Alors que l'Equipe lance en cette fin mars Hobo, un trimestriel mêlant sport et reportages photo à la manière d'un Six Mois (pas de publicité, vente en librairie) dont le succès, un an après son lancement (http://actuphoto.com/18878-entretien-avec-marie-pierre-subtil-redactrice-en-chef-de-6-mois.html) n'en finit plus d'inspirer les rédactions, nous avons voulu laisser la parole à son initiateur, Jean-Denis Walter, rédacteur en chef de l'Equipe Magazine.
Auprès de son rédacteur en chef Antoine Briard, nous avons également choisi de nous intéresser à Yards, un magazine trimestriel vendu en kiosques, qui fait lui aussi la part belle aux reportages autour du sport et place au cœur de son projet une foi inébranlable dans la presse de fond et de qualité. Son interview constitue la deuxième partie de notre série Le Sport en Images, bientôt en ligne.
Quelle est la genèse de Hobo ?
Jean-Denis Walter : J'étais rédacteur-en-chef de L'Equipe magazine pendant cinq ans, et l'idée est née de là ; souvent, on touchait des sujets photos parce qu'on produisait énormément et le format d'un magazine, sa structure,6-7 pages par sujet, laissait une certaine frustration, en tous cas en ce qui me concerne, à ne pas pouvoir publier ou de manière que très partielle, les sujets. Mais le vrai déclic, pour la forme en tous les cas, est la sortie de 6 Mois, en mars 2011. Ils ne m'ont pas appris ce que c'était que le grand reportage, mais la forme, le modèle économique, le look. On a donc conçu le titre vraiment comme un livre, avec un prix adapté, 20 euros.
Je voulais un titre qui ne soit pas trop sport, le sous-titre («Le sport au delà des clichés») et la mention de L'Equipe nous mettent déjà dans l'univers sportif. Ce n'était pas la peine d'en rajouter, d'autant que quand on le regarde, c'est au-delà de ça : il y a une dimension, une profondeur... C'est l'un de mes anciens adjoints de L'Equipe Mag qui m'a proposé le mot de Hobo, en me disant que cela resterait une simple sonorité pour ceux qui ne comprendraient pas et ramènerait les autres à cette idée de vagabondage. Il y aussi eu cette chanson de Charlie Winston qui l'a remis un peu à la mode. Le terme m'a plu parce qu'il renvoie à ce qui fait la valeur du titre : on se balade en le lisant, notamment à travers le monde.
S'agit-il d'images d'archives, de productions ?
Il n'y a qu'un seul sujet que j'ai récupéré dans les archives : celui du tennis (Millésime 1999, un reportage sur l'édition 1999 du Tournoi des Petits As, une compétition de juniors au programme delaquelle on trouve Jo-Wilfried Tsonga, Rafael Nadal, Richard Gasquet... NDLR). Je raconte d'ailleurs dans le making-of l'histoire de ce sujet. Richard Gasquet était déjà connu à l'âge de douze ans, il avait fait à 10 ans la couverture de Tennis Magazine c'était déjà une petite vedette. Avec le rédacteur-en-chef de l'époque, on s'est lancé dans un reportage en immersion, non seulement sur Gasquet et le tournoi, mais sur les rapports entre les joueurs, les parents, etc.... C'est le photographe Guillaume Herbaut, peu habitué aux sujets de sport, qui a couvert le sujet, et la victoire de Gasquet, qui à cette époque dominait très nettement ses adversaires.
C'est un sujet qui dormait dans les archives, 80 planches contact dont on avait publié que 6-7 pages. On l'a ressorti, remis des noms sur les visages, et constaté la proportion exceptionnelle de participants à s'être illustrés ensuite, en plus d'un travail photographiquement intéressant. On y voit le caractère des joueurs se dessiner, et la différence de traitement de Gasquet, qui passe son temps seul avec son père et sa mère, les fans, les radios. Il est déjà dans une bulle, comme un vrai pro, et on peut se demander plus tard si cette insouciance, le contact avec les autres et la rigolade ne lui ont pas manqué.
Quarts de finale. Ces images se passent de commentaires. Elles en disent tellement sur Rafael Nadal. Il vient de perdre son match contre Richard Gasquet, il passe de la colère à l’anéantissement. Son ami Nicolás Almagro essaie de lui faire relativiser les choses… Cette rage, cette haine de la défaite qui l’habite déjà expliquent notammentle champion qu’il est devenu. © Guillaume Herbaut
A part ça, les sujets sont des productions ?
La plupart des sujets sont soit des achats, si je tombe sur des photos magnifiques, non publiées, que je trouve à la hauteur, parce que ce sont des sujets de 20 pages, soit des productions. On a beau avoir un patrimoine exceptionnel à l'Equipe, il nous faut de l'inédit.
L'exemple de 6 mois montre que le pari économique est tenable...
Il est tenable, c'est pour ça que ça a déclenché quelque chose chez moi : j'ai constaté l'existence d'un public pour ce genre de formats.
Quel est le critère pour le choix des sujets ?
On cherche de vraies histoires, qui aient du fond. On peut même parler d'un événement. Imaginons que je lance un photographe sur Wimbledon ; on traitera alors l'âme du tournoi, pas juste de l'édition en cours.
