Rémy Fenzy, directeur de l'ENS Arles.
À l'occasion de ses trente ans, l'École Nationale Supérieure de la Photographie d'Arles lance une série d'événements, au coeur desquels la parution d'un ouvrage aux éditions Actes Sud : Qu'avez-vous fait de la Photographie ?, qui revient sur l'histoire de l'école et ses projets à venir. L'école est aussi au centre de la programmation des prochaines Rencontres, dont nous vous détaillions dernièrement le contenu : http://actuphoto.com/21265-les-rencontres-d-arles-2012-les-expositions.html.
Directeur de l'ENSP Arles, Rémy Fenzy répond à nos questions et éclaire les dynamiques actuelles de l'école.
À qui s'adresse l'ouvrage Qu'avez-vous fait de la Photographie ?
Il s'adresse un peu à tout le monde. 30 ans après les débuts de l'école, il était important de savoir si la formation reçue par les étudiants avait du sens. 300 élèves, soit la moitié de nos anciens étudiants, ont répondu à nos questions. Pour une question de sens, d'esthétique, et pour que le livre ne soit pas trop volumineux, nous avons choisi une centaine de réponses. Au début, nous avions favorisé les anciens qui font aujourd'hui de la photographie leur activité première, leur métier. Nous avons ensuite élargi à des témoignages plus portés sur l'émotion, plus énigmatiques. Il y a par exemple le témoignage d'un ancien élève devenu skipper qui, aujourd'hui, utilise sa formation pour photographier sa famille sur son bateau.
Le livre s'adresse aussi aux anciens de l'École, mais également à son personnel et à ceux qui n'étaient pas directement impliqués dans la vie des étudiants. C'est avant tout un livre de photographie.
La question de départ était «Qu'avez-vous fait de la photographie ?», mais beaucoup d'élèves ont plutôt répondu à la question «Qu'est-ce que la photographie a fait de vous ?»
Cette question était une manière de savoir ce qu'ils ont pu faire de leur formation, comment ils l'exploitent aujourd'hui, quelles sont les problématiques qu'ils ont rencontrées dans notre établissement et comment ils les ont affrontées avec le temps. Ce sont souvent les plus âgés qui ont répondu sur l'influence qu'a eue la photographie sur eux, il faut dire qu'ils ont un regard rétrospectif sur l'ensemble de leur parcours...
30 ans, n'est-ce pas trop tôt pour revenir sur son passé ?
C'est juste. L'ENSP est la seule école d'art en France entièrement consacrée à la photographie : nous proposons l'étude la plus poussée à ce sujet. Nous sommes la seule école dans l'hexagone qui forme des photographes-auteurs. Les autres écoles sont plutôt « appliquées ». Les autres écoles d'art, qui proposent d'autres formations artistiques, traitent la photographie comme la gravure par exemple ; le médium photo n'est pas au cœur de leur travail.
Nous acceptons les candidatures à partir de Bac+2 mais les élèves qui postulent sont parfois déjà titulaires d'un DNSEP ou bien ils viennent d'autres écoles de photo. D'autres ont un master. Les candidats ont déjà une formation significative derrière eux, ils sont plus âgés, plus mûrs, et la plupart font de la photographie un projet de vie. Sur les 400 candidats qui se présentent au concours chaque année, les 25 qui sortent diplômés sont assurés de trouver un emploi, comme photographe ou professionnel de l'image (Clément Chéroux, un ancien diplômé, est par exemple conservateur de Beaubourg aujourd'hui).
Dresser le bilan de trente ans de cette formation singulière et de parcours originaux nous semblait aujourd'hui pertinent.
Comment situez-vous l'ENSP face à des écoles étrangères comme Düsseldorf ou l'ICP de New York ?
Le principe de l'ENSP, en plus d'être un projet de vie et de revendiquer une pratique photographique libre, est la pluralité : nous refusons de répondre à un courant esthétique particulier. Je ne me compare pas aux autres écoles internationales ; notre différence cependant est que nous sommes un établissement public. Aussi, les autres écoles privilégient parfois certains aspects plutôt que d'autres, la technique, le reportage… À l'ENSP, toutes les sensibilités sont respectées. Quand on constate que seuls un ou deux élèves de Düsseldorf deviendront des futurs Gursky, Feuerbach,... c'est à eux qu'il faut poser la question, leur demander ce que deviennent les mille autres anonymes !
