
Après avoir rencontré l'iniatiateur de Hobo, nouveau titre de l'Equipe (http://actuphoto.com/21190-le-sport-en-images-1-2-hobo-trimestriel-de-sport-et-de-reportages-lanca%EF%BF%BD-par-l-equipe.html), nous donnons la parole à Antoine Bréard, rédacteur-en-chef de Yards : un magazine trimestriel lancé à l'automne 2011 qui se consacre aux « Grands reportages et au sport ». Il défend une vision de la presse faite de convictions, de déontologie et d'ambition, et qui accorde une place de choix à la photographie de qualité.
Nous avons découvert le magazine Yards lors du dernier congrès de l'Union des Photographes Professionnels, auquel un de vos fondateurs participait. Quelle est sa genèse ?
Avec Alexandre Sicault, nous nous connaissions depuis 6-7 ans. Tous les deux journalistes, nous avions aussi une passion pour le rugby et plus généralement le sport. L'idée a donc commencé à germer, et nous avons commencé à travailler sur le projet en 2010. Depuis ce moment, nous avons regroupé en livre un sujet qui ne tenait pas dans le format du magazine : L'amour du maillot, un ouvrage qui fait raconter à 75 joueurs de rugby leur amour pour un maillot particulier. Et nous avons continué à travailler le projet de Yards, en mettant la photo et les sujets de fond au cœur du projet.
Comment avez vous choisi les photographes qui collaborent à Yards ?
Je suis moi-même photographe pour le magazine, en plus d'être auteur. J'ai par exemple réalisé les portraits du sujet sur les Cavaliers moi-même, des portraits classiques, avec toujours la démarche de raconter des choses par la photo. Ensuite William Dupuy a fait le sujet sur les Ultras, un très beau sujet dont je suis très fier parce qu'il y a un vrai propos journalistique et une vraie enquête, qui a pris une résonance particulière avec les évènements ultérieurs sur place. On veut produire de belles photos, des textes que l'on prend le temps de lire, où il se passe quelque chose : parce que ça apporte au récit et parce aujourd'hui, quand on sort un support et que le lecteur dépense cinq euros, il faut qu'il en ait pour son argent. Tous les sujets que je sors, je veux qu'ils soient justifiés, justifiables, inscrits dans une ligne éditoriale. Je veux dire quelque chose. Et c'est ce critère que nous appliquons aussi au choix de nos photographes.
Avez-vous suivi la parution de Hobo, le magazine de l'Equipe ?
Ce qui est sûr, ce que nous avons bien réfléchi à la meilleure façon de sortir Yards. Sortir en librairie comme Hobo, on y avait pensé, mais les coûts de fabrication et les implications n'étaient pas du tout les mêmes que pour sortir un magazine, en kiosques.
Nous avons une fierté : en terme de fabrication, nous sommes pro-actifs. C'est une profession de foi : je préfère faire des supports très qualitatifs, même quitte à perdre un peu d'argent mais que les choses soient faites avec une âme et une envie, et des principes, un engagement pour le métier... Je voulais faire vraiment des reportages longs avec de la photo. On a donc six reportages, après l'enquête, et d'autres rubriques. On voulait aussi être accessibles en termes financiers : on est à cinq euros. Tout cet équilibre est à trouver, et nous y travaillons continuellement.
Nous voulions faire du photojournalisme "à la sauce sport", parce qu'on est passionnés de sport et que si l'on sort quelque chose en presse aujourd'hui, il faut amener autre chose que ce qu'on peut trouver sur le web, sur du quotidien ou même sur de l'hebdo. Il fallait donc partir sur un schéma qui était celui-là, du grand reportage ; un croisement entre Géo, XXI et Polka, des titres qui nous excitaient, et être sur de l'écriture de qualité, pas forcément avec des signatures très connues. Évidemment, les signatures connues aident pour le bagage et faire parler des titres, mais il y a dans ce pays beaucoup de bons journalistes, de bons photographes. Il faut parfois juste se bouger un peu pour les trouver au sein d'un réseau que nous cultivons en permanence. Pour ce numéro, on a trois commandes, et beaucoup de productions.
Combien de personnes ont travaillé sur chaque magazine ?
