Antananarivo, 1985 © Gérard Manset
Les Journées ensoleillées de Gérard Manset : entre images du passé et souvenirs du présent
Après dix-huit albums en tant qu’auteur-compositeur, Gérard Manset, animé par une envie insatiable de voyages et de découvertes, expose à la galerie Vu' du 6 avril au 19 mai 2012. Une exhibition exotique où l’on retrouve une sélection de photographies issues de son livre Manset, journées ensoleillées, paru en septembre 2011 aux éditions Favre. Le point avec le « mythe Manset » qui nous dévoile quelques clefs pour « entrer dans le rêve » .
A travers ses carnets de voyages en solitaire, il revient à des impressions poétiques avec des séquences photos en couleur ou en noir et blanc, parsemées de très beaux textes et de paroles de chansons. Des images authentiques, qui font voyager d’Asie en Amérique centrale en passant par l’Afrique.
Perfectionniste, exigeant, il veut « le maximum de tout » et travaille souvent seul. Ces nombreux voyages l’ont inspirés pour ses albums, ses livres, mais aussi son travail photographique. Davantage connu pour ses œuvres musicales, celui qui s'est nommé « Manset » au recto de son album éponyme de 1972 - et « Gérard » au verso - dispose d'une palette aux couleurs artistiques variées : les arts graphiques, l'écriture mais aussi la photographie.
En 2011, il rassemble ses images, organisées sans critère spatio-temporel. Le titre Journées ensoleillées évoque un temps passé et d’enfance où il faisait toujours beau. De ce corpus, constitué d’une centaine d'images, l'auteur d' Animal on est mal - son premier 45 tours, auto produit en 1968 - et la galerie Vu' en ont extrait une quarantaine : à la vue des photographies, force est de constater la cohérence de Manset, qui estime « élémentaire qu'un artiste soit par définition complet ».
« Dans la garde-robe de l'artistique, c'est un autre costard »
Son but n'a jamais été de se revendiquer photographe. « Cartésien, immédiat, pour aller très vite et ne rien perdre », il se décrit comme un « esprit très compliqué mais pas torturé ». Il ne s'est jamais intéressé à la photographie tel un passionné de photo. Souvent agacé par certains photographes, il a pu les critiquer pour cette aspiration à vouloir imposer un style, revendiquer quelque chose. Souvent en compagnie de son « Nikon FG, priorité au diaphragme et avec une vitesse mécanique », il favorise « un grand angle, pas le 24 prôné à l'époque, mais le 2.28 », toujours dans son sac à côté de « pellicules avec lesquelles [il] couvre tout », il utilise une « ouverture de f/2, de nuit comme de jour, en plein soleil ou pas, et quelques rouleaux de Kodakrome pour les « grandes occasions », ou petites d'ailleurs ». Il se balade et écrit tout en capturant des objets, des lieux, des personnes, véritable témoignage de son « amour esthétique pour des objets » (illustré dans la chanson Face aux objets, p. 211 du livre Journées Ensoleillées).
Une question existentielle le guide dans sa démarche photographique : « Que ne peut-on plus montrer ou plutôt, que peut-on montrer dans la photographie ? ». Selon l'artiste, « on ne peut plus maintenant montrer que l'intime, le codé, le ramassé, le réduit et puis le fétichisme ou le fétichisme intime ou encore l'intimité fétiche ». Solitaire, l'autodidacte file la métaphore : « dans la garde-robe de l'artistique, la photo c'est un autre costard, un autre attribut ». L'aventurier aime le beau et est « plus sensible à la façon dont une photographie est chargée par le passé ». Sa conception de la photo : vivre un rêve éveillé, sa méthode : « concrétiser, mémoriser, fixer un cadre très précis ».
Salvador de Bahia,1990 © Gérard Manset
Au risque de devoir rétorquer à certains détracteurs « c'est mon univers, très enfantin ; c'est mon jouet », Manset dit ne pas se poser la question du choix. Sa marche de manœuvre pour stimuler l'imaginaire en photo, comme en musique, s'apparente à un « échafaudage mental bien que le travail soit immédiat, instantané ».
