Hugues Lawson commence la photographie assez jeune.
Son père est photographe amateur et très rapidement Hugues lui subtilise son matériel. Assez vite, il se dit que ça pouvait être un métier intéressant, d'être photographe. « Au lycée, il y avait un laboratoire photo, un prof qui donnait des conseils comment développer, comment tirer et ça m'intéressait. Un an plus tard, j'ai eu la chance des photos des invités d'une émission de radio qui s'appelait à l'époque « la grosse boule » sur radio nova, avec des invités assez prestigieux. Les animateurs étaient Edouard Baer et Ariel Wizman, donc c'était assez rigolo comme émission. C'est à ce moment là que j'ai commencé à photographier vraiment. Ces photos ont été publiées dans Nova Magazine, premier support pour lequel j'ai publié, après ça a été des magazines de musique, l'Affiche ou encore des magazines de reggae ou de hip hop. En 2003, je me réoriente par la force des choses vers le sport. La passerelle entre le sport et la musique s'est faite naturellement, parce que je photographiais des groupes de musique aussi bien aux Etats-Unis, qu'en Jamaïque qu'à Paris, et je me suis retrouvé à photographier des footballers, des basketters. Comme ils ont la même culture musicale, urbaine, que j'ai moi-même, visuellement parlant, il y avait des choses communes.
J'ai eu la chance de côtoyer l'été 2003, via un projet pour une marque de basket Tony Parker, j'ai été avec un ami producteur amené à aller chez lui, on a réalisé pas mal d'images.
Fort de cette expérience, j'ai eu plus d'images de sportifs à montrer, et j'ai commencé ma collaboration avec l'Equipe en tant que portraitiste reporter. Je travaille toujours pour l'Equipe, en indépendant.
En même temps que je pigeais pour des magazines de musique, j'étais assistant pour un photographe de nature morte qui s’appelle Franck Dieleman, décédé il y a deux ans maintenant. A ses côtés, j'ai acquis une connaissance de la lumière. Parallèlement à cela, j'assistais un autre photographe, Mai Lucas, portraitiste très talentueuse. »
Un photographe boulimique de travail, donc, mais au talent remarquable.
Rencontre avec celui qui a mêlé son amour de la musique à sa passion pour la photographie, en immortalisant le 2 juin dernier les fans qui se pressaient au concert de Kanye West et Jay-Z, « Watch the throne ».
© Hugues Lawson
© Hugues Lawson
Vous avez commencé avec quel appareil ?
Avec un nikon FE2, puis j'ai eu le FM2, et après je suis passé au Kodak en 2003, le DCS, une machine de guerre en numérique, et depuis je suis passé au canon, le 5D.
Je continue à shooter en argentique, avec le Hasselblad, 503CW, que j'ai acquis en 2003. Tout le travail que j'ai fait sur les sportifs cet été là, je l'ai réalisé avec celui-ci, j'avais une optique fixe, un 120 macro, après j'ai eu un 80 et un 50, et je me suis beaucoup amusé avec cet appareil.
J'ai eu un F4 de Nikon que j'utilise assez peu, mais il avait une particularité amusante, je pouvais enlever le viseur, et du coup on a une visée gendarme, un peu comme le Rolleiflex.
Pourquoi les portraits ?
Parce que j'aime les gens. J'ai très vite découvert en étant assistant de Franck Gilman que je n'étais pas exactement fait pour photographier les voitures, ou les bijoux ce qu'il faisait d'ailleurs extrêmement bien. J'avais besoin d'un contact, d'une réponse, ce que les objets ne me rendent pas bien. Plus spécifiquement, j'aime les gens de la rue, les inconnus.
J'aime rentrer en contact avec eux, arriver à prendre le meilleur d'eux-mêmes et qu'il me le rendent bien !
© Hugues Lawson
Quel est votre photographe de prédilection ? Quel photographe vous a donné envie de le devenir ?
J'aimais beaucoup, un peu moins aujourd'hui, Bettina Rheims, je suis un grand fan de William Klein, j'adore Richard Avedon, Irving Penn est mon maître. Dans les photographes plus récents je suis un grand fan de Patrick Swirc, j'ai longtemps aimé Jean-Baptiste Mondino, moins aujourd'hui, même si je le trouve incroyable parce que c'est un caméléon, il règne sur l'univers de la presse et de la publicité depuis 30 ans, sans que personne ne puisse prétendre dépasser son niveau.
