Ecce Homo © Alain Longeaud.
Durant le mois de la Photo 2012, La Galerie des Singuliers accueille un bien singulier personnage : Alain Longeaud. Photographe lunaire, il cherche à entraîner le public dans un monde à part, entre réalité et onirisme. Dire le réel par l'émotion, par le rêve, tel est le paradoxe de cette exposition pleine de charme et de couleurs. Le orange surtout, qui appelle le soleil pour qu'il vienne sonner à la porte des spectateurs. Commençons par l'entrouvrir dès maintenant pour accueillir les confidences de ce photographe hors-normes.
Pouvez vous me raconter votre parcours ?
J'ai fait des maths au début, rien à voir avec la photographie ! On m'a proposé un poste dans ce domaine après mes études, je n'y suis pas allé.
Je me suis alors souvenu que je voulais être Rouletabille quand j'étais petit. Comme je connaissais des gens qui travaillaient dans la photo, je me suis dis pourquoi pas ? Ils ne pouvaient rien pour moi, mais je suis descendu en Camargue, où j'ai commencé à faire photo-stoppeur, et ce pendant 2 saisons.
Je n'avais jamais fait de photo, ce n'était pas vraiment une vocation. Mais c'est une envie qui m'est venu comme ça, un matin !
Après, je suis revenu à Paris. J'ai trouvé un poste d'assistant photographique, puis un autre, et un autre. Et à la fin, je me suis retrouvé à être assistant d'Helmut Newton. Ca a duré deux belles années.
Qu'est ce que ça vous a appris de travailler avec lui ?
Il m'a surtout appris à ouvrir les yeux. Il n'avait jamais rien de prédéfini, j'adorais ça. J'ai vu qu'on pouvait être très créatif, dégager une vraie force d'une photographie, sans avoir pour autant l'idée avant. L'illumination peut tout à fait venir en faisant.
Pendant que j'étais son assistant, je ne faisais pas de photos. Il me disait d'en faire, mais je lui répondais que je ne savais pas quoi faire. Mais un soir, il m'a proposé une soirée chez un jeune photographe américain, Ralph Gibson. Ca a été le déclic : le lendemain, je faisais des photos ! Son onirisme, son univers imaginaire m'avait parlé.
J'ai également rencontré l'oeuvre de Bill Brandt : ces deux influences, ce mélange, m'ont beaucoup inspiré.
Lumières d'anges © Alain Longeaud.
Quel type de photographies avez-vous commencé à faire ?
Quand j'ai quitté Helmut, je suis devenu photographe de mode. Selon moi, c'était le seul milieu dans lequel on pouvait être créatif. On crée l'image du début à la fin. C'est plus compliqué quand on fait par exemple du reportage : on crée, c'est sur qu'il y a un certain regard, mais c'est à partir du réel, du préexistant. Ca peut être aussi du très beau travail, mais ça ne m'intéressait pas.
J'ai arrêté la mode il y a sept ans, j'en avais fait le tour. La mode, c'est un peu comme un horizon après lequel on court, à moins d'être vraiment investi, ce qui n'était pas mon cas. Et puis maintenant, toutes les filles sont retouchées, donc intellectuellement ça ne me satisfaisait plus non plus.
Parallèlement à ces photos de mode, je faisais toujours pour moi des photos en noir et blanc « gibsonnienne ». Parce que je n'aimais pas alors les tirages couleurs.
Alphaville © Alain Longeaud.
Revirement à 360 degrés pour votre exposition à la galerie des Singuliers alors !
Dans les tirages couleurs « à l'ancienne », on ne pouvait rien faire. On n'avait pas la possibilité de créer des atmosphères comme avec le noir et blanc, de donner un côté poétique aux clichés.
La rencontre avec l'ordinateur a changé ma vision. J'ai appris à m'en servir et ça a été une vraie révélation : d'un coup, je pouvais traiter mes couleurs comme je traitais mes noirs et blancs avant ! Je peux recréer le monde que je veux, quitte à vraiment en rajouter parfois.
Comment procédez-vous pour la prise et le tirage de vos clichés ?
Je shoote au négatif, je le scanne. Puis je recrée : l'endroit ne me suffit plus en photo. Après, il y a tout un travail d'interprétation, de recréation que Photoshop me permet de faire.
