Sandra Calligaro est née en 1981. Après une formation d'art et de photographie à l'université Paris VIII, elle s'envole pour l'Afghanistan, sur un coup de tête. Ce qui devait être un voyage est devenu son quotidien : depuis cinq ans, elle s'est installée là-bas, à Kaboul, et vit son rêve de photographe au gré de ses reportages sociaux sur le pays.
Elle collaborait déjà avec Médecins du Monde lorsqu'ils ont décidé ensemble de réaliser un webdocumentaire sur la situation précaire des migrants du Nord-Pas-de-calais, dans le cadre de la mission de Médecins du Monde « Nord-Littoral ».
Alors, elle est allée à la rencontre de ces hommes, de ces femmes, surtout des jeunes, qui essaient tant bien que mal de franchir la frontière britannique.
Au moment où s'ouvrent les Jeux Olympiques de Londres, il est important de rappeler qu'à quelques mètres de là des gens se battent pour survivre.
Rencontre avec une photographe déterminée, talentueuse, et surtout, passionnée.
Kaboul © Sandra Calligaro
Pouvez-vous me raconter votre parcours ? Que faites-vous en Afghanistan ?
J'ai fait une formation art et photographie à l'université Paris VIII. J'étais passionnée par les reporter des années 1970, et je rêvais de faire le même métier.
Un jour, j'ai rencontré par hasard un journaliste caméraman qui revenait d'Afghanistan. Il m'a raconté son aventure là-bas, et j'ai eu envie moi aussi d'aller y faire un tour. Je n'avais pas du tout le projet de vivre à l'étranger, et pas non plus en Afghanistan. Et maintenant ça fait 5 ans que j'y vis !
Je me rappelle d'ailleurs un jour avoir dit à quelqu'un qui était en mission pour 4 ans : « 4 ans c'est long ! » et en fait lui est parti, et moi je suis toujours là ! (Rires).
J'ai été correspondante pour des titres de presse pendant presque 5 ans et depuis quelques mois j'ai d'autres projets personnels. Je travaille notamment depuis l'année dernière sur la ville de Kaboul et ses habitants.
Au départ, ma démarche professionnelle était celle d'un reporter, je voulais faire surtout des news. Mais de plus en plus, je ressens une sorte de frustration à ne traiter que de sujets collés à l’actualité « chaude », donc je travaille sur des projets à moyen et long terme, des sujets plus personnels, qui ont l'ambition de sortir du strict journalisme.
Mon premier projet à Kaboul a été sur les usagers de drogues.
Kaboul © Sandra Calligaro
Kaboul © Sandra Calligaro
Kaboul © Sandra Calligaro
N'est-ce pas trop difficile d'être une femme en Afghanistan ?
Je dirai même que c'est un avantage, car j'ai accès à toute une moitié de la population, les femmes, auxquels les hommes ont difficilement accès. Je suis contente d'être une femme, peut-être que si j'avais voulu faire plus de reportages embarqués avec l'armée cela aurait été plus compliqué, mais ce n'est pas mon cas.
Pouvez-vous nous expliquer ce projet avec Médecins du Monde ? : Comment avez-vous eu l'idée, comment s'est-il mis en place et comment vous l'avez réalisé ?
J'avais déjà travaillé avec Médecins du Monde sur les usagers de drogue, ils m'avaient aidée logistiquement au début. Depuis je suis restée en relation avec l'équipe de Médecins du Monde ici, à Kaboul et nous avons continuer à collaborer.
Il y a peu, je les ai vu au siège à Paris, lors de l'un de mes aller-retour, et ils m'ont parlé de ce projet qu'ils avaient sur les migrants, projet qu'ils voulaient sortir pour les JO de Londres.
Je pense qu'ils aiment ma façon de travailler, et en plus je parle le dari (le dari est le persan parlé en Afghanistan. Il y a deux langues officielles dans le pays, le dari et le pachto), sachant que beaucoup de migrants viennent d'Afghanistan, cela pouvait nous aider. J'ai donc proposé des angles de reportages à Médecins du Monde, et cela leur a plu. Je suis partie trois semaines à la rencontre des migrants des camps du Nord-Pas-de-Calais, et de ceux qui vivent dans la rue, à Calais.
