Nous avons entendu parler d'Augustin Rebetez pour la première fois dans le magazine hollandais FOAM, il y a quelques mois, où il était présenté comme une figure montante de la photographie contemporaine. Prolifique, exposé cette année à Arles, le jeune photographe suisse nous décrit sa manière de travailler, ses sources d'inspirations et ses objectifs avec l'enthousiasme d'une génération qui n'a plus peur de la fin de l'argentique.
La première impression qu'on a de ton travail c'est celle d'une grande profusion. Y a-t-il malgré tout un fil conducteur ?
C'est ma liberté de création, ma spontanéité : je fais ce que je veux. Je suis super intéressé par la sur-production, le fait de faire énormément d'images, de vidéos, tous ces films d'animation... À la base, ça vient du fait que je fais plein d'images partout. À un moment, on les regarde sur un appareil numérique et il y en a tellement que ça fait des films. C'est presque obsessionnel. Puis, quand t'es trop fatigué, tu commences à dessiner, et après t'en peux plus, alors t'écris des trucs, t'es au milieu de la nuit mais tu vas encore faire des sculptures. Je suis comme ça.
Il y aussi des fois où tu prépares plus ton projet en amont, non ?
C'est vrai que je suis inscrit dans une démarche, il y a maintenant des choses que je recherche. J'avais ce travail sur les fêtes, mon premier sujet. Je m'intéresse aux gens autour de moi, et tout le monde (moi y compris) fait la fête, alors je me dis qu'il fallait que je fasse quelque chose avec ça (…). Et de fil en aiguille, visuellement, des thèmes se dégagent. Sans trop rentrer dans les détails, il y a cette thématique de la jeunesse, des amis, des proches, de l'énergie que les gens mettent à se défoncer la tête, faire des trucs créatifs ou positifs. Après, je m'intéresse à l'idée de la révolte, comment la jeunesse se révolte... Aussi, à la colère, et progressivement j'arrive à des thèmes. Mais ce ne sont jamais des thématiques choisies en amont, consciemment. Il y a aussi des projets parallèles : j'ai une espèce de démarche « fleuve » à laquelle se greffe des travaux annexes.
Capture et Image issues de la série Gueules de Bois © Augustin Rebetez
Je fais beaucoup de photos, mais ce sont des photos mises en scène ; avant de te prendre en photo je vais te maquiller, je vais te coller un œil, changer la coupe de cheveux, et après je vais prendre la photo ; donc, la plupart de mes photos sont «réfléchies» en amont.
Tu fais des vidéos, des films, tu dessines, des sculptures... Peux-tu revenir au commencement ?
Ca vient des parents, de l'éducation. J'ai toujours bricolé avec ma mère et mon père, ma mère nous a toujours donné des feuilles et des feuilles de dessin et elle disait « dessine, dessine, dessine !». Il y a un moment où tu dessines tout le temps, ça devient normal pour toi d'imaginer, de rêver, de lire des livres, et tu commences à avoir des idées. Tu vois pas ce que tu peux faire d'autre...
A quel moment as-tu pensé en faire ton métier ?
À la fin du Gymnase (le lycée, ndt), vers 18 ans. Je ne savais pas trop quoi faire, et il y avait une école de photo qui ne durait que deux ans en Suisse. Je me suis dit que c'était super, comme ça je faisais cette école pendant deux ans et après je verrais. Au début, je voulais faire du cinéma ; il y avait une école de cinéma en Belgique mais accessible après 25 ans. Je me suis dit que je la ferai après l'école de photographie. Finalement, je suis resté plus longtemps que prévu dans cette école, à Vevey. J'ai fait 4 ans là-bas, ça fait deux ans que je suis sorti et si je veux toujours faire du cinéma, ça sera par d'autres moyens.
Est-ce que tu appris des techniques à Vevey ou était-ce seulement un cadre pour créer ?
