Ils ont 17 ans et sont afghans, de l'ethnie Pachtoune. Ils survivent depuis plusieurs mois dans un campement de fortune – appelé « la jungle » - à un jet de pierre du port de Calais. Leur unique objectif : atteindre l'Angleterre. Dans des conditions dantesques, leur survie ne tient qu'à un fil et à l'aide des associations locales dans un contexte ethnique tendu (erythréens, somaliens, kurdes s’auto-organisent dans ces zones interdites) et des conditions climatiques difficiles.
Interview par Antoine Soubrier
Khalil et Moumin ont traversé clandestinement 6 frontières depuis l'Afghanistan. Sur les routes d'Iran, Turquie, Italie, ils font face à la violence, se logent comme ils peuvent, travaillent pour des salaires misérables ; construisent des radeaux de fortune pour atteindre les îles grecques, traversent l'Italie sous un camion pour finalement échouer à Calais, ultime étape avant l'eldorado anglais au terme d'un voyage de plus d'un an.
Je les ai rencontré au début de l'hiver 2008 dans leur cabane, composée de quelques palettes de bois, recouvertes d'un tas de baches plastiques dans la zone industrielle, non loin de l'embarcadere du port de Calais. C'est endroit est surnommé la "jungle".
Tous les soirs ils partent vers le parking du port, dans l'espoir de monter à bord d'un camion. Pour cela il faut payer les "passeurs", le trajet final vers l'eldorado anglais leur coûtera 1000 euros.
Toutes les semaines, la Police vient les gazer dans leurs cabanes et les emmène au commissariat, puis les relâche quelques heures plus tard.
Par deux fois ils finiront au centre de rétention de Conquelles. Là aussi ils seront liberes quelques jours plus tard gràce au suivi de la CIMADE.
Khallil et Moumin sont restés 6 mois dans l'enfer de la Jungle calaisienne. Un hiver passé à attendre et à espérer dans ces cabanes de bois. Tous les jours, les associations de Calais leur permettent de se nourrir gràce à des repas distribués gratuitement. Un fois par semaine, des vetements leur sont distribués et une douche leur est accessibe.
La première fois que je les ai rencontré tout allait bien. Ils étaient sûr de passer en Angleterre. La deuxième fois les doutes apparaissaient et le moral, en plein hiver, n'était pas bon ; la troisième fois, ils n'en pouvaient plus, les conditions devenaient trop difficiles et leurs espoirs d'atteindre l'Angleterre diminuaient, nous étions alors en janvier 2009. Cela faisait plus de 5 mois qu'ils essayaient sans relâche, tous les soirs, de monter à bord d'un camion pour l'Angleterre.
En février, après une tentative réussie, ils echoueront enfin en Angleterre, dans un camion au chauffeur éberlué à la vue de ses clandestins dans sa remorque.
En sortant ils sont frigorifies et allument un feu au plus vite dans un parc en banlieue londonienne ; un policier leur demandera d'arrêter ce feu sauvage mais, heureusement ne leur demandera pas leurs papiers.
Ils ont alors une adresse à Birmingham et s'y rendent en stop. Là un oncle les prendra en charge, les logera et rapidement leur trouvera un travail.
Ils doivent rembourser 15 000 euros pour payer les passeurs. Ils travaillent dans un supermarché pour 35 euros par jour comme manutentionnaire. Puis Khallil trouvera un autre job dans une société de recyclage de palettes. Les patrons sont toujours anglo-afghans.
Ils m'invitent, pour me remercier de mon aide à Calais, à leur rendre visite à Birmingham.
Ils vivent enfin dans une maison de style victorienne, ils la partagent avec beaucoup d'autres afghans "fraîchement" débarqués de Calais, ils ont reconstruit une vie collective comme en Afghanistan. Ils sont une dizaine de sans papiers à participer à la vie de la maion et à payer une partie du loyer qui s'élève à 450 uros par mois. Tous travaillent, pratiquent leur religion dans les nombreuses mosquées construites dans ce quartier défavorisé, laissé à l'abandon par le gouvernement anglais.
Ils vivent dans le quartier de Sparkhill, ancien quartier ouvrier anglais où la communauté musulmane est majoritaire : les premiers migrants des années 20 étaient majoritairement pakistanais, les afghans se sont installés à leur tour peu à peu.
Les anciennes usines anglaises ont été réhabilitées pour y abriter des mosquées. La rue s'est métissée et les musulmans vivent au rythme de lur religion.
Khallil Moumin vivent enfin en paix, mais redoutent toujours un contrôle de police inopiné, ils savent dores et déjà que la paix aura été de courte durée.