Au départ, nous voulions faire trois portraits de trois migrants, mais je me suis vite rendue compte que c'était compliqué, car les migrants vont et viennent, ils ont toujours l'espoir – et nous aussi – qu'ils réussissent à partir, donc ce n'était pas possible de les suivre, leur destin peut changer d'un jour à l'autre. Nous avons donc décidé de fonctionner par thématique.
Comment avez-vous été accueillie dans ces camps ? Cela n'a-t-il pas été trop dur pour une femme de se faire une place ?
Non, au contraire, les gens étaient contents de voir arriver deux jeunes femmes (Sandra Calligaro et l'artiste sonore Julie Rousse qui travaille avec elle). Il y avait parfois des tensions car certains voulaient rester dans l'anonymat, et beaucoup ne voulaient pas témoigner à visage découvert. En plus de cela, nombreux sont ceux qui sont à bout de nerfs, donc ce n'est pas toujours évident à gérer. Mais lorsque les migrants que j'ai rencontrés ont vu que nous restions un peu plus longtemps que beaucoup d'autres journalistes et photographes, ils se sont radoucis.
Pourquoi avoir accepté de faire ce documentaire ?
J'ai voulu témoigner de ce que je voyais en apportant une plus-value qu'est celle offerte par la photographie. J'ai essayé de faire beaucoup de suggestions dans ces images, sans pour autant tomber dans le pathos, c'est important de ne pas les desservir non plus. C'était essentiel aussi de ne pas tomber dans le pathos car même si les conditions de ces migrants sont difficiles voire insupportables, ça a été aussi un choix pour eux de quitter leur pays.
Le son qui est ajouté permet d'appuyer les images. J'espère que le public pourra ressentir tout ce que j'ai vécu pendant ces trois semaines, et permettre aux gens de réfléchir sur des situations données.
Jeux Olympiques 2012, le revers de la médaille © Sandra Calligaro
Qu'est-ce qui vous a le plus marqué dans ces rencontres ?
Je me suis rendue compte à quel point c'était épuisant d'être toujours dehors, en chemin. La plupart des gens que j'ai rencontré sont déterminés et ne pensent qu'à une chose : Londres.
Ca a été beaucoup plus éprouvant pour moi de travailler en France, sur ce projet, qu'en Afghanistan. Savoir que tout cela se passe dans mon pays, je me suis sentie encore plus impuissante.
Qu'est-ce qui a été le plus difficile dans ce reportage ?
C'est de voir les conditions précaires dans lesquelles vivent ces gens. Dans les camps, ils ont des abris, ils ont un endroit pour se réfugier. Alors qu'à Calais, ils sont dans la rue, puisque les squats sont régulièrement fermés. La police les traque tous les jours. Il y a à Calais une atmosphère pesante, on les voit attendre toute la journée. Dans les camps, ils peuvent se mettre un peu plus à l'écart. Mais il ne faut pas oublier que dans les camps ils vivent aussi dans des conditions précaires même si Médecins du Monde y construit des abris et des latrines. Beaucoup d'infrastructures mises en place par MDM et les communes avoisinantes sont détruites …
Jeux Olympiques 2012, le revers de la médaille © Sandra Calligaro
Quel est votre meilleur souvenir ?
On oublie souvent que ces migrants sont pour beaucoup des jeunes. Ils sont nombreux à avoir entre 18 et 20 ans, donc ils nous faisaient parfois des blagues, essayaient à des moments d'être légers...
Je peux sans doute raconter cette anecdote : pour la journée mondiale des réfugiés (le 20 juin) les associations du Calaisis ont organisé une après-midi festive : repas amélioré, activités et spectacles… J’avais organisé un mini-stand photo : chacun, les bénévoles, les travailleurs sociaux, les migrants pouvait venir se faire tirer le portrait et j’imprimais en direct.
Devant le pied et l’appareil photo, tout le monde était au même niveau, et ça été amusant de voir les poses que les jeunes (et les moins jeunes) adoptaient ! A la rigolade pour certains, avec beaucoup de sérieux pour d’autres. Il n’y avait plus d’étiquettes « migrant », « Afghan », « Soudanais », « réfugié », « bénévole »… juste des photographiés.
Jeux Olympiques 2012, le revers de la médaille © Sandra Calligaro
Propos recueillis par Claire Mayer