J'y ai vraiment appris à développer mon travail. Cette école se fait en deux parties : d'abord deux ans d'un apprentissage vraiment très technique, photographique. On te fait photographier un verre, une bouteille avec des reflets.. Tu dois gérer ça, il faut que ça soit net et basta ! C'est grâce à ça que j'ai un métier, que je travaille aujourd'hui. Après, j'ai fait deux ans en plus, pendant lesquels je me suis plus questionné sur ma façon de photographier, ce que ça voulait dire d'utiliser tel style, tel moyen... Qu'est-ce qui est important finalement. Et rétrospectivement je me rends compte que ces deux ans m'ont aidé à faire sortir ce que j'avais en moi.
L'école a été utile pour ça ? Certains photographes affirment après leurs études qu'ils n'avaient pas besoin de faire une école...
Non, moi, je suis vraiment content de l'avoir fait. Je peux pas dire que j'y ai eu beaucoup de plaisir à la faire, ou que j'en garde forcément un super souvenir, mais je sais que j'ai appris plein de trucs, des choses très techniques, très concrètes. Et ça m'a « affiné », à la fin j'avais vraiment capté quelque chose, ce que je voulais faire en fait. C'était clair.
Est-ce que ça t'a été utile pour rencontrer des gens du milieu ?
Oui, pour ça aussi c'était utile. Tu as des intervenants extérieurs, toutes les deux semaines, des photographes ou des artistes qui venaient pour une semaine... C'est déjà une bonne façon de faire des connaissances, certains ont le même age que toi ou font des trucs trop bien. Si j'ai eu la chance de faire cette exposition, c'est bien parce que j'étais dans une école de photographie, qui sont elles-mêmes liées aux musées... De fil en aiguille, tu te retrouves exposé. Si tu le fais trop de ton côté, ça peut très bien marcher mais tu as aussi le risque de ne pas arriver à percer dans le milieu.
Et pour les autres supports comme la vidéo, quel apprentissage as-tu suivi ?
C'est une école très libre.Tu fais un peu ce que tu veux. Moi, le médium que je maitrise le mieux c'est la photo, mais avec ça je fais des films, j'utilise ça comme une caméra, je m'en fous de cet appareil photo en tant que tel. Le but est de faire des films, des trucs ; aucune frontière, pas de gêne. Je peux faire ce que je veux. Pourquoi me limiter à un seul truc ? Je ne réfléchis pas comme ça.
Et du coup quand tu fais des films, pour toi c'est juste une façon de montrer tes photos d'une autre façon? Tu aimerais, par exemple, être intégré dans la chaîne de production d'un film, travailler vraiment un film, un clip....
Je reviens justement de Bruxelles où j'ai travaillé sur un clip, pas un truc à moi. Avec des passages de stop motion dedans qu'ils m'ont demandé de faire. J'ai accepté, mais je me rends compte que ça ne m'intéresse pas. Parce que justement, j'ai mes propres objets... Bosser pour d'autres, sur des grands films avec plein de monde, ça ne m'intéresse pas du tout.
J'ai envie de faire du cinéma, mais je veux rester le chef. Je suis vraiment dans l'esprit de faire les choses en petit comité. Je sais que si je veux être spontané, faire les choses comme j'aime les faire et même avec plus de moyens, plus de décors...il faut qu'on soit trois ou quatre maximum. J'ai déjà participé à des tournages où on est quinze, vingt... L'horreur ! Ça coûte cher, tu passes des mois à écrire scène par scène ce que tu vas faire, et à la fin le film est est juste ok. Cool, mais sans plus. Moi je préfère faire plein de ces petits films avec cette idée de rendre l'art soluble dans la vie, comme disait Robert Filliou. Être le plus proche avec ta démarche, et de la vie aussi. Qu'il n'y ait presque plus de frontières.
Mais est-ce que tout ça c'est compatible avec en faire son métier ? Gagner de l'argent...