On est deux co-créateurs permanents : Alexandre, et moi. Il y a ensuite un premier cercle : la graphiste (Perrine Bonafos) et deux autres journalistes, Mathieu Ropitault et William Dupuy, qui à chaque fois, font un sujet. Enfin, le secrétariat de rédaction et la retouche photo, et ensuite, c'est de l'extérieur. Une dizaine de personnes intervient sur le magazine, plus la régie pub, la fabrication et la distribution.
Je crois vraiment à la presse, à la presse de qualité et originale. Je crois qu'il faut créer aujourd'hui une autre relation avec les lecteurs autre que celle qui existe depuis quelques années parce que le web et la presse gratuite ont changé les choses. Le web peut s'apparenter à de la presse gratuite, mais pas uniquement : c'est aussi un autre moyen de consommer l'information, sur les tablettes, les téléphones... Aujourd'hui, les gens regardent de plus en plus la presse sur les téléphones. Acheter un quotidien est un acte militant, un acte d'appartenance, surtout dans une période de crise où la presse n'est pas la première dépense et que les médias comme la télévision, comme Internet, sont très puissants, et l'influence des réseaux sociaux d'autant plus.
Je crois qu'il faut raconter de nouvelles histoires et utiliser des nouveaux moyens pour raconter. C'est tout neuf et c'est en ce moment. Alors, sortir un magazine un peu "à l'ancienne" comme Yards, ça n'est pas simple. Ce que l'on a essayé de faire dans le lancement, c'est de mettre aussi en face un site Internet où l'on raconte ce qu'on ne met pas dans le papier : des prolongements, des vidéos.... Il encore à l'état embryonnaire pour le moment parce qu'on démarre ce projet avec peu de moyens. Quand je vais en Nouvelle Zélande pour faire l'enquête sur le terrain, un sujet sur les Cavaliers qui n'était quasiment jamais sorti, en parallèle de la Coupe du Monde, au lieu de faire cinquante fois l'histoire des All Blacks ou des Hakas, nous on raconte autre chose : il le faut, pour attirer les gens, mais cela a un coût.
Extrait du sujet de Mathieu Ropitault (texte) et William Dupuy (photo), Puissance Ultras, sur le club de supporters cairote des Ultras Ahlawy.
Vous inspirez-vous de titres comme So Foot, qui a su construire une vraie connivence avec le lecteur ?
Sur le ton, je ne sais pas, c'est au lecteur de le dire. So Foot touche au magnifique, à l'exception culturelle et à l'heureuse réussite industrielle. Ils ont su créer cette connivence, élever de l'anecdotique à l'intéressant et développer des sujets suffisamment lourds et sérieux pour intéresser le lecteur avec une déconne bienvenue, mêlant une parole un peu intello, intello du foot, avec de la blague de comptoir. Ils vont chercher la petite histoire dans la grande. C'est ce que nous aussi on essaie de faire. A un moment donné, il y a la Coupe du Monde de rugby : nous, on va raconter la fois où, vingt-cinq ans auparavant, les All Blacks sont allés jouer en Afrique du Sud, face à l'Afrique du Sud tenante du titre à l'époque de l'Apartheid, en ne s'appelant pas les All Blacks mais Les Cavaliers. C'est très difficile à mettre en place : quand je pars en Nouvelle-Zélande pour faire le sujet, je fais mon sujet pour Yards, et à côté je fais deux ou trois autres sujets pour d'autres supports pour pouvoir amortir les coûts de fabrication. On essaie aussi de travailler à la revente. Le sujet sur les Ultras, on l'a revendu à Der Spiegel et à L'illustré, par exemple. Mais les titres à encore publier de la photo sont rares.
Cette connivence passe par le fait de trouver un ton, un registre. C'est à cela qu'on aspire quand on fait le magazine : on met des séries modes, on essaie de trouver cet équilibre et de raconter les choses de manière un peu différente, par exemple en parlant du sport féminin, et de se faire plaisir, aussi.
Dans le numéro 3 à sortir prochainement, il y aura un sujet sur Bhopal. Parce que les JO de Londres de 2012 ont signé un partenariat avec Union Carbide. L'usine de Bhopal, qui a explosé en 1984 et fait des milliers de morts, appartenait à Dow Chemical, qui appartient à Union Carbide. Evidemment, il y a une grosse grogne en Inde à ce sujet, et nous avons voulu creuser le sujet.
