© Kares Le Roy
Kares commence sa carrière en tant que graphiste. Après un an de prépa à l'ESAG Peninghen en 2000-2001, Il arrête l'école pour se consacrer à sa musique. Mais l'image reprend vite le dessus. A l'époque, Il fréquente des chanteurs et des musiciens qui deviennent ses premiers clients. Des flyers de soirées aux logos pour des petites enseignes, il travaille aussi sur des affiches de concerts et des pochettes de disques.
En 2003, tout s'accélère. En parallèle, il fait beaucoup de photos, et immortalise surtout les concerts et les battles de danse. Mais Kares veut tout faire lui-même. Alors, dès qu'il a rendez-vous avec des maisons de disque, il prouve qu'il peut aussi bien se charger de la direction artistique que des prises de vues. Certaines lui font confiance, d'autres pas. Alors, il décide de s'associer avec quelques amis de son âge, qui ont la même culture de l'image que lui. L'organisation n'est pas évidente. Le manque de moyen, leur jeune âge, la complexité de travailler en groupe, la gestion des énergies de chacun font que les amis doivent faire des concessions afin de devenir une vraie équipe. De là, naît l'agence de communication 555Lab, en 2006. Au début, les conditions de travail ne sont pas faciles. Kares et ses amis ont le sentiment de se faire exploiter par une grosse agence au dessus d'eux. Ils travaillent dans une cave humide, à peine aménagée, mais ils ont la fougue de la jeunesse et surtout de fortes idées.
En 2008, Kares commence à se lasser. L'industrie du disque connaît le début de la crise, les budgets sont divisés par 3, et la mode ne l'intéresse plus. Selon lui, cet univers impose trop de codes et de formats qui sont à l'opposé de ce qu'il recherche. Il quitte alors l'agence, et en juillet 2009, il part quelques mois en Indonésie. A l'époque, il ne sait pas qu'il sera amené à y retourner deux ans après.
Sur la route qui commence à Jakarta et qui s’achève à Istanbul, il prend le temps de découvrir des peuples, des façons de vivre, et des cultures différentes. Tout cela l'inspire énormément et il commence à songer à un projet. En Juillet 2011, il rentre en France. En quelques semaines, il réalise la mise en page de son premier livre "56 000 kilomètres - un continent et des hommes", il gère la sortie de celui-ci, et réalise en même temps une belle exposition à l'hôtel Lutetia, à Paris.
Depuis un an, Kares travaille sur la promotion de ce projet qu'il espère faire vivre un maximum. En parallèle, il développe sa maison d'éditions Amu Darya, en travaillant avec d'autres photographes et artistes. C’est dans le cadre de ces nombreux projets que Kares a accepté de répondre à nos questions.
Porteur de souffre du kawa Ijen (Indonésie) © Kares Le Roy
Comment est né le projet qui vous a conduit à faire un voyage de deux ans en Asie ?
J'ai toujours pas mal voyagé mais sur des périodes plus courtes. Quelques destinations telles que Cuba, le Liban ou la Syrie, m'ont fait rêver plus que d’autres. Et puis, il est arrivé un moment ou j'ai eu envie de découvrir les pays plus en profondeur. J’avais des rêves de tour du monde plein la tête depuis toujours et ils n'avaient pas envie d'attendre 50 ans pour être réalisés. Alors, j'ai trouvé le bon moment pour moi, et j'ai décidé d'aller chercher des formats de beauté ailleurs. Ce n'est pas juste 2 ans de voyage, c'est du travail, de la recherche, des découvertes et avant tout, du partage avec des peuples et des cultures. Le côté "aventurier" est très loin derrière tout ça. Je m'efforce de ne pas trop rentrer dans la case "photographe-voyageur". Je suis un portraitiste qui s'intéresse à la beauté du monde, et qui doit se déplacer pour faire son travail; mais je ne voyagerais pas autant et aussi longtemps si je ne faisais pas ce métier.
Femme Tsaatan - peuple d'éleveurs de rennes (Mongolie) © Kares Le Roy
Comment se passaient les rencontres avec les peuples de ces terres ?
Très bien. Je n'ai pas eu de mauvaises surprises et de problèmes particuliers dans les pays que j'ai traversés. Mais c'était plus ou moins facile d'approcher certains peuples. Les mongoles et les kirghizes, par exemple, sont plus timides. Néanmoins, dans l'ensemble, ça a été simple. J'ai pris le temps nécessaire pour trouver les peuples les plus reculés, les tribus, les nomades et partager avec eux. La photo venait souvent dans un deuxième temps. Et finalement mon appareil devenait plus un jeu pour eux, parfois même un outil de communication. Sur la route, j'ai fait tirer plus de 800 photos que j'ai offertes aux gens que j'ai photographiés. C'était le minimum en retour de ce qu'ils m'offraient. C'est devenu un principe que je compte bien tenir et développer.
Y a t-il un message que vous souhaitez faire passer à travers ces photos ?