J'aime beaucoup Annie Leibovitz, qui est une grande source de réflexion et d'inspiration. J'ai découvert assez tardivement Helmut Newton, c'est très intéressant de voir de quelle façon il fonctionnait.
Doisneau m'a énormément influencé parce que je suis parisien, son Paris nostalgique que je n'ai pas connu m'a toujours beaucoup touché et ému. Henri Cartier-Bresson également, mais je trouve qu'il voit des choses que le commun des mortels ne peut pas voir.
Mais la puissance visuelle des documentaires de William Klein est sans doute ce qui m'a le plus marqué. A 17 ans, on me fait découvrir Mohamed Ali « The Greatest », je prends une claque magistrale ! Non seulement il est photographe, plasticien, peintre, directeur artistique, réalisateur, mais en plus il fait des choses qui sont uniques. Il m'a vraiment probablement le plus influencé.
Surtout pourquoi les parisiens ?
C'est le côté urbain qui m'intéresse. A l'époque déjà j'aimais photographier les gens avec un objet en commun. Mais Paris est magique, parce que j'aime la voir évoluer cette ville, j'aime la voir muter, mûrir, grandir, changer. Je deviens un peu plus vieux donc je fais un peu de nostalgie en disant « Ah ! C'était mieux avant ! Cet endroit-là était vide et aujourd'hui ils sont tous là, c'est branché ! ».
J'aime Paris pour sa diversité, chaque arrondissement a son fonctionnement, ses modes, ses codes.
J'habite à Ménilmontant, et quand je regarde les escaliers à deux pas de chez moi au-dessus de la petite ceinture, je me dit « Tiens, ce sont les marches de Willy Ronis », je reconnais cette phase là de Doisneau … Ces images-là m'émeuvent.
Je suis amoureux de cette ville. Quand je la quitte trop longtemps elle me manque. Je suis vraiment issu de ce terreau là. J'ai la chance – ou la malchance je ne sais pas – de n'avoir grandi que dans Paris, d'avoir eu pour bibliothèque celle de Beaubourg. Je suis fasciné par la mutation des Halles, plus jeune on voyait des toxicos, des alcooliques en bas de chez nous dans le quartier, (même si c'était sûr parce qu'il y avait une vigilance policière), j'aimais cette électricité qu'il y avait dans l'air.
Au lycée (j'étais à Sophie Germain), à deux rues il y avait la maison européenne de la photographie, donc quand j'avais des heures de libre j'allais visionner des vidéos de Klein, de Newton là-bas pour comprendre et apprendre.
J'aime Paris pour sa richesse, à tous les niveaux.
© Hugues Lawson
© Hugues Lawson
Et les Parisiens ? (rires)
Je les aime bien quand même ! Le parisien est mal aimable par rapport à l'américain, mais de part les différentes vagues d'immigration, de part sa diversité, le parisien est unique. Je l'aime bien parce qu'il s'habille différemment du reste du monde, il prétend avoir la science ultime en terme vestimentaire. Le parisien est fier, il est prétentieux, mais il y a une petite touche d'unique dans la façon dont il s'habille, qui vient souvent de la banlieue – ils se nourrissent de la richesse des alentours – mais … j'aime les parisiens !
Qu'est-ce que vous cherchez à immortaliser quand vous prenez ces clichés ?
Le petit grain de folie que l'on a quand on est jeune, et que l'on perd souvent en vieillissant …
Ils essaient d'être uniques. Certains y arrivent, d'autres sont des copies conformes de la dernière réclame de grandes chaînes, mais ils ont un truc en plus.
Que vous inspire la jeunesse parisienne ?
De la fascination, de l'émerveillement, de la curiosité, et beaucoup d'interrogation. Parfois, j'essaie de comprendre comment ils fonctionnent. Quand j'ai commencé mon livre « Les jeunes parisiens », il y avait à l'époque une mode, celle de la tecktonik. Je me demandais où était sa finalité, je n'arrivais pas à comprendre leur fonctionnement. Puis au contact de jeunes, quand je parlais avec eux, je me rendais compte qu'ils avaient une autre façon de s'exprimer que moi, et c'est ce qui m'a donné envie d'approfondir ce sujet.
Parlez-nous de la série que vous avez fait à la sortie du concert de Kanye West : comment avez-vous eu l'idée, pourquoi ces jeunes vous ont intéressés et comment cette série s'est-elle mise en place ?
