Paul-Antoine Briat et Alexandre de Metz, les deux fondateurs de YellowKorner © photo : Les Parisiennes
Augmenter le tirage pour réduire le coup unitaire d'un cliché, c'est la recette -payante- de YellowKorner. Depuis six ans, la galerie-éditeur a bien grandi (vingt galeries vont ouvrir en 2012) et croit en la démocratisation de l'achat d'images et la promotion d'artistes émergents, comme le fait Taschen. Rencontre avec Alexandre de Metz, l'un des deux créateurs.
Quel est votre parcours et comment l'idée de lancer ce concept est-elle venue ?
Nous sommes tous les deux des mordus de photo. Je suis passé par HEC, après avoir fait du droit. L'autre fondateur, Paul-Antoine Briat a également étudié à HEC, mais a un parcours plus financier. Il a notamment suivi Jean-Marie Messier dans la création de sa banque d'affaires à New-York. Il en est revenu avec les compétences nécessaires à la création et au développement d'une entreprise comme YellowKorner.
De mon côté, j'avais travaillé dans le milieu de la musique classique. Avec René Martin, l'un des plus grands organisateurs de concerts au monde, qui a démocratisé la musique classique en créant La folle journée de Nantes. En invitant près de 1500 musiciens et vendant près de 200 000 billets, il a rendu accessible cette musique au plus grand nombre, ceux qui n'osent pas ou ne peuvent pas se rendre à un concert à la salle Pleyel. Le concept s'est dupliqué, et des statistiques ont montré que pour près de 55% des gens, c'était leur premier concert de musique classique. Je me suis dit que c'était extraordinaire d'ouvrir ces mêmes portes dans la photographie.
Je baigne dans la photo depuis tout petit. J'ai eu la chance d'avoir un père qui possédait un Hasselblad et un Rolleiflex. Il y avait même un laboratoire dans la maison ! Dès lors, j'ai eu la passion du tirage, du développement, la prise de vue, en souhaitant y travailler plus tard. En travaillant dans la musique classique, j'ai réalisé la similitude entre le coté sclérosé de la musique classique, chère et difficile d'accès pour le grand public, et la photographie et ses galeries où en tant que jeune, je me sentais pas vraiment à l'aise. J'ai donc eu l'idée, avec Paul-Antoine, de casser ces barrières dans l'accès à la photographie, qui prenait sa place dans l'art contemporain. Sachant qu'il y avait déjà l'engouement, l'appétence des collectionneurs, les prix devenaient exorbitants. Nous avons donc voulu remédier à cela, en faisant la synthèse de la Folle journée, mais aussi de Taschen, qui ont réussi à démocratiser leur activité, sans faire de compromis sur la qualité ou la ligne éditoriale.
Comment s'est passée votre rencontre avec Yann Arthus-Bertrand, l'un des premiers "grands" à vous avoir soutenu ?
Il faut un peu de chance dans la vie et là je dois dire que l'on en a eu beaucoup ! Je rentrais tout simplement en train chez mes parents dans le Loiret. Il se trouve qu'Arthus-Bertrand fêtait son anniversaire dans le train, dans un wagon privatisé. Cela faisait deux semaines que nous avions lancé le projet et, en traversant le train, je vois l'un des photographes les plus populaires faire la fête. Une opportunité comme cela, il fallait la saisir. Je l'ai donc approché, là dans le train. Au départ, il était un peu perturbé, il croyait au gag. Mais au fur et à mesure il a été séduit par l'idée de diffuser de façon qualitative, à l'époque à la FNAC, ses photographies à un prix grand public. Il était sensible au fait de rendre accessible ses photos, par ses livres notamment. Il a dit d'accord, tout de suite. Si je ne l'avais pas rencontré comme cela, cela se serait passé différemment.
Comment avez-vous pu ouvrir votre première galerie dans le Marais ?
Yann Arthus-Bertrand a apporté de la crédibilité à notre projet de diffusion de photos, au départ à la FNAC, puis dans les librairies jusqu'à la création de notre première galerie, en 2007, rue des Francs-Bourgeois à Paris. Si nous avons pu l'ouvrir aussi vite, c'est aussi grâce à au concours des Jeunes Créateurs du Commerce, organisé par Unibail-Rodamco. Nous avons décroché le 3eme prix, une dotation de 200 000 euros pour l'ouverture d'un magasin. Coup de chance encore, les deux premiers comportait une obligation d'installation dans un centre commercial de la marque, alors que le troisième laissait cette liberté là. Nous avons été très soutenu par l'architecte Jean-Michel Wilmotte, qui a totalement adhéré au concept, en poussant un projet que le jury ne trouvait pas assez "économique". Cette dotation nous a grandement aidé à ouvrir la galerie des Francs-Bourgeois.
