Des images chargées d’ellipses et de silences, se disloquant jusqu’à l’énigme. Usant inlassablement de l’ambiguïté, racontant une intimité. Comme ramassant les épluchures de mémoire pour les jeter à la lumière. Alors l’histoire se raconte, vraie ou fausse… peu importe. Une mémoire qui montre une sphère intime où règne le trouble humain ; les crises intérieures des êtres peuvent être racontées. Mes préoccupations portent sur la réalité humaine de notre temps. Tentant de traduire inlassablement l’intime de l’être, de dévoiler ce qui peut être secret chez l’individu.
Au regard de mon travail, nous pouvons découvrir une ambiguïté qui imprègne chaque image. Préférant une image à décrypter, qu’une image offerte qui est déjà là, une image qui résiste en somme. Il y a une recherche d’ambiguïté dans la prégnance des corps et de leur fragilité. Essayant une autre forme de narration, comme ces corps silencieux qui ne nous dévoilent pas tout. Une narration qui n’est ni dans un temps, ni dans un espace traditionnel. C’est-à-dire réaliser des images avec l’impossibilité de les parer d’un sens définitif. Se retrouver alors face à une intimité silencieuse. Comment rendre visible par l’image ce qui est dissimulé, comment mettre en avant ce geste invisible et muet ? Cette réflexion chevauche continuellement mon travail photographique.
Nous parlons ici d’une sorte de réalité parallèle, un territoire interstitiel qui ignore les espaces géographiques et les systèmes politiques, qui n’appartient plus ni à une réalité tout à fait vraie, ni à une fiction consciemment élaborée, mais qui se trouve plutôt nourri de ses propres rituels et règles de comportement, et où la distinction entre le bon et le mal, le bonheur et la tristesse, l’innocence et la perversité, la réalité et la fantaisie, s’estompe.
Ces images ont en commun l’évocation en deçà ou au-delà de l’affirmation, le suspens de l’action en faveur de l’expression. Ce travail ne se dérobe pas au monde, mais entend construire une interprétation, où quelque chose de sourd, indéfinissable est bien présent. Les personnages ici ne sont pas dans l’action, ils sont comme des corps vaguement absents à eux-mêmes. Des portraits où une opacité et une étrangeté résiste. Tout se passe comme si leur assignation (référentielle, spatiale, temporelle) était suspendue, comme isolée du monde des apparences. On retrouve donc l’utopie d’un temps suspendu, et la cruauté pressentie d’une rechute. La photographie est on le sait, l’instrument privilégié de cette ambiguïté temporelle.
J’utilise la déambulation comme procédé créatif. Je cherche à avoir, tout au long de ma démarche, une attitude perceptive et poétique face au réel. L’errance, où pourrait-on dire, une intense et lente aspiration m’a conduite en ces lieux délabrés, chargés d’histoire. Ces lieux sont comme des équivalences du corps. Etant pour la plupart les représentations d’un état d’esprit mélancolique plutôt que des portraits de lieux précis. Ces lieux sont utilisés en quelque sorte comme le décor intemporel de fictions intimistes, se transformant ainsi en jardin qui conserve les traces de petites histoires personnelles.
Ces images tentent de faire écho à la réalité de notre temps ; avec une tonalité mélancolique sûrement comme la conséquence d’une évolution sociale de fond, en gros caractérisée par la perte de la communauté.