« Les photos s'arrêtent en 1996. Je ne crois pas me tromper en disant que c'est le reflet de ce que le monde était encore peu de temps avant, jubilatoire, doux, tranquille. »
Sur les murs de la galerie Vu' tout comme dans sa compilation ensoleillée, Gérard Manset capture de nombreux enfants, tantôt souriants, tantôt silencieux; mais aussi des chambres d’hôtel aux lustres parfois tremblants, des pierres vues d’avion qui ressemblent à des hippopotames, des façades de bar, des bancs héraldiques, des parcmètres exotiques, des plats aux saveurs lointaines, des transports. S'enchaînent Manaus et ses chevaux de carnaval, Lomé et ses rues hantées par des femmes aux boubous majestueux, Bogotá et ses rails à la mexicaine. En somme, des photographies qui immortalisent des impressions, des sentiments, des souvenirs, un décor, une époque, une mentalité. De temps en temps, entre jeu et entorse narcissique, Manset se glisse dans le cadre. « Les photos s'arrêtent en 1996. Je ne crois pas me tromper en disant que c'est le reflet de ce que le monde était encore peu de temps avant, jubilatoire, doux, tranquille.» L'évocation de ce monde perdu fait allusion à une « époque où l'on devait aller chercher les choses soi-même, ce monde qui était difficilement intelligible », déplore-t-il.
Considérant côte à côte son œuvre musicale et ses photos, on comprend que « tout est lié » : à l'image du Royaume de Siam (1979), de Marin'Bar (1979) ou encore des Tristes Tropiques (1991), ses compositions se font souvent l'écho de souvenirs de voyage. Toujours en centre-ville, dans les quartiers sensibles où il se passe des choses, le poète est habité par « une impérieuse nécessité de trouver l'endroit dévolu ». Lui-même reconnaît son tempérament pas toujours facile à vivre : « je veux des réponses, peut-être est-ce cela qui m'a donné cette réputation d'exigeant pour ne pas dire « exigeant ultime ».
Surprise de l'accrochage : des tirages réhaussés à l'acrylique et au vernis qui n'étaient pas prévus initialement. Quarante-huit heures avant l'inauguration, l’auteur s'est amusé à peindre certaines photos « parfois abîmées ou du moins pas très exploitables » (les « macules »), soucieux de marquer la différence avec le reste de l’exposition.
La Havane © Gérard Manset
« Jalonner le jeu de piste, un peu à la manière de Gauguin ou de Nerval » qu'il cite régulièrement, voilà ce qu’il aime. « Cultiver le mystère ». Déjà à l'époque, une aura s'était créée autour de l'auteur de La Mort d'Orion - l'un des premiers albums-concepts français (1970) - un oratorio rock-symphonique aux arrangements élaborés, dans la veine de ceux des Anglo-Saxons Pink Floyd. La rareté de ses apparitions médiatiques, l'absence de concerts et cette pudeur artistique notoire ont fait de lui un personnage à la fois culte et énigmatique, spontané et authentique, et dont le naturel reste fascinant malgré la renommée. Lui qui a rencontré de nombreuses personnalités, a-t-il tiré le portrait de ses quelques compères ? « Je l'ai fait parfois, mais strictement professionnellement. J'aurais aimé c'est vrai, et j'ai regretté pour Alain Bashung, mais dans les conditions de Bleu pétrole, ce n'était pas envisageable... ».
En fin d'ouvrage, il s’émeut de ce XXIème siècle « affadi et dénaturé, voire déshumanisé parce que soumis à cette égalité des genres : tout se vaut ». Aujourd'hui, « nous sommes dans une génération du « mâchouillé », avec une volonté incessante de tout expliciter ». Il « regrette l'absence de magie » : d’après lui « le monde expliqué n'est pas un monde vivable ». Jules Renard pensait que « le vrai bonheur serait de se souvenir du présent. », un idéal que Manset semble avoir repris à son compte, comme une victoire de l'instinct sur la raison.
Texte et propos recueillis par Ambrine Benyahia
Le 26 avril 2012.
FAVRE ÉDITIONS
Format 24 x 24,3 cm 291 pages
Parution : 2011
Prix public : 45 euros
Vignette : Antananarivo, 1985 © Gérard Manset