photographie de Niko Rodamel
Guy Le Querrec a photographié le jazz tout au long de son parcours professionnel, sa bibliographie en témoigne puisqu’une importante part de ses publications lui est consacrée. Et si l’Afrique a tenu une place prépondérante dans sa vie de photographe ou tout simplement d’homme (avec de nombreux reportages dès 1969), c’est bien ce mariage insolite, entre jazz et continent africain, que le reporter a réussi à mettre en images en collaborant avec le trio Romano / Sclavis / Texier. Le Querrec se souvient que l’idée est venue de Guy Maurette (instigateur de Jazz sous les manguiers puis de La Semaine du jazz à Brazzaville), lequel décida de rassembler les trois musiciens et le photographe dans une tournée de trois semaines, à travers six pays d’Afrique centrale. « Carnet de routes est sorti en 1995, avec un livret reprenant les photos de notre premier périple. Mais on a attendu à peine trois ans pour repartir là-bas, cette fois-ci en Afrique du Sud et en Afrique de l’Est. » Suite africaine (1999) connaîtra, comme le premier opus, un réel succès avec une fois encore, un somptueux livret-photos. Puis il y aura African Flashback (2005), bouclant une aventure qui a profondément marqué « le trio et le griot » (comme ils ont été surnommés), après avoir traversé ensemble pas moins de vingt pays africains en trois expéditions.
Evoquant sa dernière grosse exposition, il y a deux ans, dans les ateliers SNCF des Rencontres d’Arles, Le Querrec avoue du bout des lèvres : « J’ai 40 ans de photo en continu dans les pattes, je lève un peu le pied car je m’occupe de mon père qui est seul depuis peu et qui est en fin de vie. » Pourtant, ce petit bonhomme ventru aux cheveux d’argent a gardé un regard pétillant, trahissant à peine une curiosité inassouvie. Il s’intéresse un instant au matériel des photographes présents ce soir-là à Vaulx en Velin : « Vous êtes en numérique, c’est ça ? Et vous ? Aussi ?! » Il sourit discrètement devant le spectacle qu’offre la dizaine de chasseurs d’images qui consultent et font défiler à toute allure le contenu de leur cartes mémoires en esquissant quelques grimaces d’autosatisfaction et de doutes mêlés. Lui, trimballe son Leica depuis 1962, c’est dire si la guéguerre Nikon-Canon et la course aux mégapixels l’importent peu.
La discussion va bon train, l’homme n’est pas compliqué, étonnement très abordable. « Tout à l’heure, je m’étais réservé un siège dans la salle en laissant ma veste sur le fauteuil, mais une femme a viré le vêtement et m’a piqué la place. On s’est un peu accrochés, elle ne s’est pas démontée et j’ai préféré laisser tomber. Mais je l’ai prévenue que même si elle n’est venue que pour la musique, elle va devoir supporter mes images pendant plus d’une heure et demie ! » Rires...
Mais les aiguilles tournent, pas le temps d’aborder l’aventure au sein de l’agence Magnum, les nombreux stages donnés en France et un peu partout dans le monde qui valent au photographe une réputation de généreux pédagogue. Le trio s’affaire dans les loges. Aldo Romano, comprimé dans sa tenue d’ado sexagénaire, semble tendu comme un timbre de caisse claire. Louis Scalvis ajuste une dernière fois ses anches et j’aperçois l’immense Henri Texier, se faufilant côté cour avec sa contrebasse… Le photographe, quant à lui, s’est sauvé côté jardin en quelques secondes, tel un korrigan de sa Bretagne natale.
A l’issue du concert, encore un peu groggy par le dépaysement et, je dois bien l’avouer, totalement bluffé par cette grande « baffe photographique », je retrouve Le Querrec au catering, tentant de se frayer un passage au milieu des journalistes et des officiels qui se jettent avec frénésie sur les assiettes de quenelles sauce Nantua. Après une émouvante projection de 400 magnifiques clichés retraçant sur grand écran la quasi-intégralité de 30 ans de déplacements en Afrique, le photographe me demande humblement : « Alors, ça allait ? »
Niko Rodamel