialistes, puis une autre qui examine son approche plus intime du territoire. Enfin, la dernière salle concerne sa dernière phase créatrice et son regard sur le monde industriel, la mine et les usines dans sa région. On peut y observer l’influence de la peinture, du naturalisme, et en parallèle le fait qu’il a fait sien le médium photographique, avec l’exploitation des potentialités de l’instantané, le rapport avec les modèles, etc. Il ne se rend peut être pas compte qu’il abandonne tout ce schéma visuel, pittoresque parce que lui-même, quand il parle de la mine, il parle de pittoresque sauf que ses images se détachent : il continue avec les mots d’un homme du 19e siècle, mais il est déjà lui dans le 20e siècle.
D’où vient cette modernité ?
Plus que de modernité, je préfère parler de caractéristiques qui apparaissent chez Thiollier et que l’on retrouvera dix, vingt ans plus tard dans la photographie dite moderne. Il y a le sujet industriel, il y a aussi la mise en page, les points de vue en plongée/contre-plongée. Il en arrive même à assumer la clarté documentaire de la photographie : il n’y a pas toujours des contre-jours, des effets de fumée, mais également les gens, leur visage.
Le visage public, la part dévoilée de l’œuvre photographique, même au 20e siècle, ce n’est pas des épreuves, c’est toujours des photographies retouchées, diffusées par le biais des méthodes de reproduction photomécanique. C’est un peintre, un dessinateur et un graveur: il ajoute des effets gratuits très graphiques. Ses images sont hybrides, mélangeant photographie et gravure, ou photographie et peinture.
Félix Thiollier (1842-1914), Usines au bord de l'Ondaine, environs de Firminy, 1895-1910
Collection Particulière © Musée d'Orsay.
Comment êtes-vous parvenu à regrouper les trois ouvrages qu’il a imprimé ainsi que l’ensemble des photographies ?
Ce sont des livres qui sont très connus de tous les bibliophiles, en tout cas locaux de la région du Forez (Saint Etienne). C’est ce qui a été compliqué pour Thiollier au 20e : il est connu localement, mais en temps qu’éditeur indépendant, pour son travail archéologique, sur l’étude des monuments, tout ce côté patrimonial. Ces livres sont des chefs d’œuvre des bibliothèques qui les conservent. Ceux qui sont exposés ici sont ceux de la famille, mais on en trouve ailleurs.
J’ai travaillé avec une partie des héritiers de Félix Thiollier qui m’ont beaucoup facilité les choses. Tout d’abord, en ouvrant leurs armoires! Il existe quelques photographies qui sont disséminées en mains privées mais la chance du musée d’Orsay, c’est d’avoir bénéficié d’un partenariat très fort avec la famille. Le musée d’Orsay a un fond assez riche, une cinquantaine d’épreuves (le seul musée à en avoir autant), le musée d’Art Moderne de Saint Etienne en a également qu’on leur a emprunté, mais c’est bien la famille qui a la majorité. Ils ont également facilité les choses, ils m’ont aidé quand je pouvais avoir besoin de revenir sur un carnet, une lettre.
Propos recueillis par Claire Barbuti.
Félix Thiollier (1842-1914), Paysage, Forez (Loire), 1890-1910
Paris, musée d'Orsay, Don Julien-Laferrière © Musée d'Orsay.