© Lartigue.
La photographie a toujours été une vocation pour Jacques-Henri Lartigue.
C'est en 1901, à seulement 7 ans, que son père lui offre son premier appareil photo. Il ne le lâchera plus car l'on « ne peut pas faire des conserves de ses émerveillements » ! Photographiant tout ce qui se présente sous ses yeux d'enfants, il fait preuve d'une maturité exceptionnelle. Très vite, la photographie ne lui suffit plus, il a besoin de tenir en parallèle un journal pour inscrire dans une temporalité plus importante les instantanés captés par son appareil. A cette époque, la photographie ne permet pas de vivre, d'ailleurs il souhaite rester un « photographe amateur » pour pouvoir enregistrer « tout et n'importe quoi ». Il se lance dans le dessin et surtout le peinture, probablement soucieux d'une reconnaissance, qui ne tarde pas à arriver.
Pourtant, il ne laisse jamais de côté cette passion pour la photographie. En 1963, alors âgé de 69 ans, il expose pour la première fois au MoMa de New York tous ses clichés accumulés au cours de sa vie. A son grand étonnement, il devient alors l'une des grandes figures de la photographie du 20e. Il sera le premier photographe, il y a maintenant un quart de siècle, à faire don de son vivant à l'Etat français de l'ensemble de son œuvre. Sans cesse enrichie et documentée, cette collection de toute une existence est éditée en septembre 2012 dans Lartigue, L'album d'une vie grâce au travail d'un collectif de passionnés.
Le format de l'ouvrage est « à l'italienne », c'est-à-dire qu'il est plus long que haut. Ce choix reflète bien la visée de l'ouvrage : offrir aux lecteurs/spectateurs un recueil de toute une vie sous le modèle d'un album d'origine.
© Lartigue.
Plus de mille photographies racontent l'histoire de Lartigue chronologiquement, en parallèle de l'Histoire du siècle. C'est ce qui rend intéressant l'ouvrage : il permet éclairer par des chroniques sociales et mondaines tous les événements marquants du 20e. On peut malgré tout remarquer une propension à passer presque sous silence les guerres dévastatrices qui ont ponctuées le siècle : ce livre est un appel à raconter une vie, et non exacerber des pensées funestes. Le jaune, couleur d'espoir, est d'ailleurs majoritairement utilisé ; mais pas uniquement puisque différents fonds sont employés.
© Lartigue.
C'est l'une des caractéristiques marquantes de l'ouvrage : l'utilisation de tous les sujets, tous les formats, tous les cadrages, tous les styles d'écriture … Le lecteur ne s'ennuie pas une seule seconde en feuilletant le livre. Il peut aussi bien voir l'intimité familiale, que l'avancement des progrès techniques de l'époque (aviation, voiture, …), et même des scènes de rue qui le transporte à la Belle Epoque.
© Lartigue.
Les albums de Lartigue constituent la première entreprise autobiographique connue à ce jour : il ne se cantonne pas pour autant à ne parler que de lui.
Le livre est divisé en 3 parties. Si la première partie, intitulée « 1894-1919 : L'entreprise autobiographique, l'invention du paradis », est sûrement la plus tournée vers le monde de Lartigue via ce qu'il a pu percevoir de ses yeux d'enfants, les deux suivantes sont plus ouvertes (« 1920-1943 : Les jeux magiques de Lartigue : Photographie, peinture, écriture », puis « La fortune critique de Lartigue »). Ces dernières sont également un bon indicateur de l'évolution de la photographie au cours du 20e siècle : par exemple, Lartigue s'amuse avec les différents filtres de couleur lorsque ceux-ci apparaissent.
© Lartigue.
Même en grandissant, Lartigue-photographe reste un grand enfant. Il touche à tout, et ne se détache de rien. Selon lui, il ne faut pas jeter une photo : même si elle peut paraître ratée sur le moment, elle permettra plus tard d'éprouver ce que l'on avait pu ressentir à l'instant du « shoot ». Curieusement, le public s'identifie au photographe, se mettant à penser à son propre passé comme s'il feuilletait un vieil album de famille : l'Album d'une vie de Lartigue a un formidable pouvoir de « Madeleine de Proust ».
© Lartigue.
Plus qu'un simple désir de rester un photographe amateur, Lartigue revendique ce statut dans ces pages : comme pourrait le faire n'importe quelle personne, il colle et commente ses photographies sans arrière-pensées, sans volonté de styliser. Il réussit si bien à jouer l'amateurisme qu'il en devient un formidable photographe professionnel.
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© Lartigue.
Lartigue, L'album d'une vie - 1894-1986 - Sous la direction de Martine Astier, Quentin Bajac et Alain Sayag - Avec les textes de Clément Chéroux, Maryse Cordesse et Kévin Moore.
400 pages
Editions du Seuil
39 euros
Claire BARBUTI
