Après avoir découvert le travail de Thibault Brunet et l'avoir interviewé (http://actuphoto.com/20927-laquo-une-bonne-image-est-une-image-vraisemblable-raquo-thibault-brunet-entre-jeux-videos-et-photographie.html), nous avons voulu en savoir plus sur la galerie qui le représente. Nichée à l'abri du quartier Saint-Paul à Paris, elle accueille une douzaine de photographes, émergents et reconnus. C'est sa directrice, Valérie Cazin, qui nous a reçus.
Comment et dans quel but la galerie Binôme s'est-elle montée ?
La galerie Binôme existe depuis l'automne 2009, avec au départ deux cofondateurs ; un galeriste, qui a extrait la partie photographie de sa galerie pour la transférer à la galerie Binôme, et moi, qui viens du monde juridique avec une assez forte spécialité sur le droit d'auteur. Au départ, l'idée n'était pas d'avoir un lieu fixe, mais plutôt une galerie mobile, itinérante. D'où l'idée du Binôme, avec des partenariats dans les lieux dans lequel on allait, sans lesquels nous ne pouvions exposer les artistes. Grâce à cela, nous avons pu montrer des travaux extrêmement divers, dans des lieux eux-mêmes multiples, comme le restaurant Maison Blanche ou l'espace Mobalpa. Ce dernier devient de plus en plus un espace dédié à la photographie, très qualitatif. Nous touchions alors des personnes qui ne viendraient pas forcément dans des galeries classiques, qui n'imaginaient pas trouver de la photographie dans ce type de structure.
Mais nous nous sommes vite rendus compte que ces lieux éphémères étaient perçus comme des propositions culturelles alternatives et pas du tout comme des espaces commerciaux, ce qui a fini par poser problème au niveau des ventes ! (rires). Même si les œuvres étaient à vendre, avec des prix affichés, il a fallu revenir à un fonctionnement plus classique, avec un lieu fixe, ici dans le marais depuis octobre 2010. Les expositions hors les murs continuent, mais nous nous sommes recentrés autour de la galerie, avec environ huit expositions par an. Nous profitons de l'espace de la galerie, très ouvert sur l'extérieur et lumineux. Par la suite, nous avons le souhait de réduire un peu le rythme, pour des expositions plus longues, mais également pour étoffer notre participation à des expositions durant des salons, comme Photo-Off. Cette année nous allons participer au Mois de la Photographie, mais nous y allons doucement, car cela demande du temps et de la préparation, pour ne pas se tromper et être en phase avec les orientations des lieux d'exposition.
Nous venons aussi de créer Photo District Marais, une communauté de galeries réunissant les galeries dédiées exclusivement à la photo situées autour de la MEP. C'est une réunion, à l'origine, de quatre femmes, puis nous avons fédéré Agathe Gaillard, qui est vraiment une pionnière dans le quartier et en galerie de photographie. Puis la Galerie de Thierry Marlat. L'objectif, c'est de proposer un parcours commun, pour réussir à émerger au cœur d'une actualité parisienne extrêmement fournie.
Et puis nous sommes dans un coin du Marais où les gens viennent moins, beaucoup plus calme, loin des magasins et de la foule. Des lieux un peu cachés, mais surtout un peu oubliés. D'où l'idée de recréer un parcours pour attirer les gens dans cette partie du quartier. Cela avec une vraie proposition photographique, en dehors de la MEP (avec lequel nous sommes en train de créer un partenariat). Nous nous sommes jamais considérés en terme de concurrence, mais plutôt en terme de complémentarité. Je souhaite créer une synergie et une attractivité pour faire de ce bout du marais un vrai lieu reconnu pour la photographie.
Comment avez-vous créé le contact avec les artistes que vous représentez ?
Il n'y a pas vraiment de règles. Cela dépend des artistes, mais comme mon associé possédait déjà une galerie où des photographes exposaient, ils étaient attachés à ce lien créé. Ces derniers ont tous suivi le projet et rejoint la galerie Binôme, comme Marc Michiels ou Francois Sicard.
La sélection est ouverte : en un an et demi, nous avons montré aussi bien des photographes émergents que des artistes reconnus. Dernièrement, nous avons montré le travail d'Andreas Mahl, très reconnu pour ses polaroids, John Stewart et ses natures mortes, et prochainement nous proposerons celui de Marc Garanger : ses portraits de femme, mais aussi la série inédite des portraits d'homme. Nous avions ouvert avec François Lartigue, photographe de la tradition humaniste qui est aussi le parrain de la galerie.
© Marc Garanger
Une tendance plasticienne se dégage chez nos photographes émergents. Ce sont des artistes qui sont capables de développer de nouvelles formes de photographie. C'est vraiment ma ligne éditoriale là dessus. Il y a aussi deux jeunes photographes qui n'ont pas encore été exposés -et annoncés-, qui sont Thibault Brunet et Lisa Sartorio.
Je suis beaucoup démarchée, à la galerie ou par internet. Au départ, j'acceptais de regarder beaucoup de choses, puis j'ai appris à davantage sélectionner, retenir les projets qui me touchent ou qui correspondent à ma ligne éditoriale.
Mais sinon, je tiens à suivre des artistes dont le travail n'est pas encore totalement abouti, mais que l'on veut voir évoluer. Par exemple Fabien de Chavanes, qui a été présenté à Photo-off, a été suivi pendant 2 ans avant que sa série Autoportraits Quantiques nous prouve que son travail avait atteint la maturité nécessaire pour une représentation à la Galerie Binôme.