Ouais. C'est dans la continuité des expositions, etc. Les gens en enttendent parler, ils se déplacent, ils voient et après ils m'appellent et me proposent des commandes. Dans la série sur les fêtes par exemple, j'ai plein de potes à poil tellement ils sont bourrés. Du coup, le magazine Têtu m'a appelé pour une série de mode, parce qu'ils trouvaient ça hyper sexy ! Je leur ai demandé s'ils se foutaient de ma gueule, ils m'ont dit non et j'ai accepté.
© Augustin Rebetez pour Têtu
C'était dans le même registre que tes photos ?
Non, c'était avec des petits mannequins luxembourgeois et suédois de seize ans. Autre chose. À Paris, dans les parcs...
Du coup, j'ai beaucoup de propositions professionnelles, sans doute parce que j'ai fait beaucoup d'expositions. Ces mandats là sont très chouettes parce que les gens viennent précisément chercher ton style, pas juste un photographe. Ce qui te permet en plus d'être plus exigeant.
Je vends aussi des images. C'est à dire que je fais des vidéos, un petit clip, que des musées veulent acheter. C'est vraiment idéal, et j'aimerai me développer dans ce domaine parce que les commandes, parfois c'est dur. Quand c'est de la mode enfantine par exemple...
Tu as fait de la mode enfantine ?
Une fois. Des françaises qui font des pyjamas pour les enfants. Tu passes la journée avec les mamans dans ton dos, qui font des sourires à leurs enfants. C'est un peu chiant.
C'est drôle qu'elles aient pensé à toi pour des enfants, avec ton style d'image...
J'ai une sœur danseuse, qui fait des spectacles. J'ai fait une photo pour elle, et tout est parti de là : l'affiche était réussie, un théâtre de Genève m'a appelé pour en faire d'autres, et ces créatrices de mode enfantine les ont vu et trouvé « rafraîchissantes ». Ca se passe souvent comme ça. Je n'ai donc pas à courir après le travail, mais je me rends très visible avec mes petits films avec mes expos. Je ne peux pas trop demander du travail aux gens, c'est donc important que beaucoup de monde voie mon travail. C'est par exemple comme ça que j'avais rencontré Erik Kessels, en présentant mon travail à une lecture de portfolios à Arles ; au milieu de tous ces types impressionnants, qui ont l'air le plus méchant possible, il n'était pas content de ce qu'il avait vu dans la journée mais mon travail l'a beaucoup intéressé. J'ai finalement gagné le concours interne des lectures de portfolio, et la récompense, c'était une expo solo l'année suivante !
Qu'as -tu aimé à Arles cette année ?
Honnêtement, pas grand chose. Si, il y avait cette expo sur Gabriel Figueroa, un chef-opérateur de Bunuel : des films avec des cow-boys qui te tirent dessus, des nanas qui se font battre, le tout dans une église à Arles. Thomas Mailaender, un copain, était exposé, mais je connaissais plusieurs travaux donc j'ai pas halluciné en les voyant.
Et l'expo qui a beaucoup fait parler d'elle, From Here On ?
Ca ne me touche pas beaucoup. Pourtant, je suis assez fan de tous ces trucs de collection d'images. Internet, etc. Le problème aussi, c'est que je connaissais pas mal des travaux exposés. Le travail fait avec les caméras de surveillance, où il y a des insectes devant. Une araignée passe, une mouche... C'est assez chouette. Mais tous ces trucs, tu les as vu mille fois, et c'était pas super bien organisé.
On est surpris parce que tu es dynamique et plein de joie alors que tes œuvres sont tristes, angoissantes, et plutôt proches de films de série B.
Quand je travaillais sur les fêtes, j'étais déjà intéressé par l'aspect triste des gens. Maintenant j'ai une passion pour tout ce qui fait un peu peur, mais au second degré. Ce qu'on fait avec les copains, les petits monstres et tout, on le fait en se fendant la gueule. On se déguise en monstres, on fait des têtes, « ouah ça fait trop peur, c'est trop bien ! ». On sait que c'est pas vrai, mais on va envie de faire des choses un peu mystérieuses, nocturnes, des rêves, on sait pas trop ce qui se passe, c'est très étrange... En même temps, je trouve toujours que, surtout avec les films d'animation, ça devient vite assez drôle. On essaye d'être sérieux, mais on y arrive pas !