Prenons le sujet sur le FC Union, un club d'Allemagne de l'Est qui regroupe des « ostalgiques ». Le photographe les suivait depuis 25 ans, il avait une sorte de sympathie pour eux. Je lui ai demandé de finir son sujet ; il y est retourné en décembre dernier, et la dernière photo est très émouvante « 17000 personnes réunies dans un stade où ne se joue pas de match, là pour chanter ». On en revient à la racine de la notion de club.
2008. Manifestation de joie après un but de l’Union contre Erfurt © Harald Hauswald
Nous cherchons des histoires qui se racontent par les photos, les légendes, et quand je fais appel à des contributeurs, il ne s'agit pas forcément de journalistes. Le texte, en aucun cas, ne doit raconter la même histoire que les photos. On a par exemple demandé à Wolfgang Becker, le réalisateur de Goodbye Lenin, de nous parler de l'Ostalgie.
Dans la rubrique «Une vie en images», je raconte un grand personnage du sport, par les images : ici, sur Alex Ferguson, avec la complicité d'un journaliste de l'Equipe Mag qui le connait depuis 25 ans. Ce coach a quand même fait gagner la coupe d'Europe à Aberdeen, une équipe d'ouvriers...
« J’ai vécu trois années palpitantes à Dunfermline, en marquant 45 buts lors de la saison 1965-1966 pour 51 matches disputés. J’ai aussi connu la déception d’être écarté de la finale de la Coupe d’Écosse 1965 au dernier moment et d’avoir traité le coach de “ sale bâtard ”. Je n’en suis pas fier. » © SNS GROUP
La troisième rubrique concerne un lieu du sport ; je suis très sensible aux lieux, à l'âme de certains lieux sportifs. Je pense au Nou Camp à Barcelone par exemple.
Les agences partenaires seront-elles toujours les mêmes ?
Certaines reviendront souvent, notamment les plus importantes, parce qu'elles ont une production invraisemblable, mais je me permettrai d'inviter de temps en temps une petite agence, même un peu exotique, pour voir leur vision du sport, leur traitement.
C'est une sorte de zapping, mais l'intérêt est de les laisser choisir : Reuters par exemple, qui suit l'actualité sur tous les fronts, ont choisi de m'envoyer un choix original. On revisite ainsi trois mois de sport, mais en évitant les clichés habituels. Même l'agence Presse Sport, l'agence de l'Equipe, m'a donné des sujets inattendus : le tour du Rwanda, un sujet sur Ready Cash, le cheval qui a gagné le Grand Prix d'Amérique, les courses de trucks aux USA...
Avez-vous des chiffres de vente en tête, des objectifs ou des rêves ?
J'ai des rêves, bien sûr ! Mais concrètement, on commence par un tirage à 20 000 exemplaires.
Ce lancement prouve aussi que L'Equipe a les moyens ou du moins l'envie d'investir dans la photo aujourd'hui, alors que l'on parle beaucoup de la baisse de production et des commandes de photo dans la presse.
Il en a toujours été ainsi à l'Equipe. Je me rappelle qu'à une époque, le journal produisait près de 200 sujets par an. Il y a une culture de la production qui vient du fait que c'est un groupe né sur un quotidien, où il y a une forme d’autarcie : on préfèrera toujours produire qu'acheter, même à coût équivalent. Et dans une matière comme le sport, tellement photogénique, c'est extrêmement important. Le quotidien L'Equipe est lui-même un quotidien illustré, on sent qu'il y a un soin, des envoyés spéciaux... La tradition photographique à L'Equipe est très importante, et je ne suis pas sûr que nos archives aient un équivalent mondial. Sport Illustrated peut-être…
L'Equipe est apparu en 46, mais sur les cendres d'un quotidien et sa collection, elle, démarre au début du siècle. On a les tours de France depuis le début sur plaques de verre, par exemple !
Créé à la demande des soldats afghans, le terrain de volley est aussi utilisé par les Français. Le volley est même leur seul sport récréatif. Il est toléré parce que les risques de blessures y sont peu importants. Les soldats français le pratiquent le plus souvent entre eux et parfois avec les soldats afghans pour nouer des liens. De nombreuses opérations destinées à développer les contacts avec la population locale ont d’ailleurs consisté à construire des terrains de volley dans les villages. © Franck Seguin / L’Équipe
Avez-vous pensé à une déclinaison du titre sur Internet ?
Oui, nous verrons en fonction du succès du titre papier et si les choses se passent bien. Je pense que la version Ipad, l'Internet, suivront. Mais tout cela demande du développement, et donc de la réflexion sur les contenus à imaginer.
En quoi consiste le partenariat avec France Info ?
Ils nous accompagnent pour le lancement, et ce partenariat part aussi de l'idée de l'élargir le spectre traditionnel des lecteurs de l'Equipe ou des amateurs de sport. Le Monde vient par exemple de nous consacrer une pleine page, mais en culture, pas en sport : c'est une première réussite.
Hobo, 208 pages, 20 euros, disponible en librairie.
Propos recueillis par Antoine Soubrier.
Jeudi 29 mars 2012.