Nik Wheeler à Perpignan sur le lieu de son exposition à Visa pour l'image © Claire Mayer
Au départ, Nik Wheeler était reporter. A la fin des années 1960, il commence à prendre des photos de la guerre du Vitenam. Envoyé par la suite par l'United Press, il passe deux ans à leurs côtés.
Après le Vietnam, il se base à Beyrouth, où il y reste trois ans. Il couvre la guerre du Yom Kippour en Israel en 1973.
Puis Paris, où il rejoint Sygma et Sipa...Jusqu'à Los Angeles aujourd'hui.
Nik Wheeler ne faisait à l'époque que du photojournalisme. Ainsi, dans les années 1970, le National Geographic lui propose un reportage sur les « Arabes des Marais », une communauté vivant coupée du monde, au milieu des marais irakiens.
Un reportage époustouflant, presque irréel, d'un groupe de personnes vivant à part. On pourrait presque croire qu'ils viennent d'une autre époque. Ce reportage, c'est avec émotion que Nik Wheeler l'a exposé cette année à Visa pour l'image.
Depuis 1985, il a quitté l'univers du photojournalisme, pour celui du voyage, des paysages, plus tranquille. «Je suis âgé maintenant !»
Rencontre avec un photographe doux et passionnant, qui revient avec nostalgie sur son reportage des « Arabes des Marais », communauté qui n'existe plus.
© Nik Wheeler
Exposer ici ce reportage de photojournalisme, cela représente quoi pour vous ?
J'étais vraiment très ému. Je ne connaissais pas du tout l'existence de cette population avant de m'y rendre.
Wilfrid Thesiger, grand explorateur anglais, a visité les marais dans les années 1950. Il a sorti un livre sur le sujet, avec des photos en noir et blanc. J'avais vu ce livre, mais je ne pensais pas avoir un jour l'occasion d'y aller, car c'était une société très enfermée, très à part et surtout très contrôlée par le gouvernement.
Un jour, National Geographic m'a appelé pour savoir si je voulais accompagner un journaliste là-bas, qui s'y était déjà rendu. C'était en 1973. Nous y sommes restés trois semaines. L'avantage c'est que le journaliste y était déjà allé avec l'explorateur britannique. Il avait donc beaucoup de contact, il connaissait les gens sur place, le peuple. Nous avons été très bien reçus dans les villages. Evidemment, le gouvernement nous avait donné quelqu'un pour la sécurité, et nous étions surveillés au cas où nous voulions faire un sujet politique contre le gouvernement.
Mais sinon, nous avions carte blanche pour faire ce que nous voulions.
Puis lorsque l'article est sorti, une maison d'édition nous a demandé d'élargir le reportage pour en faire un livre.
Deux ans plus tard, nous y sommes donc retournés. La deuxième fois, le gouvernement nous a donné un hélicoptère militaire pour pouvoir faire les vues aérienne, une vraie chance !
Une fois le livre sorti, nous y sommes à nouveau retourné pour réaliser un deuxième livre. C'est à ce moment-là que j'ai réalisé une photo de Saddam Hussein très connue.
Ces gens vivent vraiment en autarcie, comment ont-ils pris votre venue sur place ?
Ils étaient très flattés, très contents. Il est rare que l'on parle d'eux. Le seul obstacle que nous avons eu est que ce n'était pas très confortable : il n'y a pas de restaurants, pas d'hôtels, on étaient obligés de dormir par terre, chez les gens. Il n'y avait ni eau courante, ni électricité. La vie était très simple, mais il y avait énormément de choses à photographier. Tout ce qu'ils faisaient dans la vie quotidienne était accessible. On avait un bateau, nous nous promenions comme nous le voulions, nous sommes allés à un mariage...
Pour le deuxième livre, j'ai eu beaucoup de problèmes en Irak, les gens des villes sont beaucoup plus difficiles à photographier. Alors que les arabes des marais étaient vraiment charmants, les femmes n'étaient pas voilées etc … Tout le monde était vraiment très gentil.
© Nik Wheeler
Qu'es-ce qui vous a le plus surpris ?
La qualité de la vie, le fait que cette communauté existait entièrement coupé du monde, c'était vraiment quelque chose de très impressionnant. Quand on pense aux arabes du Moyen-Orient, c'est toujours désert, oasis, palmiers, chameaux ect … Que des clichés ! Alors que dans ces populations, vous avez les plus grandes rivières de la région, l'Euphrate et le Tigre, conjoints, et vous avez ce monde tout à fait à part, où il n'y a ni pierres, ni rochers, ni verre pour construire des maisons. Les maisons sont construites avec des roseaux, le toit est un tapis de roseaux bien agencés …
Quand cela a-t-il été détruit ?
Ca commençait même à l'époque où nous y étions. Ils avaient construits des digues, voulaient agrandir, pour créer plus de cultures. Petit à petit, le vrai marais fait avec l'eau diminuait.
Mais ça a vraiment disparu avec la première guerre du golfe en 1991. Il y avait la révolte des chiites dans le sud. Ca n'a pas marché, et Saddam Hussein a pris sa revanche en bombardant les villages. En même temps il a construit de grandes digues pour assécher les marais. Tout ceci a marqué le début de l'extinction de ces marais.
Où sont allés tous ces gens une fois les marais détruits ?
Ils sont partis un peu partout dans les villes les plus proches, Bagdad par exemple. Cela a été très difficile pour eux de passer de cette vie, coupée du monde, à la vie tourbillonnante d'une ville.
Ils avaient une vie très organisée dans les marais, entre la culture, la pêche... et tout d'un coup, être jeté dans une grande ville, avec les voitures etc... C'était l'inconnu pour eux.
Vous auriez envie d'y retourner pour voir comment c'est maintenant ?
Dans un sens j'ai envie, par curiosité, mais en même temps je préfère rester sur ce souvenir. Je serai très déçu de voir de quelle façon ça a évolué. Même avant les problèmes avec Saddam Hussein, ça changeait un peu, ils avaient des bateaux avec des moteurs, au lieu de canoës.... Ca changeait la donne et l'état d'esprit de ces marais. Certaines maisons étaient même faites moitié roseaux moitié ciment !
Quand j'y suis allé faire mon reportage, c'était beaucoup plus pur et intact. Je préfère rester dans ce souvenir.
Propos recueillis par Claire Mayer