Capture du Diner de l'Homme Seul © Augustin Rebetez
Cet hiver, en Norvège, j'ai fait ce truc qui s'appelle Le Dîner de l'homme seul. C'est un tableau qui se promène dans sa maison. Mon idée c'était de faire un truc triste : un mec qui est tout seul, qui se promène dans sa maison. C'est un tableau, il ne peut pas bouger et puis les gens ne l'aiment pas. A la fin, il meurt ! J'ai demandé à mon pote qui fait la musique, de faire une musique vraiment longue, calme, rien de drôle... Même si finalement, les gens qui regardent le truc se fendent la gueule !
C'est toujours lui qui fait la musique ? Elles sont très importantes dans ton œuvre...
Pour les animations en tous cas, c'est aussi important que l'image. Par exemple là, je suis en train de faire une animation, mais je n'ai pas vraiment d'histoire, alors j'ai fait plein de séquences dont je ne savais pas trop quoi faire. Il y avait une caisse avec des canettes en alu dedans, je l'ai animée. Du coup, il y a plein de canettes qui bougent dans la caisse, je me disais « ça ressemble à des poissons, qui viennent d'être pêchés, qui frétillent » mais pour qu'on comprenne ça, faut que le pote fasse un son qui fasse comprendre que c'est la mer et qu'il y a des poissons, pour qu'on se dise « Ah ouais, trop marrant les poissons... ». Sinon, il n'y a que moi qui imagine ça.
Qui sont les autre personnes qui travaillent avec toi ?
Il y a rien de très fixe. Je travaille beaucoup avec ce même pote pour la musique, avec qui on fait aussi des animations. Il y a un autre bon pote, Noé, avec qui je fais des animations, mais il y a aussi pas mal de va-et-vient. Pour l'animation, des fois, je travaille avec des nouvelles personnes, parce que l'animation ça prend du temps. L'animation c'est ça, c'est avoir un minimum de contraintes. Le « b. » qui écrit les textes de mon site, c'est Baptiste, un pote qui vient de la même région que moi et qui a émigré à Copenhague il y a quelque temps. Il est très sarcastique comme garçon, il déteste ce que je fais, enfin il apprécie mais en même temps il trouve que c'est de la merde. Et du coup je lui ai demandé d'écrire les textes.
Tu disais tout à l'heure que tu aimais bien les collections de photo, d'images, est-ce que tu regardes beaucoup de films et de photos ? Quand on voit tes images, il y a plein de références qui viennent en tête, comme le duo TONK.
Je les connais pas, mais je connais leur travail. Ce sont des travaux qui peuvent facilement être mis dans le même panier, ils font des structures, avec Macdonald, des photos aussi travaillées. Ils ont fait l'école de Zurich, suisse allemande. Maintenant ils sont à Berlin. J'aime beaucoup des travaux comme ça. La première fois que j'ai vu ça j'ai fait « ouah », j'ai trouvé ça drôle, il y a plein de petites idées... Ca fait plaisir à voir. Et puis tout de suite, ça marche. Tu peux le montrer à des potes qui n'ont pas fait de photographie.
Et tu regardes le travail d'autres photographes ?
Pas spécialement. J'ai regardé et je regarde encore plein de films. Je me nourris de plein de choses, je suis de plus en précis sur ce que je veux faire. Il y a de plus en plus de choses qui ne m'intéressent pas, en fait. Mais de temps en temps, un truc me passionne, un réalisateur dont je vais regarder 15 films, auquel je vais m'intéresser profondément.
Un de tes projet dans un bar, Altro Mondo, fait penser aux œuvres de Petersen, sa série café Lehmitz particulièrement.
Ca par exemple, c'est un type dont je connaissais même pas l'existence. J'étais en train de faire ce travail à l'école, je faisais des photos au bistro, et puis au bout d'un moment je montre ces images et les gens m'en parlent. Effectivement, j'ai regardé depuis, il a fait un peu la même chose. Ce qui est intéressant c'est de partir de là où les autres se sont arrêtés.