La première galerie YellowKorner, située rue des Francs-Bourgeois à Paris, a été ouverte en 2007.
Aujourd'hui, quel est le poids de YellowKorner dans la photo ?
Nous en sommes à 30 galeries ouvertes aujourd'hui, avec une vingtaine d'ouverture prochaines, que ce soit en France, mais aussi partout dans le monde (Toronto, Londres, Beyrouth, Mexico...). L'avantage de la photographie, c'est qu'il n'y a pas de barrière de la langue, les images parlent à tous le monde. Il faut parfois faire attention au sujet, aux cultures des pays. Mais à quelques exceptions, la photographie est universelle et l'international permet d'offrir à nos photographes la plus grande visibilité.
Aujourd'hui YellowKorner, c'est 180 photographes, plus de 5000 images et environ 200 000 tirages vendus en 2011. Cette même année, c'est près de trois millions de visiteurs physiques dans nos galeries. Ce sera surement cinq millions en 2012 avec nos nouvelles galeries. C'est donc un poids certains pour les photographes que l'on représente. Les deux tiers d'entre-eux sont des jeunes, de la nouvelle génération. Après le reste, ce sont des institutionnels, grâce à des accords avec la réunion des musées Nationaux puis le reste sont les grands maîtres : Dieuzaide, Arthus-Bertrand, Horvat etc... Mais notre moteur, ce sont les photographes émergents.
Comment se passe le tirage des clichés des artistes de la galerie ?
Au tout début, avec nos peu de moyens, nous travaillions avec le laboratoire Rainbow Color, dans le 11eme. Mais avec une société en croissance, on a voulu assez vite internaliser le processus d'impression. Nous avons acheté nos propres machines et ouvert un centre logistique à Niort. La méthode est simple : nous créons des bons à tirer et nous les soumettons aux photographes. Il y a autant de navettes que d’insatisfaction du photographe. Quand ce dernier est pleinement convaincu par la qualité du tirage, la colorimétrie, on fixe ça dans le marbre et on lance la production. C'est du tirage en lambda, tirage argentique. Mais on se soumet aux exigences du photographe, qui a un droit de véto total sur l'impression des photographies.
Quelles ont été les réactions des galeries traditionnelles quant à votre arrivée sur le marché de la diffusion de la photographie ?
Nous devons être la première marche vers la photo, la porte d'entrée. Je pense que les galeries classiques l'ont bien compris. Bien sûr il y a eu des critiques, mais comme pour tout projet. C'était plutôt du scepticisme, attendant de voir les choses évoluer. Ils ont très vite compris que notre démarche n'était pas en concurrence avec eux, mais complémentaire. Parce que les espaces ont été clairement identifiés. Nous nous situons dans les zones de flux, beaucoup plus passantes. Les emplacements sont stratégiques, réfléchis pour ne pas concurrencer les autres galeries. Aussi, la scénarisation de notre galerie est très différente, tout en noir, en libre-service. Notre modèle est plus celui d'un éditeur, par exemple un label de disque, que celui de la galerie traditionnelle. Nous sommes un diffuseur grand public. Mais là où l'on se rapproche des autres galeries, c'est sur l'exigence sur les photographes et la qualité des photographies. C'est Paul-Antoine et moi-même qui faisons les choix, aiguillés par des spécialistes de domaines dans la photographie. La décision finale nous appartient.
Quels objectifs pour YellowKorner en 2012 ?
Toujours accroître la visibilité des photographes, à l'international notamment. Cela passe par l'ouverture des galeries à l'étranger, pour promouvoir nos photographes, mais aussi attirer de nouveaux talents étrangers, pour vraiment avoir une mixité parmi nos artistes représentés. Nous voudrions aussi nous orienter sur d'autres axes que la vente. Nous organisons déjà des cours d'Histoire de la photographie, une fois par mois avec des professeurs de la Sorbonne. L'idée est de tripler, voire de quadrupler cette cadence. Enfin, en complémentarité naturelle notre activité actuelle, il y a l'édition. Cela afin de permettre à des jeunes photographes de pouvoir émerger dans leur vie professionnelle. Les grands éditeurs aujourd'hui ne misent que sur les grands noms et il est quasiment impossible pour les nouveaux talents de promouvoir leur talent dans des livres. Grâce à nos galeries, nous pourrons, à côté des images, diffuser leurs livres. Déjà nous sortons des portfolios pour mettre en avant cette nouvelle génération, par les images, mais aussi par l'édition. L'objectif, c'est de continuer à mettre en connexion notre public avec le monde de la photographie.
Propos recueillis par Mathieu Brancourt, le 24 février 2012.
Vignette : Paul-Antoine Briat et Alexandre de Metz, les deux fondateurs de YellowKorner © photo : Les Parisiennes