Artem Chernov est un photojournaliste russe. On le découvre à travers son parcours, entre communisme et post-communisme, amertume et exhaltation, il se livre. L'homme qui a suivi quelques conflits et qui a vu sa Russie évoluer au fil du temps rend compte de ses impressions et se questionne sur l'avenir du photojournalisme et de son pays.
Pouvez-vous vous présenter ?
J'ai travaillé comme photojournaliste pour un journal de 1998 à 2006. Cela implique de se rendre à 2 ou 3 évènements chaque jours et un ou deux longs voyages chaque mois. Mais dans le milieu des années 2000, la situation a commencé à changer : il y avait de moins en moins de travail intéressant au journal et les honoraires commençaient à chuter. C'est pourquoi je suis retourné à la profession de cameraman que j'avais appris à la Russian University of Cinematography (VGIK) dans les années 90. Toutefois, en hommage à mon occupation favorite qui est le photojournalisme, j'ai fondé photopolygon.com, pour les personnes qui font leur premiers pas dans le photojounalisme et qui veulent présenter leur travaux à un public qui peut être interressé par cela.
Comment l'idée de devenir photojournaliste est-elle venue ?
C'est arrivé par chance. En 1998, la Russie était frappé par une crise économique. A ce moment-là, j'étais étudiant à la Russian University of Cinematography et la vie était assez difficile car j'essayais de faire en sorte que mes deux passions se rencontrent. Un jour j'ai eu l'opportunité de présenter mes photographies à un journal national. Au final, j'ai été engagé comme photographe de presse à temps plein. J'ai donc commencé à réaliser que ce travail me donnait plus de satisfaction que de shooter des pubs, des clips musicaux, qui sont des jobs typiques que mes camarades faisaient pour gagner beaucoup d'argent. Mon nouveau travail était devenu bien plus signifiant pour moi, et je sentais que c'était le plus important. J'étais de plus en plus interressé et surtout j'ai eu ce travail durant huit ans.
Vous êtes également professeur, quel valeurs essayez-vous d'inculquer à vos élèves ?
Je ne me considère pas comme un professeur expérimenté, je veux juste partager mon savoir sur la composition photographique que j'ai reçu durant mes études dans mon école de cinéma et mes huit années d'expérience dans le photojournalisme. Mes étudiants sont des débutants dans la photographie et ils décident d'eux-mêmes comment utiliser ce savoir. Je leur dit que la photographie est un langage visuel pour transférer leurs propres sentiments au public et pour produire une preuve photographique des évènements qui se produisent devant eux.
Vous avez connu le communisme, la chute du communisme et le post-communisme. Quels changements avez-vous vu en tant que photographe ?
Le monde entier s'est ouvert à nous depuis ce temps. Cela s'est passé il y a quelques temps déjà, dans le milieu des années 90 et depuis nous sommes habitués à l'absence de frontières. La nouvelle génération dans notre pays ne sait parfois même pas que c'était encore différent il y a peu de temps. Aujourd'hui les auteurs russes de notre site photopolygon.com sont éparpillés à travers le monde. Ils photographient ce qui est le plus important pour eux, et aucune idéologie ne les guide. Désormais, cela semble aussi naturel que l'air, mais, oui je me souviens du temps où c'était différent. De nos jours, je pense que le photojounalisme fait face à une révolution tant technologique qu'au niveau des réseaux. Maintenant les réminiscences de la chute du rideau de fer ne sont plus aussi existantes qu'auparavant. Nous devons désormais faire face à de nombreux problèmes.
Que pensez vous des photographes russes ou des photojounaliste russes qui ne pouvaient pas montrer leurs travaux et qui étaient forcés de coopérer avec le gouvernement pour la propagande ?
Grâce à Dieu, la modernité des réseaux et les révolutions technologiques nous donne un fort espoir que l'État ne peut désormais plus avoir le contrôle sur toutes les informations accessible au public. L'État fait des efforts répétitifs et sophistiqués pour faire ça, sur les technologies et la propagande, mais ses ressources sont insuffisantes. Aujourd'hui le monde est ouvert de telle manière que l'on peut librement délivrer des informations et réaliser des reportages sur le net. L'État en Russie a le contrôle sur la TV et les journaux, mais ceux qui sont interresés par de la meilleure qualité ont longtemps élus refuge sur le net. Par exemple, il y avait quelques photos sur notre site que les autorités comme la police ou la Douma d'État n'ont pas aimé. Mais ces photos étaient toujours accessible à un large public. De nos jours, il y a de plus en plus de photographes et ils prennent des photos de tout. Aussi rapidement qu'elles sont prises elles se retrouvent sur internet.
A mon avis, à l'heure actuelle, il n'y a pas de problème comme « je ne pourrais pas montrer mon travail ». Pour des photographes professionnels de l'ancienne génération il y a toujours le problème du « Qui va me payer pour mon travail? » Après tout, ils se sont habitués à avoir leur photos payés. Mais ce n'est pas un problème pour les jeunes avec un appareil photo. Par exemple, si un jeune homme veut partager son travail avec le public, rien ne pourra l'en empêcher. Il mettra en ligne ses photos en gagnant de l'argent en faisant autres choses. Il y a toujours le choix. Et beaucoup de jeunes de la sorte qui contribuent à notre site photopolygon.com A l'époque soviétique il n'y avait pas vraiment le choix. Mais les temps changent et nous changeons également.
