Nicolas Henry, 2011.
Diplômé de l'Ecole nationale supérieur d'art de Cergy en 2002, puis des Beaux Arts de Paris en 2004, Nicolas Henry se lance tout d'abord dans le septième art. Après être parti en école de cinéma au Canada dans un programme d'échange, il revient en France et gagne sa vie en réalisant la scénographie et la création lumière pour des films.
En 2005, il participe au projet 6 milliards d'autres de Yann Arthus Bertrand, qui a donné lieu à une exposition au Grand Palais de 5 000 portraits pris dans 70 pays en vidéo. En voyage autour du monde, il filme mais n'en n'oublie pas pour autant une autre de ses passions : la photographie. Il commence alors à prendre des centaines de portraits d'hommes et de femmes parmi la population locale, et plus spécifiquement des aïeuls, tout en leur demandant de raconter leur histoire, afin de créer une mise en scène reflet de leur personnalité, de leur passé.
Le résultat ? Une exposition majestueuse, « La cabane de nos grands parents », qui sera présentée dans le cadre du mois de la photo 2012 à l'Eglise Saint-Merri. Exposition tournante depuis 2010, l'installation dans cette église est particulièrement imposante, entre exotisme de l'accrochage pour amener le public en voyage, mise en lumière des portraits et des histoires de chaque personne photographiée, sans oublier une immense sculpture qui complète en beauté la grandeur de l'ensemble.
Un vernissage exceptionnel et convivial est organisé le mardi 6 novembre de 18h à 22h pour découvrir l'exposition au son de la musique et autour d'un partage d'émotions.
Comment est né le travail sur « Les cabanes de nos grands parents » ?
L'idée m'est venue lorsque je travaillais pour Yann Arthus Bertrand, sur le projet 6 milliards d'autres.
Ca m'a permis de me mettre à voyager. J'ai commencé en filmant, puisque j'avais été engagé comme réalisateur, mais la photo, j'ai toujours aimé ça. Quand j'étais plus jeune, j'avais commencé à prendre en photos ma grand-mère. J'ai eu envie de faire quelque chose sur ce tour du monde.
J'ai donc commencé à aller voir pleins de papys et mamies un peu partout. Au fur et à mesure, je me suis mis à faire cela de façon automatique dans 45 pays, ce qui donne au final plus de 600 photos. A partir de là, comme j'avais progressé, j'ai pu sortir une monographie de ces cabanes chez Actes Sud, et une tournée de l'exposition a commencé, relayée par la presse dans le monde entier.
© Nicolas Henry.
Comment s'organise les rencontres avec la population ?
Quand j'arrive dans un pays, je prend une équipe locale, avec des guides, des traducteurs … Généralement, je vais voir leurs grandes tantes, leurs grands-parents. Pour moi, tout le monde est beau pour être pris en photo : je ne fais pas de tri. Grâce au bouche-à-oreille et à la curiosité, beaucoup de gens sont intéressés pour être photographiés, se mettre ainsi en scène les amuse. Le concept de cabane est universel, tout le monde a déjà rassemblé les objets qui l'entouraient pour mettre en scène son propre refuge, son univers.
Les aïeuls s'ouvrent facilement. En fait, je commence par leur raconter une histoire et je m'intéresse à eux, les gens adorent qu'on s'occupe d'eux. Même les vilains ! De toute manière, on est tous un peu sujet à la colère, mais la plupart des gens sont plutôt bien dans le fond. Ils ont des choses passionnantes à dire et ils adorent raconter. Avec tous les témoignages, tous les différents textes, les différents mots, c'est l'humanité qui ressort, c'est du vrai.
Une certaine théâtralité se dégage de ces clichés due à la création d'attroupements, allant même parfois jusqu'à 300 personnes. La dimension théâtrale, c'est ce qui est partagé. Plus qu'un portrait, la photo est la trace d'un événement. Celui-ci est comme une scène, il donne vie à cette communauté.
Dans les cabanes, les gens sont spectateur d'une image : ils ne peuvent pas comprendre tout ce qu'il y a hors-champ.
© Nicolas Henry.
Vous leur montrez les photos ?
Oui, je leur donne même un exemplaire. Généralement, ils aiment bien, ça les fait rire !
C'est pour ça que les gens se marrent souvent, même s'il y a toujours quelques photographes intellectuels qui disent « c'est étrange, les gens ils sont tout le temps en train de sourire ». Je leur réponds « Oui, c'est normal, les gens sont contents de poser ! ». J'ai réalisé avec le temps que la joie et la création sont les meilleures armes pour lutter contre la tragédie de la condition humaine.
Y a t-il une rencontre qui vous a particulièrement marquée ?
Un peu toutes !
J'adore ces deux mamies qui se font un gros câlin. Elles sont au milieu d'une cabane en carottes, en navets, en pots de fleur, ... En fait, on est au milieu de Philipi en Afrique du Sud, l'un des township les plus dangereux d'Afrique. Forcément, autour de la cabane, ça tire souvent. Les deux mamies, elles, ont monté un jardin communautaire et ont négocié avec la police pour pouvoir donner des travaux civiques aux jeunes arrêtés. Elles ont fait un jardin, pour que les malades du SIDA du quartier puissent avoir des fruits et légumes, et du coup des vitamines. C'est vraiment l'idée d'un cercle vertueux.
Jardin Philipi - Afrique du Sud © Nicolas Henry.
Les histoires sont aussi importantes que la photo, c'est pour ça qu'il y a un encart à côté de chacun des clichés narrant leur parcours. Le travail d'écriture donne souvent des recettes pour être mieux, pour ensemble réussir à surpasser des challenges, quels qu’ils soient.
