Stéphane Duroy évolue dans le milieu de la photographie depuis une quarantaine d'années. Il travaille d'abord tout seul, mais en 1974, après des études de droit, il devient photographe professionnel. A l'époque, il débute avec l'agence Sipa qui n'existe plus aujourd'hui. Il y reste environ 6 mois, puis collabore ensuite à l'agence Rapho durant onze années. Il quitte cette dernière en 1986, et rejoint l'agence VU, à sa création. Ce nouveau poste marque un véritable tournant dans sa carrière car c'est la première fois que Stéphane Duroy apprécie la manière de travailler de l'agence. Elle correspond enfin à l'idée qu'il se faisait du métier de photographe. Les gens qu'il y côtoie, tels que Christian Caujolle, lui apportent beaucoup et l'enrichissent énormément. Stéphane Duroy trouve l'agence VU créative et intelligente, il ne la quittera plus.
Le photographe répond à certaines demandes de la presse, mais ce n'est pas ce qui le passionne. Depuis longtemps, il a en fait deux orientation précises, à savoir le travail sur « l'Humain », qu'il réalise beaucoup en Angleterre, et celui sur « l'Histoire » pour lequel il se rend régulièrement à Berlin. Plus tard, dans la continuité de son travail sur « l'Humain », c'est aux Etats-Unis que Stéphane Duroy se rend pour réaliser une série qui a pour thème l'exil. Ces deux orientations rythment sa carrière photographique, et elles constituent son centre d'intérêt principal. Avec ces thèmes, il réalise des livres, il évolue, il s'éloigne ou non de la photographie, mais le creuset est bien là. Les livres sont d'ailleurs son moyen d'expression favori, dans lequel il s'investit totalement : il y réalise tout lui-même.
Stéphane Duroy s'intéresse beaucoup moins à tout ce qui tourne autour de la profession, à savoir les expositions, les commandes. Pour lui, tout cela n'est qu'un moyen d'arriver au livre. Ainsi, il espère que l'exposition qu'il présente à la Galerie In Camera dans le cadre du Mois de la Photo, lui permettra surtout de faire parler de son travail, de vendre des tirages, et de pouvoir s’impliquer d'autant plus dans la conception d'ouvrages. Car finalement, c'est là-dedans que Stéphane Duroy a le sentiment d'être le plus pertinent.
Dingelstedt. ex RDA 1994 © Stéphane Duroy
Pouvez-vous me parler de la série de photos qui est exposée pour le Mois de la Photo ?
Il y a trois séries exposées sur trois murs, et c'est notamment à l'occasion de la sortie de deux livres. Le premier vient de sortir, et traite de la montée du nazisme et tente d'expliquer le processus qui engourdit les gens. La maquette du livre est particulière, et l'exposition suit sa logique. Cette série est située sur le mur de droite de la galerie. Sur le mur du fond, ce sont des petits formats qui constituent un mur d'images. A droite comme à gauche, les photos ne sont pas encadrées. Ce sont des tirages collés soit sur un mur, soit sur un papier. Et puis sur le mur de gauche, il y a une série de photos encadrées. Elles correspondent à un autre livre publié par un éditeur allemand.
Qu'est ce qui vous attire dans la démarche historique que vous entreprenez souvent ?
C'est le socle de mon travail. J'ai réalisé un premier livre qui s'appelait L'Europe du silence, et qui en une vingtaine d'images, tentait de retracer tout le XXème siècle. J'avais donc choisi la Première Guerre mondiale, avec Verdun, puis la Shoah, et enfin la chute du mur de Berlin. En fait, mon travail est constamment ramené à ces périodes. C'est une longue guerre finalement, qui a duré presque un siècle, et qui sous tend mon travail.
Dublin 1980 © Stéphane Duroy
Vous êtes donc un passionné d'Histoire ?
Oui elle m'intéresse beaucoup. J'y reviens toujours. Je lis beaucoup, je fais même de moins en moins de photos en fait. Je suis très souvent à Berlin évidemment car cette ville est le creuset, et j'y passe donc beaucoup de temps. L'Angleterre, j'ai arrêté d'y aller depuis 2002, mais elle concernait « l'Humain ». J'ai un peu mis entre parenthèses l'Angleterre, et finalement, le travail que j'y effectuais s'est un peu déporté sur l'Amérique et sur l'exil. Toutes ces démarches regroupent la condition humaine et l'exil. Tout cela est en fait très tributaire de ce qu'il se passe dans la grande Histoire. C'est un renvoi permanent de deux états : un état historique, et un état humain. Les deux se répondent constamment.
Pourquoi votre intérêt s'est-il particulièrement porté sur Berlin et la Grande-Bretagne ?