Altro Mondo, © Augustin Rebetez
La dernière découverte que tu aies faite ?
Le Caire nid d'espions, avec Jean Dujardin...(rires). Non, plus sérieusement, hier une écrivaine est morte, Agota Kristof. C'est une hongroise qui a fuit la guerre. Elle écrit dans un Français parfait. Elle a travaillé à l'usine toute sa vie, en même temps elle était traductrice dans 42 langues. Le Grand Cahier, c'est le truc le plus connu qu'elle ait fait : c'est un livre qu'on a lu quand on avait douze ans. C'est écrit avec des mots tellement simples qu'on les donne aux enfants, pour comprendre la guerre. Des phrases hyper simples. Elle a fait aussi un petit recueil de nouvelles, C'est égal, au Seuil et Poche. C'est un tout petit livre avec une trentaine de petites histoires qui durent une page ou deux, pas plus. C'est hyper agréable à lire, c'est pas un super gros roman qui dure des heures. En quelques mots, elle dit des trucs hyper touchants. C'est un livre que j'ai acheté 4 ou 5 fois, parce que à chaque fois je le donne en disant « Il faut absolument que tu lises ça». J'aurais voulu la rencontrer.
Tu as déjà eu à faire des portraits ?
Je me suis retrouvé accrédité à un gala pour une marque de stylos, j'étais embauché par une marque de voitures, et au lieu de prendre en photo les voitures, j'ai uniquement pris les célébrités. Une expérience assez inintéressante.
Je bosse aussi pour les maisons d'édition, de littérature, je fais des portraits d'écrivains. C'est assez chouette de rencontrer des gens qui vont sortir des livres ; il y en a qui sont gênés, qu'il faut rassurer. Mais je n'ai jamais bossé pour la presse. Plutôt le domaine culturel, les maisons d'édition, les théâtres, les compagnies de théâtre. Des photos de scènes. Des graphistes m'engagent, aussi. À l'avenir j'aurai peut-être moins de temps....
Et travailler avec la presse justement ? Des reportages par exemple...
Je vais justement faire un reportage pour un hebdomadaire suisse sur le Jura, parce que je connais le Jura et je connais un journaliste spécialiste du Jura, donc j'ai accepté. Mais ce que je compte faire avant tout, c'est mon propre art. Autant ça me dit bien de faire des images qui seront dans la presse, autant l'urgence du reportage, je ne suis pas dedans... Je n'ai même pas le permis de conduire !
En voyant tes sujets de reportage, dans les villages et les cafés, cela nous fait penser au Wisconsin Death Trip de Michael Lesy dans les 1970s et sa collecte de photos des années 1850s, très simples mais étranges. On a l'impression que toi aussi tu cherches le côté un peu troublant, mystérieux, sans le mettre en scène.
C'est vrai, c'est un des aspects. Deux fois, j'ai fait un travail où je prends une petite ville ou un village et je me dis « Ok je photographie tout le monde ». Ce sont des photos dans le village, des gens du village, pour les gens du village. J'ai fait ça dans deux villages en Suisse. Dans mon village natal, Mervelier, et il y a un an, dans une autre ville pas loin. Je prends le temps et je photographie un maximum de monde. Après je fais une exposition. Ce sont des projets vraiment locaux, des documentaires. Je ne cherche pas à faire des constructions bizarre avec les gens, par exemple pour ce dernier travail que j'ai fait sur mon village, je me disais « C'est mon village je peux pas me griller avec la population. Je peux pas faire un truc où je les photographie tous avec les yeux à moitié fermés, un peu de bave. Je me ferais lyncher. ». J'avais de toute façon envie de faire un truc festif. Du coup, j'ai fait un travail sans rechercher quelque chose de précis chez les gens : j'allais, je rencontrais, je faisais des photos et j'exposais. « Elle est floue, je m'en fous, je l'expose ». Comme il y a plein de monde, il fallait le maximum de photos possibles.
