Le 24 mars 2011 sortait en librairies le premier numéro de la revue 6 Mois (http://www.actuphoto.com/18305-decouvrez-la-revue-6-mois-en-kiosque-depuis-le-24-mars.html ). Initiée par Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupery aux Editions des Arènes, et encouragée par le succès de la revue XXI, issue de la même maison, cette nouvelle espèce de magazine photo se donnait pour objectif de raconter « Le XXIème siècle en images ».
Une gageure quand on connait l'état actuel du photo-journalisme et les difficultés de la presse. Mais avec 800 photographies sur 350 pages, l'équipe de 6 Mois se donnait les moyens de toucher les amateurs de photo d'information ; deux numéros par ans, 12 portfolios, des sujets internationaux - ce premier numéro traverse l'empire Russe, la Chine (sujet principal de ce numéro), La vie de Julie, sujet de Darcy Padilla sur la descente aux enfers d'une jeune américaine droguée et séropositive récompensé par le prix Eugene Smith, celle d'un couple de danseurs de tango... Le tout sans publicité ni mécénat et sur un papier de qualité, pour 25 euros.
Comme celle de XXI en 2008, la sortie de 6 Mois ressemblait à un pari ; défi relevé apparemment, puisqu'une version internationale, traduite diffusée à travers le monde, est désormais en prévision. Preuve que le photo-journalisme n'est pas mort ? C'est du moins l'impression que Marie-Pierre Subtil, rédactrice en chef de la revue, espère communiquer à la presse française...
Après la sortie du premier numéro, quels ont été les retours ?
Nous avons trois types de retours. Les photographes se précipitent : « Enfin le moyen d'être vu, de montrer ce qu'on fait ! ». On est donc très sollicités, et on regarde tout. On ne peut pas recevoir tout le monde : les vingt-quatre heures du jour n'y suffiraient pas ! On demande donc aux photographes de nous envoyer leurs travaux, et l'on discute au téléphone, et on en reçoit certains, en fonction des sujets proposés, sachant que l'on recherche des sujets qui on fait l'objet d'un long travail.
Les lecteurs sont en général enthousiastes, quelques critiques mais pas sur le fond, plutôt sur des détails, des rubriques etc.. Dans l'ensemble, les retours sont très positifs.
Enfin, les libraires, puisque 6 Mois est distribué par les libraires. On a énormément de retour par e-mail des libraires et quelqu'un ici s'occupe des relations avec eux. Ils sont enthousiastes ! C'est un peu la déprime dans le milieu des librairies en ce moment, et 6 Mois part très bien. On fait des rencontres dans les librairies, et on était à cette occasion chez un libraire dans le XXème arrondissement qui en a vendu vingt-cinq, ce qui est énorme ! Beaucoup de libraires nous demandent du réassort.
On a profité d'une très bonne couverture média, qui nous a beaucoup surpris, notamment les différentes radios de Radio France qui nous ont beaucoup aidé pour le lancement, on est intervenus dans plusieurs émissions différentes de ces radios, du Mouv', et on a eu dans la presse beaucoup plus de papiers qu'il n'y en avait eu pour XXI, lancée en janvier 2008 : c'était nouveau, donc les médias avaient moins suivi. Là, on a même eu des fins de 20H de Claire Chazal et David Pujadas, les Mots de Minuit hier (jeudi 14 avril 2011)... On a eu beaucoup de chance, mais c'est grâce au succès de XXI.
Vous pensez que les autres médias vous voient comme l'espace de liberté qu'ils n'ont plus chez eux ?
On voit en tous cas que notre cas donne à réfléchir ; la formule du week-end de Libération s'inspire par exemple du succès de XXI en se remettant à publier des papiers longs. Cela incite aussi les rédactions à se demander si les sujets faits en profondeur ne sont pas finalement attendus par les lecteurs.
Prévoyez-vous de faire évoluer certains éléments de la revue ?
On s'est rendu compte qu'il y avait beaucoup de choses à faire sur les rubriques, à la fin et surtout au début de la revue, où elles ne sont pas toujours bien mises en valeur et expliquée. Le lecteur peut se perdre dans les rubriques, on va donc essayer d'améliorer ça dans le numéro 2. Rien n'est figé, certaines rubriques vont peut-être changer.
Quels ont été vos interlocuteurs dans la recherche d'images ; avez-vous fait appel aux agences, dans quelle proportion ?
On a consulté agences et indépendants. Dans le cas de Darcy Padilla par exemple, elle a eu le prix Eugene Smith et c'est comme ça que 6 Mois a eu vent de son travail. On est très ouverts, on reçoit énormément de photographes indépendants mais on a aussi de très bons contacts avec les agences qui nous tiennent régulièrement au courant de leur production.
Comment choisissez-vous vos sujets ?
Les critères sont simples : 6 Mois veut des histoires incarnées et une narration. On est pas du tout dans le style National Geographic ou Grand Reportages : les photos de paysages, les carnets de route, les pèlerinages, tout ce qui est « tradition » n'est pas pour nous. On a envie de montrer le monde contemporain plutôt que le monde d'autrefois, si ce n'est dans la partie archives évidemment, mais les portfolios centraux sont là pour montrer « le monde tel qu'il est aujourd'hui ».
Après, le fil rouge du magazine est sous le logo de la couverture : « Le XXIème siècle en images ». C'est donc plus « comment sont fabriqués les jeans dans une ville chinoise » que tel pèlerinage, ou le soufisme, des choses marginales... Il n'y a pas d'exclusive, ; si on tombe sur un magnifique sujet sur le soufisme, pourquoi pas, mais on est plus dans le monde tel qu'il marche plus que comme il subsiste parfois.
Quant aux critères de sélection, notre ambition est faire en sorte que 6 Mois soit lu pas seulement chez les francophones. On est donc en discussion avec des éditeurs étrangers, et on voudrait que le jour où 6 Mois paraît en France, en Belgique, au Québec et en Suisse, il paraisse aussi en Allemagne, en Italie, en Angleterre. Les sujets resteraient les mêmes, il y aurait simplement une traduction, ce qui demanderait un temps de fabrication un peu plus long. Il n'y a donc aucune référence ni dans le choix du sujet ni dans le rédactionnel à la France. Il faut que ça puisse être lu en Chine comme en Argentine, ce qui influe sur le choix de sujets, sur la manière d'écrire, et cela nous oblige à avoir d'autres regards que des regards occidentaux ; on aimerait beaucoup, à terme, être la vitrine de regards venus de pays émergents. Il y a aujourd'hui des photographes locaux partout, la photo est un langage universel et des regards vont émerger qui sont différents des regards classiques que l'on connait.
Pensez-vous être une solution à la crise du photo-journalisme, ou que le seul moyen de régler cette crise est que les grands médias se remettent à investir dans la photo de reportage ?
6 Mois ne va pas sauver le photojournalisme à lui seul. Maintenant, si l'on considère que la revue XXI incite les rédactions à se poser des questions sur la longueur des articles, on peut imaginer que si 6 Mois a du succès, les autres journaux se demanderont s'ils n'ont pas intérêt à revenir au photojournalisme...
Justement, qu'indique le premier numéro ?
A priori, nous sommes sur la bonne voie. Il fallait atteindre 26 000 exemplaires pour amortir les frais, on a tiré à 40 000 et l'on va sans doute être obligés de retirer pour rester six mois dans les librairies en attendant le numéro deux. La question qui se pose c'est plutôt, à combien réimprimer.
Entretien réalisé le 15 avril 2011 par Marianne Giniel et Antoine Soubrier.
Article publié le 5 mai 2011.