J'ai déjà fait d'autres concerts, et ça fait longtemps que je me dit qu'il faut en immortaliser d'autres.
Par exemple, je suis allé photographier des jeunes devant le concert de Justice à l'Olympia, et le fait que ces jeunes gens s'identifient par leurs codes vestimentaires, aux artistes, ça m'intéresse. Je vais souvent vers eux pour comprendre, j'ai besoin de savoir.
Devant le concert de Booba j'ai fait il y a quelques mois un travail similaire : on a mis un fond, je faisais venir les jeunes et photographiais leur unité, ou leurs différences.
A l'époque de Saian Supa Crew, le public arborait le jaune comme couleur unique (qui est la couleur du groupe ndrl). Visuellement, c'est beau à faire, et c'est intéressant cette cohérence.
Pour Kanye West, lorsque je suis allé au concert le vendredi soir, il se passe quelque chose d'incroyable : Kanye West et Jay-Z ont réussi à ouvrir le champ des possibles, et tous se reconnaissent dans leur musique : urbains, branchés, bourgeois, tout le monde est représenté.
Du coup je décide de faire quelque chose sur ce sujet. Le lendemain, j'ai trouvé des amis pour m'assister, c'est une mission plutôt compliquée car il faut pouvoir être assez nombreux pour les faire venir, leur faire signer les autorisations, leur faire signer mon questionnaire qui cherche à savoir pourquoi ils viennent, connaître leur activité et les musiques de l'artiste qu'ils apprécient.
J'ai installé mon fond blanc à côté de l'entrée principale, avant le concert, pour avoir encore la lumière du jour.
Ces jeunes vont au concert comme ils vont à un défilé de mode. C'est la même excitation du « j'existe, je veux me montrer et je veux qu'on me reconnaisse ».
Jay-Z est un précurseur de mode, au même titre que Kanye West. Ils disent « bleu », les gens vont s'habiller en bleu, il dit « vert », les gens vont s'habiller en vert …
J'ai selectionné mes modèles en fonction de leur diversité, et de leur singularité.
© Hugues Lawson
© Hugues Lawson
© Hugues Lawson
Si vous pouviez photographier un musicien, ce serait qui ?
Miles Davis, sa musique m'émeut énormément, et il avait une « gueule » incroyable.
Un autre serait Michael Jackson, parce que vestimentairement parlant, c'était un tueur ! Il a brisé les codes en s'habillant en rouge, en fluo …
Quel serait votre alter égo musicien ?
Renaud. Parce que Paris. C'est amour qu'il porte pour Paris, il me l'a transmis. J'ai grandi en écoutant ses chansons, c'est mon premier concert au Zenith. Sa musique m'émeut.
Si vous deviez traduire votre chanson en musique, ce serait quoi ?
Ce serait de la musique joyeuse, probablement à consonance africaine, ça pourrait être Manu DiBango, ou « vous les enfants de la ville » de Renaud.
Des projets pour la fête de la musique ?
Ce serait intéressant d'aller shooter, mais je n'y tiens pas. Il y a certains endroits où je deviens agoraphobe, cette violence qui règne dans l'air, où il y a toujours un risque potentiel que cela bascule de l'autre côté, je n'aime plus cela.
Quel concert vous a le plus marqué ?
Outre celui de Renaud, c'est le « Dangerous Tour » de Michael Jackson à l'hippodrome de Vincennes. C'est aussi ce qui m'a donné envie de faire de la photographie, c'est que j'ai besoin d'immortaliser certains moments. Plus jeune, c'était une maladie, j'avais toujours un appareil sur moi. J'avais réussi à entrer dans le concert avec l'appareil, j'ai pu prendre des photos – qui valent ce qu'elles valent ! - C'était un moment incroyable.
J'ai aussi l'envie d'assister à certains concerts et d'en conserver une trace. C'est pour cela qu'au fur et à mesure je me suis orienté vers la photo avec la musique.
Vous avez fait des portraits de musiciens ?
Beaucoup de chanteurs jamaïcains (Elephant man, Cappelton...), la scène française hip-hop parisienne (Booba, Lunatik, Oxmo Pucino) parce que finalement c'est la musique avec laquelle j'ai grandi. J'ai fait une pochette d'album de Bisso na Bisso. J'ai fait Amadou et Mariam …
Propos recueillis par Claire Mayer