Quand je fais un petit truc, une sculpture, j'essaye d'être le plus proche de moi, de comment je suis. Tu fais ces photos là dans un état d'esprit, après tu les mélanges avec des photos de documentaires que tu as pris des autres gens que t'as pris là, encore des vieux trucs, encore un dessin, et puis tu l'exposes d'une certaine manière... Au long du processus, l'axe peut un peu évoluer, le tout s'enrichit.
Du coup, quelle était ta motivation pour l'expo de Mervelier ? Puisque que ce n'était pas de l'étrange..
Alors Mervelier, c'est le village où j'habite, il y a 500 habitants. Des gens de ma commune, un peu contents que je sois photographe et surtout hyper jaloux que j'ai fait une expo comme ça dans une petite ville pas loin, m'ont demandé : « Non parce que quand-même t'as fait un truc là-bas à Saint-Imier, et t'as rien fait à Mervelier ! Il faut faire quelque chose ici ».
Mervelier, probably the best village in the world © Augustin Rebetez
Après ils m'ont payé, après on a fait une exposition monstre, dans un lieu éloigné du village, un transformateur, une espèce de vieille usine qui n'a rien à faire là et où il y avait déjà des cimaises ! L'idée c'était de vraiment faire un événement festif, sur les gens du coin, pour les gens du coin. On a fait un vernissage de malade mental où il y avait 400 personnes, quasiment tout le village ! T'as des paysans qui viennent en habit du dimanche, des enfants, les grand-mamans... La fanfare est venue jouer de la danse country.... Après il y avait du cor des Alpes, toutes les photos des gens et des mecs qui jouent du cor des Alpes au milieu ! Tout le monde se marre, ils se foutent de la gueule des autres, tout le monde se connaît, « Tiens mais Gérard, trop marrant ! Qu'est-ce qu'il a l'air con ! ». Ca crée du liant social. Ils sont dans une exposition, ils tchatchent, tout le monde est content. Les gens sont aussi contents d'être en photos, ils se sentent estimés. Ça c'est un projet. Photographiquement c'est pas le plus intéressant, mais au moins tu fais plaisir, c'est pour la communauté.
Est-ce qu'il y a un photographe ou des images qui t'ont marqué, enfant ?
Il y a un livre, un assez gros livre Magnum, je me rappelle avoir regardé ça gamin et m'être dit « Ouah ». Je n'ai pas d'images particulières en tête, mais je trouvais ça fascinant.
Et ça ne t'a pas donné envie de partir en reportage ?
Je suis pas du tout contre. Si maintenant je devais faire un reportage en Irak, j'y ferais des trucs d'animation, avec les soldats, des trucs marrants... Autre chose ! Je me vois assez mal faire du journalisme pur et dur, du documentaire de qualité. Connaître mon sujet, c'est quand-même moins mon truc. Je suis plus à faire des films créatifs. Après, ça m'empêche pas de faire des situations de conflit par exemple. Si j'ai les couilles.
Celui qui fait ça et qui est hyper cool s'appelle Claude Baechtold. Les livres qu'il produit s'appellent les Baechtold's best. Il est dans le groupe Riverboom avec Paolo Woods, Christensen et Serge Michel, un journaliste qui est maintenant le numéro 2 du Monde. Ils ont fait des voyages en Afghanistan, en Irak, et ils ont fait des photos de la guerre, du tourisme. Paolo Woods fait des photos très documentaires. Serge Michel essaye d'expliquer qu'en Iran, on ne voit pas que des femmes avec le tchador. Ils montrent des points de vue variés sur certains pays. Claude, il arrive là-bas avec un tout petit appareil et il fait des séries, avec la meilleure image de la série sur la page de droite. Par exemple, il a fait Taxi, en Afghanistan. Et t'as un gars avec un cheval, et le cheval s'appelle Titanic. Hyper drôle. Il a fait aussi sur les moustaches des policiers irakiens. Tu vois un policier irakien « Oh bonjour je peux vous prendre en photo les moustaches ? ». Et ils sont tous là, un peu à le menacer. « Non mais c'est juste pour les moustaches. » Il a une manière complètement détournée de faire du reportage de guerre.