Aujourd'hui, nous en sommes à douze artistes représentés. Après les deux derniers, je pense que nous allons faire une pause dans l'intégration de photographes émergents cette année. Car il faut également leur consacrer du temps. Contrairement aux photographes expérimentés, il faut rester au plus près d'eux pour garder une dynamique forte. Et puis, nous sommes une petite galerie ; nous avons donc besoin d'accomplir beaucoup de tâches, très multiples.
Comment avez-vous découvert Thibault Brunet ?
Cette rencontre est assez singulière je dois dire ! Je l'ai découvert sur internet, grâce une image de sa série Vice City, qui m'a beaucoup interpellée. Son ambivalence, ces jeux de faux-semblants m'interrogeaient. J'ai donc remonté le fil vers son site, ses autres travaux, ses natures mortes d'animaux empaillés C'est cette réinterprétation constante qui m'a intéressée. Là, c'est moi qui ait demandé à le rencontrer. La plupart du temps, la rencontre se fait durant des expositions ou des événements publics. Même si c'est très chronophage, à la suite d'une lecture ou d'une découverte, j'essaye d'aller voir les travaux de photographes sur internet. Mais je ne peux le faire souvent, sinon j'y passerai la journée !
© Thibault Brunet
Avec quels laboratoires aimez-vous travailler ?
Pour les photographes reconnus, la question ne se pose pas, car ils ont chacun leur laboratoire attitré, favori. Mais pour les jeunes photographes que l'on accompagne, il y a effectivement des tireurs avec lesquels nous aimons plus particulièrement travailler. C'est une phase dans laquelle je m'investi beaucoup, d'une part parce que c'est la phase finale, le rendu définitif d'un tirage, mais aussi parce que le choix du papier ou du format pèse positivement ou négativement sur la force et le propos du cliché exposé.
Les jeunes sont assez demandeurs de conseils et il n'est pas rare que nous allions ensemble chez le tireur et que nous fassions nos choix conjointement. Pascaline Marre, qui expose actuellement à la galerie, a travaillé avec son tireur, l'atelier VikArt, que je connaissais pas ; ils ont vraiment été partenaires de la production. Sinon, pour les tirages pigmentaires, nous travaillons beaucoup avec les studio Bordas. Sinon avec Picto et Central Color. Dans les plus petits laboratoires, il y a aussi Labelimage, Martin Garanger.... en espérant n'en oublier aucun !
Parlez nous de Pascaline Marre et de son exposition actuelle à la galerie Binôme, Nos Maisons de Famille ?
J'aimais beaucoup le fait que partant d'un sujet d'extrêmement intime – elle photographie ses propres enfants dans sa maison de famille – cette photographe qui travaille beaucoup le thème de la disparition, notamment à travers un long travail sur le peuple arménien, retourne ses thèmes vers l'intérieur, et diffuse dans chaque photo quelque chose d'universel qui permet à chacun de s'y projeter. Cela fonctionne bien, soit parce qu'on se trouve dans la réminiscence et le partage avec un vécu personnel, soit parce qu'elles présentent quelque chose d'un peu fantasmé sur la famille, des souvenirs d'enfance, dans lesquels on peut tous se retrouver. Les images sont très simples sur la forme, mais très chargées en émotions. La lumière est elle aussi très travaillée, on parle parfois d'un certain rapport avec la peinture flamande. Les images ont été prises au moyen format Hasselblad, ce sont des tirages pigmentaires qui répondent bien à l'envie de la photographe d'obtenir des tirages très mats, sur des papiers très blancs, presque veloutés avec des tirages pigmentaires.
© Pascaline Marre
Quel regard portez-vous sur l'évolution du marché de la photo ?
La disparition de la photographie dans la presse est une évidence et c'est extrêmement dommage ; l'information y perd en richesse et est lissée par des choix dans des banques d'images etc. Du coup, de nombreux photographes développent en parallèle un travail plus personnel destiné aux galeries, qui constitue une porte de sortie quasi-obligatoire pour eux.
L'engouement énorme du grand-public pour la photographie est trompeur : un marché, très connecté à celui du marché de l'art et aux grands collectionneurs, se maintient, mais la difficulté est plus situé dans les marchés intermédiaires, pas en termes de qualité mais en termes de prix, comme on les pratique dans nos galeries. Nos acheteurs sont peut-être plus affectés, plus d'ailleurs par la morosité que par une réelle dégradation de leur situation : les ventes sont plus longues à se réaliser, les gens reviennent plusieurs fois ; pendant cette crise, qu'on imaginait beaucoup plus ponctuelle au départ, il y a moins de coups de cœur, plus de réflexion.
Notre travail de fond finit par porter ses fruits ; mais le challenge d'une jeune galerie reste d'arriver à toucher ces collectionneurs, à se faire connaître et « cautionner » par les institutions publiques – ce qui constitue peut-être une particularité française. Il faut tenir à la cohérence de ses choix, sur le long terme.
Les réseaux de galeries qui vendent des tirages en grande série amènent probablement un public à la photographie, notamment un jeune public qui se forme l'oeil. Il s'agit généralement d'images accessibles, immédiates, qui complètent parfois les revenus de photographes développant d'un autre côté un travail plus personnel. Je pense que les gens achètent aujourd'hui de la photographie comme leurs parents achetaient de la peinture ; pour décorer leur intérieur, mais aussi avec une vraie démarche de sélection, de coup de cœur. Je crois qu'à terme, ces gens viendront par paliers à des propositions comme la nôtre, moins lisses, sur des tirages de meilleure qualité ; il s'agit bel et bien de deux marchés complètement différents.
Propos reccueillis le 23 février par Mathieu Brancourt et Antoine Soubrier.