Patrick Rémy et Simon Procter, Deauville © Claire Mayer
Patrick Rémy écrit depuis longtemps sur l'univers de la photographie. Depuis 1992, il a collaboré à de nombreux titres de presse, comme Vogue France, Le Journal des Arts, Beaux-Arts, Jalouse USA, Paradis … Aujourd'hui, il rédige surtout des articles pour le magazine de mode Numéro, et pour AD, qui traite d'architecture, de décoration, d'art et de design.
Les compétences de ce boulimique de travail ne s'arrêtent pas là. Depuis 2008, il enseigne à L'Ecole Cantonale d'Art de Lausanne, et il est directeur pour la France des éditions Steidl. Il a ainsi édité de nombreuses monographies de grands photographes, comme Daido Moriyama, Massimo Vitalli ou encore Bettina Rheims.
Pour la troisième année, il dirige artistiquement le Festival Planche(s) Contact de Deauville. Ainsi, en plus de son rôle clé dans cet événement qui prend chaque année un peu plus d'ampleur, il participe, au quotidien, à la résidence des photographes professionnels et des étudiants en compétition pour le prix de la Fondation Louis Roederer.
Rencontre avec un passionné de la photographie, qui est également l'un des pilier du festival deauvillais.
Comment êtes-vous devenu directeur artistique du Festival ?
Bettina Rheims m'a appelé un jour en me disant que le maire de Deauville avait le projet de faire un festival de photo, elle a donné mon nom et a organisé un déjeuner avec lui, car pour elle j'étais la personne adéquate pour cela.
Vous êtes donc sur le projet depuis le tout début ? Comment avez-vous vu le festival évoluer ?
Oui je suis là depuis le début. Pour le tout premier (en 2010), c'était encore balbutiant : je n'avais que 6 étudiants, pas de scénographe ect. Les choses se sont ajustées et améliorées au fil du temps.
Nous avons de plus en plus de moyen et de reconnaissance.
Au départ, quand le maire m'a parlé de son envie de mettre en place un festival de photographie, c'était bien sûr une bonne idée, mais il y en a tellement qu'il fallait trouver une spécificité. La spécificité est double : des photographes viennent en résidence poser leur regard sur la ville de Deauville, ce sont des commandes photographiques de la ville, et en même temps oeuvrent des étudiants d'écoles européennes de photographie, que nous faisons travailler comme de grands photographes.
Les lieux d'expositions ne sont pas nombreux à Deauville, nous en avons que deux, et c'est le problème que nous avons actuellement et que nous essayons de développer. Nous organisons également des expositions en plein air, mais étant donné que le festival a lieu chaque année en octobre-novembre, c'est tout de suite plus compliqué !
Il y a d'autres manifestations qui soutiennent de jeunes photographes comme SFR jeunes talents, le prix HSBC pour la photographie ect …
J'ai eu cette idée de faire travailler des étudiants car j'enseigne moi-même à L'ECAL (l'Ecole cantonale d'art de Lausanne). L'idée est que pour être bon photographe, il ne suffit pas de faire une école d'art ou de photo, mais de mettre en pratique ses compétences sur le terrain.
Ce que je ne voulais pas, c'était exploiter ces jeunes en leur demandant des images que nous exposerions après gratuitement, donc nous avons mis en place ce concours. Lors de leur résidence, ils ont un budget à gérer et il y a un prix à gagner, d'une valeur de 3000 euros. Ils sortent de l'école, et c'est vraiment leur propre commande, leur propre sujet qu'ils choisissent et réalisent en une semaine de résidence à Deauville.
Comment les étudiants sont-ils choisis ?
En général, je contacte les écoles, comme une sorte d'appel à candidature, et ceux qui postulent préparent un synopsis de leur sujet. Puis je me rends dans les écoles, je les rencontre, discute avec eux. A la fin des entretiens, je fais une sélection, puis je discute avec leurs professeurs et les responsables des écoles.
La première année j'avais choisi six étudiants de l'ECAL, puis la deuxième année il y en avait trois de l'ECAL et trois du Royal College of Art, et comme la diversité avait très bien fonctionné, j'ai encore étendu ma sélection cette année . Ils sont huit cette année. Ils viennent de quatre écoles différentes d'Europe : deux étudiants de l'ENSP d'Arles, deux de NABA (Nuova Accademia di Belle Arti) de Milan, trois de l'ECAL et une du Royal College of Art de Londres.
Quelles sont les retombées de ce festival ?
La deuxième année, il y a plus de 10 000 personnes qui sont venues aux expositions. Nous avons eu de très bons articles dans la presse.