J'aime beaucoup l'Angleterre, et je pense que là-bas les gens sont peut-être plus naturels devant un appareil. Et puis j'aime l’atmosphère qui y règne. Mais je n'y ai pas traité « l'Anglais », je voulais parler de « l'Humain » en général. Aux Etats-Unis, je traite l'exil car c'est le pays d'exil par excellence. Quant à Berlin, c'est pour moi la ville qui regroupe toutes les problématiques historiques du Xxème siècle et peut-être même de l'avenir. Je ne vais donc pas perdre mon temps dans toute l'Allemagne, je prends Berlin, c'est tout.
New York 1991 © Stéphane Duroy
Ressentez-vous un devoir mémoire qui vous pousse à faire ces photos ?
On a le sentiment que la conséquence de tout cela c'est un devoir de mémoire, mais en réalité ce n'est pas ça. L'Histoire, elle me pèse, elle m'entrave, donc j'en parle. En fait, comme pour beaucoup de gens je suppose, elle m'habite, et est déterminante dans ma façon de vivre. Pour moi, c'est très lourd car je suis d'une génération qui est venue juste après la Guerre. On l'a donc eu sur les épaules, et nous l'avons encore, ce qui nous a, j'imagine, déterminé dans nos orientations, dans notre façon d'être, dans notre existence. C'est vraiment quelque chose de très lourd.
Et c'est donc devenu comme un besoin d'en parler ?
C'es plus qu'un besoin, en fait je vis dedans. Ca m'habite à travers ce que je peux lire sur l'Histoire, à travers la littérature, et c'est mon univers. Quant à Berlin, c'est mon décor, mon théâtre.
Butte Montana USA © Stéphane Duroy
Vous considérez-vous plutôt comme un artiste ou plutôt comme un reporter ?
J'ai été reporter, mais je ne le suis plus. Je m'éloigne de la photo, et donc après vous m'appelez comme vous voulez. Mais la période de reporter est finie. J'avais une carte de presse il y a fort longtemps, mais je pense que je suis un très mauvais reporter. Même si je peux croiser des évènements et les couvrir, mais ça n'est pas ma préoccupation. Cette dernière est toute autre.
Quant à l'artiste, je pense que je le deviens quand je crée un bouquin. Avant, je ne suis rien. Quand je fais des photos, je ne suis rien. Mais, si je me mets à donner forme à ce que je fais, je pense que j'ai une démarche artistique. De plus, j'ai recourt à d'autres éléments maintenant. Il y a du papier, des collages. La photo a donc sa part, mais elle ne constitue pas le livre à 100%.
Ecrivez-vous dans vos livres ?
Oui j'écris toujours un texte. C'est moi qui l'écris et c'est pour cela que ça n'est pas de la grande littérature. Je ne suis pas écrivain, mais j'essaye toujours de rédiger pour expliquer un peu. Parfois, les gens manifestent quelques difficultés, ils ne voient pas trop où je veux en venir. Néanmoins, dans le dernier livre, je n'ai rien écrit.
Comment en êtes-vous venus à exposer pour le Mois de la photo ?
On me l'a demandé, puis les expos se font comme ça, c'est préparé à l'avance. Et puis c'est vrai qu'avec ma galerie In Camera, je fais souvent une expo par an, et il s'est trouvé que ça correspondait à la sortie de deux bouquins, au Mois de la Photo. On a donc tout ficelé en un paquet.
Geisterbild 1941 © Stéphane Duroy
Y a t-il un message que vous souhaitez faire passer à travers vos photos ?
Oui, c'est ce qui m'occupe, c'est-à-dire la lourdeur de ce qu'il s'est passé pendant ce dernier siècle. Je pense que lorsqu'on commence à rentrer là-dedans, on ne peut plus y échapper. Ca a remis en questions tellement d'idées philosophiques, de démarches humaines, et même de conceptions de « l'Homme ». Ca va donc très loin, et ça concerne tout le monde. J'espère que le dernier bouquin que j'ai fait fera réfléchir des gens de la jeune génération. Ce qu'il s'est passé est très lourd, il faut donc en parler, surtout qu'il y a toujours des tentations de retomber dedans. C'est d'ailleurs ça le plus préoccupant, car c'est vrai que lorsqu'on a commencé à banaliser une démarche aussi monstrueuse, les gens sont prêts à reglisser là-dedans, sans en être tellement préoccupés. On commence à voir quelques exemples de tout cela. Alors si mes petits trucs peuvent aider tant mieux, mais ce sont des petits trucs.
Quels sont vos futurs projets ?
La seule chose dont je peux parler c'est que m'éloigner, comme je l'ai fait dans le dernier livre, de la photo, et d'une certaine conception de la photographie, ça m'a donné envie d'aller encore plus loin. Ca m'ouvre donc un espace de liberté qui n'a en partie rien à voir avec la photo. Enfin, la photo sera toujours présente dans mes livres, elle sera toujours à la base, mais au-delà de celle-ci, il y a un très grand espace de liberté. Je ne sais pas où je vais, mais c'est ce qui est très intéressant.
Propos recueillis par Adèle Latour