Virgilio y Purificacion © Lucia Herrero
Lorsque l'on demande à Lucia Herrero de raconter sa carrière, sa réponse n'est pas commune : « J'ai étudié l'architecture, la photographie et le théâtre de geste. J'ai voyagé, squatté, vécu sur une île, construit de mes propres mains, travaillé dans les champs, dans l'humanitaire … (…) Ce cocktail d'expériences et de connaissances m'a donné un regard critique et forgé ma fantaisie créative pour, à travers la photographie, raconter mes histoires. »
Photographe madrilène née en 1976, Lucia Herrero s'attaque à la photographie à 12 ans, lorsqu'elle s'empare du Nikon F2 de sa mère : « Je garde encore la première photo que j'ai prise, on y voit déjà apparaître le style qui me caractérise aujourd'hui ».
Le style, il est clair que Lucia en a. Sa série « Tribes » en est l'illustration, des clichés de groupes sur la plage. « Tribus est une analyse sociale, un portrait brut de la société occidentale. J'ai mis en avant ces compositions anthropologiques au retour de mes voyages à l'étranger. Raconter avec humour, dérision et tendresse, la profondeur de toute une société, celle d'où je viens.
Ces clichés de groupes de plage contemporains sont inspirés de la photo classique d'anthropologie où la tribu se montre avec générosité et orgueil, avec ses costumes traditionnels et auprès de ses biens précieux. Le ciel et la mer apparaissent comme convertis en un fond peint, et le sable semble répandu sur le sol du studio pour la pose. En combinant l'illumination naturelle et artificielle, la théâtralité spontanée des groupes apportent un élément de fantaisie aux portraits de personnages réels dans un décor naturel. La mise en lumière d'une scène banale l'élève alors à l'état d'exception. J'appelle ce type de reportage social « Anthropologie Fantastique » ».
Familia Más-Romero © Lucia Herrero
Familia Romero-Fraile © Lucia Herrero
Les clichés figés de ces groupes de personnes surprennent autant qu'ils peuvent épouvanter. Des regards intenses, le temps semble s'être arrêté sur ces plages aux couleurs parfois apocalyptiques.
Pourtant, tous étaient ravis de participer au projet de Lucia Herrero : « Pour réaliser ce travail, j'ai parcouru toute la côte espagnole, recherchant sur les plages les groupes qui me paraissaient représentatifs, attirants ou originaux. A la simple demande de poser pour moi, j'avais dans 95% des cas un déploiement de spontanéité et de générosité participative. Olé ! ».
Navarro, Toledo y Martínez © Lucia Herrero
Familia lópez © Lucia Herrero
Pourtant, les sessions de shooting n'étaient pas de tout repos pour la photographe et son assistant !
« Mes arrivées sur la plage ne passaient pas inaperçues, car avec mon assistant, au lieu de parasols ou matelas, nous transportions un flash portable avec son trépied, sa batterie autonome, et ses abat-jours. Au moment de prendre la photo, tout le monde souriait, c'est alors que j'annonçais : « Il ne s'agit pas d'une photo de vacances, il s'agit de LA photo de VOTRE tribu ! » Et d'un coup, les visages prenaient cet air grave, fier, solennel. »
Pourtant, ces images ne sont pas seulement des instants de vie pris sur les plages espagnoles. Dans ses photographies, Lucia Herrero « parle de la condition humaine à l'époque paisible des vacances. Il s'agit de fierté, d'honnêteté et de vulnérabilité. Ce portrait de la « tragi-comédie espagnole » suggère plusieurs interprétations. D'une part il évoque la classe moyenne occidentale, dans sa crise d'identité issue de la situation économique actuelle. D'autre part, ces images mettent en déséquilibre la conception actuelle de la beauté ».
Los García © Lucia Herrero
Cuenca-Chaves y amigos © Lucia Herrero
L'étude que Lucia Herrero fait de ses « Tribus » ne s'arrêtera pourtant pas là. « Je compte continuer à explorer la « Antropologia Fantastica » pour créer un document global qui puisse témoigner de la société espagnole – européenne – occidentale à l'époque où nous vivons : une période de l'histoire qui marque un point d'inflexion. Ce document anthropologique doté de l'importante composante fantaisiste, le rendra attrayant comme un bulldog dans une robe de Sévillane ! Je veux dire que c'est l'humain que je tiens à documenter dans une société inquiétante, sur le ton de la tragicomédie. Le prochain travail à paraître traite des sports ruraux, le prochain voyage, la Norvège. »
Bonnes vacances !
Claire Mayer
Photos et vignette © Lucia Herrero