Est-ce que l'histoire de la Russie fait rechercher aux photojournalistes une plus grande forme artistique ?
C'est possible. Il y a toujours quelques uns de mes collègues qui s'offensent quand ils m'entendent dire que le photojournalisme n'est pas un art. Beaucoup de personnes se sont habitués à penser le contraire. Ils voient en face d'eux de grands accomplissements des russes et du photojournalisme mondial qui sont maintenant présentés dans les musées d'art. Mais on doit garder en mémoire que la pratique au jour le jour du photojournalisme est en premier lieu un outil issu des médias, c'est une preuve de notre monde et de ses problèmes et seulement, peut-être dans un second temps un acte artistique de l'expression de soi-même.
En tant que photojournaliste qui vous a inspiré ?
Quand on se tourne vers le passé, je pense à la « photographie humaniste » du milieu du Xxème siècle : Robert Doisneau, Edouard Boubat, Brassaï, Robert Frank et bien évidemment Josef Koudelka et Henri Cartier-Bresson. Parmi les photojournaliste modernes et collègues, j'aime particulièrement le travail de Emilio Morenatti, pour son courage, son attention et également sa sympathie pour ses sujets. D'un autre côté, j'aime bien Christopher Morris pour son sarcasme.
Quels est votre pire et votre meilleur souvenir de votre carrière de photojournaliste ?
Pour un photographe de presse, la partie la plus plaisante du travail est très certainement de se rendre au travail le matin. Premièrement, vous allez faire le travail que vous aimez et deuxièmement tous les matins on voit dans les kiosques à journaux les unes des quotidiens où il y a la photo que vous avez prise la veille. Vous voyez les gens acheter les journaux et ainsi, ils regardent l'évènement à travers votre œil. On se sent stimulé. J'ai malheureusement peur qu'il n'y aie bientôt plus de journaux.
La chose la plus horrible, c'est lorsque votre journal est racheté par un baron qui ne connait rien à la photographie. Il licencie tout le département de photographie et donne des appareils photos peu chers et très simples aux journalistes reporters de presse écrite pour qu'il prennent des photos « si ils ont le temps » Et enfin, il se met à publier dans le journal des photos personnelles de soirée privée. Ce désastre est survenu dans le journal où je travaillais.
En 2007, Dimitry Chebotayev a été le premier photographe russe tué en Irak. En tant que photojournaliste, comment faites vous pour oublier ces choses sur le terrain ?
Si je comprends correctement la question, c'est une question sur la peur. Je ne me suis jamais efforcé à me rendre dans des zones de conflits mais en même temps je n'ai jamais dis « non » lorsqu'on me l'a proposé. Lorsque c'était effrayant, j'avais juste peur. Plusieurs fois j'ai eu horriblement peur. Je me suis dis « C'est mon travail ». J'avais le sentiment de faire quelque chose de nécessaire quand je prenais ces photos. Et honnêtement, j'ai essayé d'être prudent. Je suis allé à la guerre du Caucase, quatre fois, ce n'est pas si souvent que cela, je ne peux donc pas être considéré comme un « reporter de guerre ». Quelques uns de mes collègues ont habités sur des zones de conflits, pendant longtemps et ont pris des photos surprenantes mais je ne suis pas parmi eux.
Vous avez choisi de vous tourner vers le net. En quoi consiste votre travail ? Pensez-vous qu'Internet soit le futur du photojournalisme ? La photographie amateur peut-elle tuer le photojournalisme ?
Le fait qu'il y aie de nos jours des appareils photos dans les mains de tout le monde change le photo journalisme. Aussi, les tirages et les honoraires dans la presse baissent, et tout cela terni le travail des professionnels. Mettre sa photo sur internet paye peu ou pas du tout. Le net est remplis de photos sans sens. Le photo journalisme devient de plus en plus souvent un produit pour les galeries. Cela ferme les possibilités de public. Je ne pense pas que le monde gagne à faire comme cela.
Nous voulons montrer les opportunités et les moyens expressifs du photojournalisme auprès de l'audience internet. D'un côté on cherche un niveau élevé, sélectionne et supporte les meilleurs travaux de photographes russes qui font leurs premiers pas, et de l'autre, nous cherchons à montrer ce qui a été fait dans le photojournalisme des générations précédentes. Je pense que c'est un tache très importante lorsque une nouvelle ère prend forme. C'est important de préserver la culture du photojournalisme durant ces temps nouveaux.
Pour terminer c'est l'année France/Russie, que pensez-vous de la photographie française ?
La France est la mère patrie de au moins deux lieux de cultes, phénomènes fondamentaux du photojournalisme. J'entends par là, l'agence Magnum et le festival « Visa pour l'image » de Perpignan. Ce festival est une sorte de « Mecque » pour les jeunes photographes. Il est attendu cette année que le « pèlerinage » pour le festival soit énorme depuis la Russie. C'est génial qu'il y aie un tel festival, et c'est important pour nous tous. Je remercie énormément les organisateurs pour cela. La France est un pays de grande culture, incluant la photographie et le cinéma domaines qui sont les miens. Je serai très heureux d'apprendre de plus en plus de choses sur la France. Et il y a toujours à apprendre !
Magot Julien
Copyright photos : Artem Chernov