© Sonia Naudy
Anthropologue de formation, Sonia Naudy a toujours fait de la photo, mais sans jamais oser montrer ses images. Spécialiste du milieu carcéral, la prison est un univers qui l'attire et qu'elle connaît bien.
Alors en 2010, lorsqu'elle part vivre en Afghanistan pour deux ans, c'est vers ce milieu qu'elle se tourne, s'intéresse, pour réaliser son reportage : « J'ai tout de suite aimé ce pays et les gens, malgré la violence ambiante. J'y suis restée deux ans. J'ai commencé mes recherches en prison dans différentes villes du pays. Très vite, j'ai senti que je tenais un sujet d'information, une histoire qui avait été très peu racontée et que ces prisonnières oubliées du monde méritaient un peu d'attention. » Ce reportage est le premier qui, pour Sonia Naudy, « a glissé de l'anthropologie vers le photoreportage ». Elle fait partie de la sélection officielle de l'édition 2012 du festival Photoreporter, festival international en baie de Saint Brieuc.
Sa démarche est propre à sa formation d'anthropologue. Mettre un pas dans ces prisons n'a pas toujours été évident pour la photographe, qui a bien souvent du insister auprès des directeurs des établissements pénitentiaires : « Ce qui est terrible, c'est que la décision finale, à savoir si je peux entrer ou non, sera prise par le directeur de chaque prison. C'est lui seul qui aura le dernier mot et qui pourra décider de prendre en compte ou non mes autorisations. La situation est donc souvent complexe avec les directeurs car ils savent qu'ils tiennent mon travail entre leurs mains et que tout dépend de leur décision. Les négociations peuvent être longues...»
© Sonia Naudy
Une fois là-bas, c'est un univers carcéral très différent de la vie quotidienne habituelle, pour ces femmes afghanes. Avec un engagement touchant, Sonia Naudy décrit leur vie dans ces prisons, qui est « une parenthèse loin des codes et des traditions d'une société patriarcale extrême et brutale ». : « Le « crime moral » est une notion juridique assez floue qui peut englober de nombreux délits : de l’adultère au mauvais caractère, en passant par la consommation d'alcool ou la danse devant des hommes. Cependant, le « crime moral » le plus répandu reste la fuite du domicile paternel ou conjugal. Dans un pays où le mariage arrangé est pratiqué, beaucoup de jeunes filles s'échappent pour éviter un mariage forcé ou s'enfuient de chez leur mari.
C'est le plus souvent sur dénonciation que ces femmes sont arrêtées : un voisin curieux, une femme jalouse, un père déshonoré. Une fois arrêtées par la police, elles sont conduites au commissariat pour un interrogatoire puis placées en garde-à-vue. C'est le début d'un long combat avec la justice afghane : avocat, audiences, bakchich, retour en prison et audiences à nouveau. La garde-à-vue peut durer des mois si la Cour n'arrive pas à statuer sur le cas.
Une fois le jugement prononcé, les femmes jugées coupables sont transférées à la prison centrale pour purger leur peine.
© Sonia Naudy
L'univers pénitentiaire afghan est paradoxal. Les prisonnières jouissent d'une certaine liberté à l'intérieur du centre de détention. Une véritable micro-société se met en place. Elles vont et viennent à leur guise, la plupart ne portent plus le voile, fument des cigarettes, se maquillent... C'est l'Afghanistan comme s'il n'y avait plus d'interdits pour les femmes. Elles ont accès à des cours d'alphabétisation, d'anglais ou d'informatique proposés par des ONG afghanes et financées par des fonds étrangers. Cela donne l'illusion d'une prise en charge idéale basée sur un modèle occidental.
Mais la réalité de l'enfermement est là. La privation de liberté, la promiscuité, la maladie, l'éloignement de ses proches, la peur de l'avenir.
En effet, la plupart des femmes enfermées ont apporté le déshonneur sur leur père ou leur mari et ne sont donc pas à l'abri d'une vengeance mortelle à leur sortie de prison.
Sortir de prison est donc, dans bien des cas, le début d'un autre cauchemar : condamnées à vivre cachées, ces anciennes prisonnières n'ont d'autre choix que d'être hébergées dans des foyers secrets, tenus par des ONG, pour ne pas subir la terrible vengeance, ou plus simplement la stigmatisation due à leur statut de détenue. Personne ne sait où elles sont. Elles ne sortent qu'en burqa et accompagnées d'un membre de l'ONG.»
© Sonia Naudy
Les images de Sonia Naudy sont, au-delà de leur force, déroutantes : « Toutes les femmes qui ont accepté d'être prises en photo ont bravé tous les interdits et l'ont fait au péril de leur vie. Leur situation est déjà délicate, mais en plus, se faire photographier dans leur quotidien de prisonnières, sans voile, avec du maquillage et surtout fumant des cigarettes est un acte de courage et de rébellion. Toutes m'ont dit qu'elles voulaient que je montre ces photos en Occident pour que les gens sachent ce qui se passe pour les femmes afghanes. L'injustice dont elles sont victimes, la corruption du système judiciaire afghan et plus simplement leur condition de femme qui s'est si peu améliorée depuis la chute des Talibans...
Ce travail photographique est avant tout une rencontre. Une rencontre avec des femmes de caractère, des femmes au courage immense, des femmes révoltées, des héroïnes des temps modernes qui se battent pour survivre.»
© Sonia Naudy
C'est là un reportage essentiel que nous livre Sonia Naudy, qui réalise une prouesse photographique
d'une grande qualité. A suivre …
Claire Mayer