J'avais par exemple fait un sujet au Laos il y a deux ans ; j'y connaissais un homme qui était chasseur de papillons. En soi, c'est déjà un métier intéressant : il y a déjà une histoire à raconter. Et il allait dans un village où les gens chassaient les papillons, pour lui et d'autres collectionneurs. On part avec un début d'histoire intéressant, on peut proposer le sujet, et si le rédacteur en chef aime un peu le risque, il peut dire : « ça m'intéresse ». Mais aujourd'hui, le système ne fonctionne plus comme ça : il est rare que les gens acceptent de prendre des risques.
Extrait du sujet de Kristen Pelous, La vie aquatique, en immersion avec le Team Elite du Cercle des nageurs d'Antibes.
Nous interviewions récemment Paolo Woods qui disait ne plus attendre les appels des rédactions. Il produit ses sujets seuls, et les vend ensuite.
Prenons le sujets sur les Ultras. William Dupuy et Mathieu Ropitault sont partis quasiment dix – douze jours avec un énorme travail nécessaire pour s'intégrer sur place. Tout le monde prend sur soi, eux et nous. A force de tels efforts, la situation des photographes est précaire.
Catherine Steenkeste est une française qui a travaillé pendant huit ans en NBA pour les Lakers. Elle est partie là-bas avec un appareil qui ne ressemblait à rien, et et au fur et à mesure, comme beaucoup de photographes indépendants aujourd'hui, s'est acheté du matériel. Nous publions son portrait d'Isiah Thomas dans le deuxième numéro de Yards.
Les bons photographes existent, mais ils ne sont pas si nombreux. Certains tournent beaucoup et gagnent leur vie, pas toujours très bien, mais la gagnent, et de l'autre côté il y a les photographes passionnés qui ont autre chose à côté, et qu'on essaie, nous, de faire travailler.
Quels ont été les retours après la parution du premier numéro ?
On a eu des commentaires positifs, et pas mal de presse pour le reportage sur les Ultras. Les confrères nous ont encouragé et ont un peu mieux identifié le titre, ce qui est difficile à obtenir. Mais je n'écris pas pour les confrères. Si le confrère en tant que lecteur s'y retrouve, je suis très content, mais j'écris pour raconter des histoires qui nous touchent : cette histoire des Ultras, c'est vraiment le sujet type de ce qu'on aime raconter, comme Bhopal. Il y a une actualité qu'il faut mettre en perspective, et l'on raconte le sport via la vie, via le monde, via la résonance du monde. C'est ce qui est important. On ne peut pas avoir cinq sujets comme celui-là par numéro, parce que cela coûte cher à produire et qu'il ne se passe pas tous les jours des évènements de ce type-là, donc on complète avec des sujets un peu plus théorisés, un peu plus décalés et marrants.
L'idée, au lieu de théoriser sans fin la presse et sa crise, c'est de « faire les choses », hic et nunc, quitte à se planter peut-être, mais en creusant le projet avec la même ambition jusqu'au bout.
Extrait de Fast and Serious, un portrait de Teddy Tinmar ancien footballeur devenu "pépite du sprint français". Texte et photo d'Antoine Bréard
Où en est la production du prochain numéro ?
Il sort lundi prochain (lundi 2 avril, ndlr).
Avec un sujet sur Bhopal, un autre sur la pelote basque à Miami - qui est le seul endroit où la pelote basque est professionnelle - un autre sur la compagnie de l'équipe de Chamonix pour la fin de saison d'hiver... On a aussi un sujet sur les surfeurs chrétiens au Portugal fait par William et Mathieu, sur l'équipe de France féminine de rugby où on les fait parler à la première personne... Des sujets toujours différents, et des petites rubriques avec des photos sympas et un peu décalées. L'idée, c'est de progressivement réussir à appliquer à tous les sports la même variété de traitement que celle qu'on sait pour l'instant consacrer au football.
Le site de Yards Magazine : http://www.yardsmag.com/
Propos recueillis par Antoine Soubrier.
Lundi 2 avril 2012.