Quel matériel utilisez-vous ?
Au départ, c'était un 5D Mark II, puis un Hasselblad que j'ai eu avec Phase One P45 +.
Comme c'est un numérique, je peux prendre pas mal de photos, ce qui me permet de faire tous mes tests. Après, il y a des photos où au bout d'à peine dix prises, on sait que c'est la bonne. On fait quand même du rab pour le public ! A chaque fois, tout le village se réunit et est curieux de ma démarche : souvent on me loge, mais en retour je dois leur fournir un vrai spectacle !
Il y a d'autres fois, c'est plus long. C'est très fragile une photo : même encore aujourd'hui, je sélectionne une mise en scène sur trois. Pourtant, chaque mise en scène est un boulot énorme, c'est parfois le travail de 30 personnes sur 15h.
Après, il y a un travail de retouche, mais qui n'est pas tellement important. J'accentue juste les contrastes. Il n'y a pas de création de monde puisque la photo que l'on voit, c'est le résultat de la prise de vue. Quoiqu'il arrive, je fais tout moi même pour les retouches, et ensuite pour le tirage.
© Nicolas Henry.
Avez-vous des modèles qui vous ont inspirés ?
Dans la photo, il y a des gens que j'aime beaucoup, par exemple Peter Beard, avec qui je m'entends très bien. Il a aussi un travail très formel, mais avec une réflexion intense.
Après, mes modèles sont plutôt cinématographiques : quand je vois des talents comme Michelangelo Antonioni, Tim Burton, ou même Emir Kustorica …, ça ne peut que me stimuler !
Il y a quelques photographes qui sont à ce niveau formel, mais bien peu. Le cinéma m'inspire énormément, car comme je disais, mes photos sont un théâtre : l'image est montée dans un univers où les gens sont vivants. Je ne fais pas de photo par surprise, ni des clichés de gens que je ne connais pas. Ca part vraiment d'une relation intime.
Chapelle Jardin © Nicolas Henry.
Comment s'est organisé la prise de contact avec l'Eglise Saint Merri ? Comment est agencée cette exposition, qui a lieu dans le cadre du mois de la photo 2012 ?
C'est ma seconde exposition dans cette église (pour la première, c'était aussi les cabanes, mais il y en avait beaucoup moins).
Quand j'ai su que j'allais faire le mois de la photo, je devais avoir une salle de la mairie de Paris. Finalement ça n'a pas marché. J'ai alors proposé cette église car je les connais bien, ils sont devenus des amis – ils ont d'ailleurs tout de suite dit oui -, et surtout, c'est un endroit merveilleux. Ce lieu est parfait pour mes photos : comme il y a plein de peinture, plein de formes, plein de couleurs, mon travail ne joue pas contre, au contraire, ça se marie parfaitement.
Pour l'agencement, c'est totalement au feeling. Je n'ai aucun point d'accrochage, je fais tout moi-même. C'est toujours pensé comme une invitation. La scénographie, c'est du châtaigner et du rotin, c'est monté comme ce que l'on voit dans les images.
Les cabanes des grands parents occupent toutes les nefs à gauche : il y a 70 formats photos avec les textes. Il y a également douze formats de 3m par 4 de ma série « Contes d'Afrique ». L'idée, c'est d'arriver à jouer dans l'espace, à créer de la perspective. Cette église est très grande, mais en même temps, j'essaie d'inviter le spectateur naturellement à une circulation scénographique.
Pour compléter mon exposition, il y a aussi mon église-mosquée-stupa, qui est une énorme sculpture qui symbolise la réconciliation entre les religions. Je l'avais faite pour les rencontres d'Arles : ils m'avaient dit de venir mais ils ne voulaient pas de photos comme j'exposais déjà à la gare d'Avignon. Du coup, j'ai explosé 4 pianos pour faire cette installation ! Quand le prêtre de l'Eglise Saint-Merri l'a vue, il m'a dit que c'était une très belle pièce. Ca semblait cohérent pour tout le monde qu'elle soit présentée dans cette église.
Comment réagit le public ?
Ils sont souvent très contents !
On est dans une société d'images. Le public est très sensible à ma démarche car il comprend le sujet. J'ai des valeurs simples. Le grand public réagit bien dans le sens où il comprend ce que je veux dire. Ca ne se veut pas quelque chose, c'est ce que c'est.
On a eu des supers retours ici après la précédente exposition, et même des retours de directeurs de festival qui ont dit que le public avait bien accroché. Donc j'espère que ça va continuer !
© Nicolas Henry.
Quels sont vos futurs projets ?
Je continue ensuite la tournée de cette exposition : elle va être présentée au festival de Reims, à Sainte Catherine à Lille, Vendôme a priori, ... Elle est un peu comme une compagnie de théâtre, elle tourne d'un lieu à l'autre.
A part cela, je pars de janvier à octobre prochain, donc pendant 10 mois, pour faire de la prise de vue pour compléter ma série « Africacité » (Ethiopie, Rwanda, Madagascar, Namibie, Sarcelles). Il y a déjà quelques photographies dans la chapelle à l'entrée. C'est un premier chapitre du projet sur les communautés africaines. Avant, les cabanes de mes grands parents, c'était un portrait d'un aïeul. Là, ce sont des portraits de groupe de gens qui expriment une dimension par rapport au changement du monde, à ce qu'ils ont vécu, à comment être ensemble : des leçons de bon sens en somme.
Propos recueillis par Claire Barbuti.
Bateau Terre © Nicolas Henry.