Après avoir été présentée à l'Instituto de Cultura, à Madrid, l'exposition sur Lisette Model est accueillie au Jeu de Paume du 9 février au 6 juin 2010.
Dans le contexte d'une certaine photographie documentaire, la street photography qui se développe à New York pendant les années quarante avec les travaux de Weegee, Helen Levitt, Roy de Carava..., l'oeuvre de Lisette Model est unique. Pour elle, réussir une photographie c'est « photographier avec ses tripes » et avec passion.
Avec plus de 120 photographies, l'exposition regroupe des extraits de l'ensemble des grandes séries de l'artiste, de ses premières photographies prises à Paris et à Nice au début des années 1930, à celles du Newport Jazz Festival ou de l'hippodrome de Belmont Park prises à New York dans les années 1950. Les photographies sont également accompagnées de vidéos et d'enregistrements sonores qui permettent d'entendre la photographe. Quelques revues originales sont aussi exposées, telles que Regards, Harper's Bazaar, Look, US Camera.
« Pour Lisette Model, la photographie constitue un moyen de s'affranchir de la routine visuelle, un outil permettant d' « explorer de nouvelles facettes d'un monde en constante mutation » et d'ébranler les préjugés du présent. Ses célèbres images de la « Promenade des Anglais » à Nice, ou encore des rues bouillonnantes et des bars new-yorkais sont devenues les référents incontestables d'une pratique photographique attentive à la complexité des implications sociales et politiques contenues dans un geste, un regard. » (La directrice du Jeu de Paume, Marta Gili)
Les premiers clichés de Lisette Model, artiste américaine d'origine autrichienne, ont été pris entre 1933 et 1938 à Paris et sur la Côte d'Azur. Déjà elle y manifeste sa marque singulière. Son regard personnel est direct et respectueux des sujets photographiés. Dès le début, elle pointe son objectif sur les pôles opposés de la société: les nantis, les plus démunis, les solitaires, les vieilles dames... Pour elle, photographier revenait à poser des questions, auxquelles répondaient les images.
Le déroulement de l'exposition:
Nice, série sur la Promenade des Anglais, en 1934. C'est un regard mi-railleur, mi-amusé que Lisette Model pose sur les personnages de la Promenade des Anglais. Ses personnages représentaient une bourgeoisie européenne fortunée et oisive ayant trouvée refuge dans le Sud de la France et volontairement ignorante des bouleversements politiques et économiques qui allaient avoir lieu, une bourgeoisie qu'elle connaissait de très près puisque sa propre famille en était issue.
Ce qui au départ ne devait être qu'une simple visite de quelques semaines à la soeur du mari de Lisette, qui vivait à New York, finit par se transformer en voyage sans retour. Ils décidèrent de rester. La ville les fascinait. De plus, le climat de persécution antisémite et les troubles sociaux consécutifs à l'instabilité économique faisaient de l'Europe un endroit dangereux pour quiconque, et plus particulièrement les juifs.
Les photographies exprimant le mieux la forte impression qu'allait faire New York sur Lisette Model sont sans doute les séries « Réflections » (1939-1945) et « Running Legs » (1940-1941). Au plan stylistique également, ces images se distinguent du reste de sa production où prédomine le portrait direct.
Dans « Reflections », Model photographie les devantures de magasins, les vitrines sur lesquelles se reflètent les allées et venues des piétons et l'architecture des gratte-ciel. Elle superpose ainsi dans une même image plusieurs réalités physiquement éloignées les unes des autres, à la façon d'un collage. Les objets exposés en vitrine se mêlent aux reflets des passants et des immeubles du trottoir d'en face, le tout sur un même plan. Le brouhaha, l'activité commerciale, l'aspect grandiose et chaotique de la ville sont palpables.
La série « Running Legs » se concentre sur les pieds des passants qui parcourent précipitamment les rues de New York, pour rejoindre leur lieu de travail, prendre le métro ou faire leurs couses. L'ambiance frénétique des villes modernes est parfaitement traduite dans cette série.
« Pédestrians » est une autre série d'images associée à cette marée humaine se déplaçant sur les trottoirs de New York. Ici, se ne sont pas les pieds mais les visages qui sont photographiés. Lisette Model se servait d'un Rolleiflex qu'elle pouvait tenir à hauteur de taille, l'objectif levé vers les piétons qu'elle croisait. Un grand nombre de ses portraits sont ainsi pris du bas vers le haut, dans un mouvement de contreplongée caractéristique de ses prises de vue.
Les rues, les bars et le monde du spectacle furent les thèmes de prédilection de Model. De nombreuses photographies tout à fait insolites sont à découvrir. Lisette Model photographie tout en discrétion les clients des fameux bars new-yorkais comme le Sammy's Bar, le Gallagher's ou encore le Metropole Cafe.
« C'est la surface qui m'intéresse. Parce que la surface est l'intérieur. (…) Chacun possède une façon propre d'exprimer son corps, pas uniquement son visage. Lorsque les gens se détendent et qu'ils s'assoient, ils ne savent même pas qu'on est en train de les photographier, ils sont réellement égaux à eux-mêmes » (Lisette Model)
Lizette Model comme le souligne Cristina Zelich, commissaire de l'exposition, « est un regard au delà des conventions ». Elle envisage la réalité de façon directe et sans préjugés. Ses prises de vue en contreplongée, son refus instinctif de se contenter de l'évidence, ses gros-plans sur des détails ou des situations marginales sont le reflet de son authenticité et son talent.
De gauche à droite, Cristina Zelich, commissaire de l'exposition: Lisette Model, à côté, l'artiste, Esther Shalev-Gerz, et la directrice du Jeu de Paume, Marta Gili.
Cristina Zelich, commissaire de l'exposition