Surtout, le festival a un impact dans la carrière des étudiants. Par exemple, l'étudiante qui a gagné il y a deux ans a été deuxième au festival de Hyères et s'installe à Londres pour travailler pour de grands magazines de mode. C'est un bon tremplin pour eux, et le fait d'être en résidence en même temps que de grands photographes leur permet d'avoir des conseils, de pouvoir discuter avec eux ect … C'est ce que je recherche aussi, c'est que des étudiants qui ne se connaissent pas apprennent à le faire et travaillent conjointement dans cette résidence. Et le fait qu'ils soient en contact avec des photographes professionnels peut leur permettre pourquoi pas d'obtenir un poste d'assistant, d'avoir des contacts …
Combien y-a-t-il de membres dans le jury ?
Le jury comporte 10 membres.
Les délibérations ne sont-elles pas trop compliquées ?
Je ne fais pas partie du jury mais je participe aux délibérations, et je défends parfois les étudiants quand le jury hésite. Je suis tout le déroulement de leur projet puisque je suis avec eux pendant toute la durée de leur résidence donc j'ai vu leur façon de travailler et j'ai compris leurs idées. Parfois je donne donc quelques précisions sur leurs démarches.
Pour l'instant, les deux dernières années, il y a eu quasiment unanimité, le problème ne s'est pas réellement posé. Par rapport aux goûts du jury, je savais à peu près jusqu'à maintenant quels seraient les lauréats.
Comment se passent les relations entre l'administration et vous ? Arrivez-vous à vous mettre d'accord ?
Au fil des éditions, on commence à mieux se connaître, ce qui facilite nos relations. Le festival évolue positivement au fil des années donc ils me font confiance et comprennent de plus en plus mes exigences.
Comment réagissent les Deauvillais ? Sont-ils réceptifs à la photographie ?
Souvent je demande aux gens qui regardent les images dans la rue de me donner leur avis et ils sont ravis. L'année dernière par exemple, le travail de David Amstrong a été très bien accueilli par le public, c'était des images en noir et blanc, entre le paysage et le portrait, et ils ont fait des commentaires qui étaient intelligents. Un libraire local a d'ailleurs organisé une signature de son livre, et il était très content car il avait vendu plus de livres que la semaine d'avant à Los Angeles
Vous travaillez également dans l'édition, n'aimeriez-vous pas éditer un livre ?
Nous sommes en train d'en préparer un, sorte de livre catalogue, que nous allons éditer avec les éditions filigranes, pour l'année 2011-2012, qui sortira pour le vernissage, et il y en a déjà eu un sur l'année précédente, c'est un ouvrage qui regroupe tous les photographes qui ont participé au projet.
J'ai remarqué, en suivant les photographes deux jours pendant leur résidence, qu'il n'y avait aucune compétition entre eux, mais qu'ils s'entraidaient
C'est vraiment ce que je veux, je ne souhaite pas qu'ils soient en compétition les uns avec les autres mais plutôt qu'ils se lient les uns aux autres. Au final, je pense que les étudiants sont plus déçus de ne pas avoir été choisis pour le projet qu'ils ne sont déçus de ne pas avoir gagné.
Finalement, « l'idéal c'est de participer » pour eux, et représente l'esprit de Planches contact.
Que deviennent les œuvres une fois le festival terminé ?
C'est un marché public, toutes les œuvres des photographes reconnus restent la propriété de la ville de Deauville. La ville peut les utiliser pour la communication interne et sur plusieurs supports sauf commerciaux mais ils n'exagèrent pas en général. Ils peuvent réutiliser les images pour organiser d'autres expositions par exemple. Le photographe conserve évidemment ses droits sur ses images, et la ville ne touche rien dessus bien sûr.
J'ai remarqué que vous n'étiez pas que directeur artistique mais que vous vous occupiez de beaucoup de choses : vous épaulez, aiguillez, aidez les étudiants !
Oui car ils ont besoin de conseils, ils arrivent dans une ville qu'ils ne connaissent pas donc je fais mon possible pour les aider, et pour veiller également qu'ils suivent leur projet et qu'ils ne s'éloignent pas de leur idée initiale.
C'est la première fois que vous êtes directeur artistique d'un festival ?
Oui, j'avais été directeur artistique de plusieurs expositions en Australie, en Chine et au Japon, mais ce projet de festival est le premier pour moi.
Qu'est-ce qui vous plaît le plus ?
J'aime bien le passage des connaissances avec les jeunes photographes. J'enseigne donc j'aime être en contact avec de jeunes photographes pour leur apprendre des choses. J'avais édité le premier ouvrage de Charles Fréger, et depuis il me demande des conseils, me montre son travail.
J'ai gardé contact avec les ¾ des photographes des années précédentes, ils me demandent encore des conseils, il y a un « après » planches contact et c'est très intéressant.
Propos recueillis par Claire Mayer