Pour l'endroit, il n'y a jamais rien de préconçu : j'adore cette insécurité. Ne pas savoir ce qui va se passer m'amuse énormément. J'ai deux modes en fait : l'un « on », l'autre « off ». Je ne prends jamais de photos à Paris, j'ai besoin de risques, d'endroits que je ne connais pas. C'est pour ça que mes photos se baladent, entre les paysages américains, les gares françaises, les déserts égyptiens … Quand je suis en mode « off », je ne vois rien, puis d'un coup je sors mon appareil, je passe en mode « on », et là, mon regard change.
Il arrive qu'on me reproche le fait de ne pas avoir de thème de travail, mais je ne peux pas me passer de ce hasard dans la prise de mes photos. Il y a même une directrice d'une galerie hollandaise qui m'a traité d'insolent parce que je ne faisais pas des séries, comme tout le monde aujourd'hui !
Je ne réfléchis pas comme ça moi, je fonctionne à l'émotion. Et si ça vous emmène en voyage, et bien tant mieux !
Mariage à Brighton © Alain Longeaud.
Le but de vos photos, c'est justement d'envoyer en voyage le public. Quel est sa réaction ?
J'avais fais un stage chez un psychanalyste. Il disait que l'artiste, c'est celui qui allait chercher au fond de son inconscient les choses qui s'y trouvent, et qui les offrait ensuite aux autres. Et ce public est touché là où ça doit les toucher, là où ça lui parle.
J'aime beaucoup cette mission presque sociale de l'artiste. Aller à la pêche pour offrir sa récolte aux autres, sans savoir vraiment ce qu'on va attraper dans ses filets.
Une fois, aux ateliers de Belleville, on avait installé un diaporama sur l'écran, mes photos défilaient. L'une des personnes présente m'a dit en repartant : « Merci pour le voyage ». Ca, c'est le meilleur cadeau que l'on puisse me faire. Bon, s'il y a le billet en plus, je ne dis pas non ; mais si ça touche les gens, c'est le principal. Mes photos n'ont pas pour vocation d'être tristes, de plomber la journée ! Si ça peut rendre heureux... Moi, ça me rend heureux de les faire en tout cas !
Et quand les gens voient des choses auxquelles je n'ai pas du tout pensé, c'est magique ! J'adore cette ouverture permise par mes photos.
Vous vous adressez au public, et pourtant vous faites le choix de ne montrer que des paysages, et jamais -à quelques rares exceptions- de portraits. Pourquoi ?
Parce que lorsque des gens traversent le cliché, on s'identifie forcément à lui. Et cette identification, à mon sens, bloque tout imaginaire. Cette absence d'humain permet de convoquer les rêves, ceux-là mêmes qui traversent notre réel pour faire émerger un autre genre humain.
Tout comme un format trop petit peut empêcher ce voyage. En petit, c'est mignon, mais ça n'emmène pas pareil, ça ne correspond pas à ce que je veux proposer. C'est pour cette raison que je ne travaille qu'en deux formats : 1m20 et 1m60.
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Gotham City © Alain Longeaud.
Pourquoi avoir choisi de faire ressortir la couleur orange dans vos photographies ? Est-ce pour donner un côté pictural ?
La orange, c'est une couleur chargée d'émotions, qui crée une étrangeté.
C'est sur qu'en plus cela donne un côté pictural très intéressant. Je ne sais pas peindre, je n'ai jamais essayé. Je préfère le médium photographique car il déstabilise davantage, en mélangeant le réel et l’irréel. Mais dans la peinture, je retiens l'esthétique, c'est vraiment très important pour moi. Même si ce n'est pas un truc très à la mode non plus.
Etre ainsi décalé ne me gène d'ailleurs pas du tout. On est condamné à ne pas écouter ce qu'on dit, je crois que c'est la seule façon d'avancer. On peut entendre, mais pas forcément écouter : on doit être soi-même.
Comment s'est passé l'organisation autour du mois de la photo ?
Je me suis présenté, et j'ai été sélectionné ! C'est vrai que le thème du « Réel Ré-enchanté » correspond bien à ce que je présente. Et ça me fait très plaisir.
Pluie étoilée © Alain Longeaud.
Quels sont vos futurs projets ?
Je devrais exposer à la maison de la photo à Lille. Et je vais aussi me présenter à plusieurs concours.
Et une fois n'est pas coutume, je travaille en ce moment sur une série relative aux étoiles, un peu comme un train de l'espace.
Propos recueillis par Claire Barbuti.