Dans le cadre de la deuxième année, les élèves sont invités à « s'expatrier ». Ils découvrent ainsi ce qu'il se fait ailleurs et ouvrent leurs pratiques. Nous avons une très belle relation avec l'ICP par exemple, et nous savons que les étudiants de cette école qui viennent chez nous veulent travailler sur le paysage, notamment camarguais... Ou parce que nous proposons cette année là quelque chose que leur école ne développe pas ou pas assez. Parmi le nombre croissant de postulants à l'École, les étrangers représentent environ 17% de nos effectifs. Ils ont de réelles capacités, les compétences linguistiques nécessaires, et viennent de tous les horizons : l'Asie, l'Amérique latine, l'Afrique, le Canada ou des régions comme le Moyen-Orient.
Paolo Nozzolino / Commande du Centre Méditerranéen de la Photographie
Quel avenir imaginez-vous pour la photographie et quel rôle pour les nouvelles technologies ?
Je lui vois un très bel avenir. J'ai le sentiment que de plus en plus de personnes s'intéressent à la photographie. On a à faire à des étudiants de plus en plus exigeants qui savent qu'une belle image c'est avant tout une réflexion. Je me rends compte également que le public est de plus en plus important, et c'est une bonne chose.
Interdire, renier les photographies retouchées ou se couper du flux d'images issu d'Internet serait une aberration. Nombreux sont par exemple les photographes à avoir eu recours à leurs téléphones portables, avec parfois des résultats très intéressants. Le plus important reste de savoir distinguer des points de vue et les comprendre.
À l'heure du numérique, qu'apporte l'enseignement d'une école ?
Une école de photographie se révèle encore plus précieuse, précisément parce qu’elle ne réduit pas l’apprentissage à ses aspects essentiellement techniques. L'exigence pédagogique de l'École d'Arles se révèle alors bienvenue, ce qu'illustre le succès rencontré par notre département de formation continue créé en 2007.
Une école de photographie apprend avant tout à regarder le monde. Quand les élèves passent nos concours, nous cherchons moins à juger leurs capacités techniques que leur capacité à voir et rendre compte du monde qui les entoure.
Notre programme est riche. Au-delà de la technique, on enseigne l'histoire de la photographie, de la philosophie, de l'épistémologie, de la sémiologie,... sans parler de notre bibliothèque et ses 14 000 volumes. Nos étudiants sont en contact permanent avec l'histoire de la photo.
À travers Qu'avez-vous fait de la photographie, nous découvrons que les relations avec les Rencontres d'Arles n'ont pas toujours été faciles. Quels sont aujourd'hui vos rapports avec le festival qui se consacre cette année aux trente ans de l'ENSP ?
Formidablement constructifs.
Il existe une sorte de « diaspora » de l'ENSP ; à chaque fois que François Hébel, directeur des Rencontres, se rend quelque part, il y a toujours un diplômé « derrière la porte » comme il le dit lui-même. Nous avons donc jugé intéressant de questionner la photographie française.
Le programme de cette année est excellent et propose des partis pris esthétiques inattendus. Certains peuvent considérer que Les Rencontres d'Arles prennent ici des risques. Nous, on trouve cela admirable.
Quelles évolutions espérez-vous pour l'école ?
Des améliorations architecturales, principalement. Vous n'êtes pas sans savoir que nous devons intégrer les anciens ateliers de la SNCF. Il y a une officialisation politique à faire ; les travaux avec les programmistes sont finis, il ne nous reste plus qu'à les réaliser. Nous sommes à l'étroit ici. Mais bien que le monde politique ne soit pas insensible à la photographie, le contexte économique n'est pas favorable. Les politiques doivent accorder de la confiance à nos étudiants : l'art photographique a une réelle capacité à transformer le monde, à le faire bouger.
Enfin, en tant qu'ancien diplômé, qu'avez-vous fait de la photographie ?
Je donne une réponse d'institutionnel dans l'ouvrage, mais également une réponse personnelle à travers l'image suivante : celle de mon fils tenant un appareil photo. C'est ma réponse familiale, mon point de vue...
Raphaël ; juillet 2010 © Rémy Fenzy
Propos recueillis par Aurélie Laurent.
Mardi 17 avril 2012.
Qu'avez-vous fait de la photographie ? aux éditions Actes Sud, 400 pages, 400 illustrations, 49 euros. 19,4 x 25,5 cm.
Vignette : Rémy Fenzy, directeur de l'ENS Arles.