Depuis vingt-cinq ans, Bernard Descamps explore la photographie sous toutes les formes, captant aussi bien les paysages, les villes que la population qui y vit. Plusieurs livres ont déjà été édités, soulignant son intérêt pour le voyage et la rencontre de différentes cultures : Berbère, vallées du Haut Atlas marocain en 1999, Japon en 2000, Silences, lieux sacrés de l'Inde du Sud en 2008 ou encore le dernier, Quelques Afriques, en 2011.
Cette fois, Bernard Descamps revient avec une approche différente. Dans son ouvrage Ici même, paru le 1er octobre dernier, il offre au public ses « 35 photographies essentielles ». Prises entre 1974 et 2012, « ces images répondent à (sa) volonté de mêler des instants et des lieux a priori sans rapport les uns avec les autres, dans une sorte d’écriture automatique, à la manière des surréalistes ».
Zoo de Bâle, 1979 © Bernard Descamps.
Le livre débute par une citation de Pascal Quignard : « Le visible ne suffit pas à comprendre ce qui est vu. Le visible ne s’interprète qu’en référence à l’invisible. » Tel est le but d'Ici même : par son choix ambitieux du cadrage totalement décentré, Bernard Descamps cherche à entraîner le spectateur dans un imaginaire. Cette excentration laisse libre court à toutes les interprétations possibles. Un mysticisme se retrouve à l'intérieur même de ces images, puisque la présence de nuages, de fumées dans la plupart des photos crée une sorte d'aura surnaturelle.
Cette invitation à l'onirisme est d'ailleurs renforcée par l'organisation même de l'ouvrage : un cliché qui occupe qu'un recto, faisant systématiquement face à une page blanche. Comme une sollicitation pour que le public complète la photographie, place le résultat de ces rêveries à côté de celle-ci.
Ici même © Bernard Descamps.
Pourtant, les spectateurs ont du mal à se projeter pleinement dans cet ouvrage.
Tout d'abord à cause de la dimension choisie : le format carré se marie mal à la visée de l'ouvrage, tant il semble imposer de regarder au centre du cliché.
L'invitation au voyage est également limitée lorsque l'on observe que 29 des 35 photographies proposées ont été prises en France, dont 11 à Paris. Il y a plus exotique comme destination pour des rêveries … D'autant plus que le Paris montré n'est pas embelli. Bien au contraire, certaines images semblent tout droit tirées des quartiers d'affaires de la Défense ou encore d'un jardin des Plantes après un incendie ravageur.
Ici Même © Bernard Descamps.
Mais c'est certainement le noir et blanc qui est le plus gênant dans cet ouvrage. Partant du principe désuet que les photographies en noir et blanc serait plus esthétiques, plus profondes que celles en couleur, les clichés de Bernard Descamps usent du blanc, du noir, du gris. Pas très tentant de voyager avec ces tristes teintes, où aucune sensation, aucune vie n'happe le spectateur...
Ce choix de photographies en bichrome est d'autant plus contradictoire que, dans la préface, Hervé Le Goff explique que la visée de l'ouvrage n'est pas de regarder le passé : « Qu'y gagner sinon la mélancolie, les regrets, les absences que rien ne comble, le goût sournois d'une madeleine ou sur un vieux coussin l'odeur d'un chien qui n’aboie plus ? »
Ici même © Bernard Descamps.
Le manque de sens est donc ce qui semble caractériser le mieux cet ouvrage. Si séparément certains clichés peuvent être intéressants, avec des cadrages dérangeants et par là même intrigants, les regrouper ensemble perd toute signification. Il s'agit des 35 photographies essentielles du photographe, mais il ne parvient pas à les rendre essentiel aux yeux du lecteur/spectateur.
Ici même, Bernard Descamps
60 pages - 21,5 x 21,5
Filigranes Editions
25 euros
Claire BARBUTI