© Riverboom, 2009
Et toi en tant que jeune photographe, à l'heure où on n'arrête pas de parler du numérique qui tue la photo, la presse qui achète moins de photo, internet et les droits d'auteur...
Ca me préoccupe pas du tout.
Tu penses que tu arriveras à t'en sortir ?
Je pique les photos des autres, ils piquent mes photos... Je met tout sur Internet, mes photos, mes vidéos... Tout le monde me demande mes dessins, j'envoie des HD par mail, des productions dans tous les coins. Je continue à vendre des photos. Ça me préoccupe pas. C'est clair que ça m'empêche pas de râler quand une de mes images est utilisée sans crédits. Mais ça m'est jamais arrivé qu'on bafoue mes droits.
Pareil sur le débat argentique – numérique. C'est comme demander à un écrivain s'il travaille avec un stylo ou avec une machine à écrire. Ok, il y a peut-être une différence : écrire avec la main c'est plus lent, peut-être que tu écris moins, du coup tu fais peut-être moins d'erreurs... Mais pour moi ce qui compte c'est ce qu'on voit au final ! C'est pas une question de qualité intrinsèque du médium, du média quoi. Moi je veux que ça me touche.
Très régulièrement quand on parle à des photographes qui sont jeunes, ils ne se posent plus tellement la question argentique – numérique.
Moi j'utilise les deux, en fonction de ce que j'ai sous la main. Et puis surtout, il faut que ça soit facile. Il n'y a pas de raison de se casser les couilles à faire développer les films, à prendre des heures pour avoir une image, alors que ça peut être plus rapide. Surtout quand tu fais des films d'animation où il y a 8000 photos. Je fais 1500 photos par jour. Hier on a fait ce clip, 800 photos pour 30 secondes d'animation.
Tu aimerais faire des livres ?
Oui, mais ça coûte cher. J'aimerai bien faire des gros livres, avec plein de gribouillis dedans. J'ai pas envie de faire de tout petits livres où il y a 15 photos. Je veux des livres incroyables, avec des trucs qui se déplient, et des sons, des boutons où tu appuies, comme les bouquins pour les bébés. Un truc comme ça. Je ferai ça dans 10-15 ans, quand j'aurai plein d'argent (rires) !
Tu étais exposé à Pékin récemment.
Oui mais dans le cadre de « réGénération », pas pour une exposition personnelle.
Tu projettes d'exposer à l'étranger ?
Oui, en septembre à Montréal, pendant le mois de la Photo. Et Àà Bratislava, c'est aussi un mois de la Photo. Là, cet après-midi je vais voir une galerie. J'ai plein de propositions d'exposition, j'en ai trois actuellement, j'en ai fait plein (mon village, Zurich et Arles). Ça m'a permis d'accrocher, maintenant j'ai envie de faire autre chose, j'ai envie de faire des films et un peu moins d'expos.
L'expo de Bratislava, ils veulent les même choses qu'Arles : c'est moins intéressant pour moi. Je dois trouver une nouvelle manière d'organiser les images ensemble, c'est cool, mais c'est pas comme si j'arrivais avec de nouvelles images.
Série Deux Mille Dix © Augustin Rebetez
As-tu jamais peur que ta créativité se tarisse ?
Non. Ça fait partie de moi. Au bout d'un moment, j'en aurai sans doute marre de faire des expos, des trucs créatifs, de parler de moi. Je ferai autre chose ! Mais continuerai à essayer de voir la vie de manière poétique, c'est sûr.
Le site d'Augustin Rebetez : http://www.augustinrebetez.com/
Le site de Riverboom : http://www.catalogue.riverboom.com/
Propos reccueilis par Marine Forestier et Antoine Soubrier le 29 juillet 2011.