Oui, de plus en plus. A l'opposé des formats de beauté que l'on nous impose, j'essaie d'en amener un autre à travers ces photos. Malheureusement, une bonne partie du monde arabo-musulman est très stigmatisé depuis 10 ans et c'est de pire en pire chaque jour. Les clichés sur les peuples d'Asie Centrale et du Moyen Orient, de la Syrie à l'Afghanistan, véhiculent une image négative de leur région. Trop de médias tournent l'information de ces pays dans un seul sens : La guerre, la misère, l'extrémisme. J'essaie de combattre ces clichés et d'amener une autre forme de lecture sur leur culture, souvent beaucoup plus ouverte qu'on ne le pense. Le but n'est pas de faire de misérabilisme, mais plutôt de ne montrer que la dignité de ces hommes à travers mes images.
Femme Zoroastienne (Iran) © Kares Le Roy
Quel est votre meilleur souvenir de cette aventure ?
N’en citer qu'un seul est vraiment très dur. D'un point de vue très personnel, je dirais spontanément la traversée de l'Inde en moto, pour toutes les sensations que ça comprend. D'un point de vue « découverte », je dirais l'Iran et les deux mois que j'ai passés là bas. Très inspiré par l'univers de la Perse, je savais où je mettais les pieds, mais ce pays est tellement incroyable en terme d'accueil, de culture, de paysages, de diversité ethnique, que ça m'a littéralement transcendé. Depuis, je ne pense qu'à y retourner. La plupart des meilleurs souvenirs qui me restent et qui me font encore rêver proviennent de là-bas. Il y a eu beaucoup trop de rencontres pour que je puisse toutes les citer.
Êtes-vous heureux de l'accueil de votre livre 56 000 kilomètres par le public ?
Oui, énormément ! J'ai été quasiment seul pendant deux ans, sans réfléchir à l'accueil d'un éventuel public. J'ai travaillé sans pression et surtout sans attente. De pouvoir partager tout ce que j'ai vécu mais surtout d'apporter un autre regard à tous ces pays me rendent très heureux. Je reçois des messages de plein de gens tous les jours qui me parlent de mes images et ça me touche. J'essaie de répondre à tout le monde, c'est important. Pour l'instant, j'ai peu de moyen pour faire parler de mon projet comme je le voudrais. Ainsi, il ne touche qu'un petit cercle de personnes mais je fais tout pour que les gens aient accès à d'autres types de culture avec une autre forme de réflexion. Si le public commence à s'intéresser à cela, alors tant mieux.
Traversée de l'Inde à moto © Kares Le Roy
Votre livre s'est écoulé à 1000 exemplaires en un an, envisagez-vous une réédition ?
Oui, je reviens d'ailleurs de chez l'imprimeur. Je ne me voyais pas sans livre à vendre. Je reçois encore tous les jours des messages de personnes qui sont intéressées par mon projet et qui souhaitent se procurer l’ouvrage. Je suis donc parti faire fabriquer 1000 exemplaires de plus. Une sorte de nouvelle version puisque j'y ai changé 8 photos pour donner un peu de nouveauté. Mais dans l'ensemble, on reste sur un 224 pages, avec la même couverture et la même mise en page.
Pourquoi avoir créé votre propre maison d'éditions ? Quels sont les avantages et les inconvénients pour vous ?
J'ai monté Amu Darya (cf : le nom du fleuve qui coule en Asie Centrale), ma maison d'édition en Juillet 2011, dès que je suis revenu en France. J'avais quelques propositions chez certains éditeurs mais les contrats n'étaient pas du tout intéressants. Je sentais que j'allais perdre mon temps et que je ne pourrai pas mettre en avant mon travail, comme j'en avais envie. Il fallait que ça aille vite, alors je n'ai pas hésité. Ce n'était pas ma première expérience en temps qu'indépendant. Ce n'était donc pas par dépit mais par envie que je montais cette structure. J'avais créé d'autres sociétés par le passé; l'administration était donc une formalité. Amu Darya est née en quelques jours après mon retour et j’en suis le seul mettre à bord.
Tribu Karen (Thailande du Nord) © Kares Le Roy
Le premier avantage est que j'ai pu fabriquer le livre que j'ai souhaité. J’y ai mis le prix pour avoir ce qu'il y avait de mieux, tant au niveau du papier que de la qualité du vernis ou du pelliculage sur la couverture. J'en ai fait un produit assez luxueux parce que je me disais que si je n'en produisais qu'un seul, il fallait qu'il soit le plus beau possible. Dans l'ensemble, je me suis occupé de ce projet de A à Z, sans laisser de place au hasard, à chaque étape du processus de fabrication. En l'occurrence, j'ai travaillé de la chromi des photos jusqu'à la distribution de l'ouvrage et ça m'a permis de voir toutes les facettes du métier. Aujourd'hui, c'est un réel plaisir de retourner voir les points de vente et de discuter avec les libraires qui vendent mon ouvrage. C'est devenu comme une suite logique à mon travail de photographe. J'ai le contrôle sur tout et ça me permet d'être en contact au quotidien avec des gens très intéressants, qui font le relai entre l'édition et le lecteur.
Ma grand mère des Annapurnas (Népal) © Kares Le Roy
Il n'y a qu'un seul point négatif quand on est indépendant : la difficulté à toucher les médias, moyen ou gros; la presse papier, spécialisée ou non. Ils ne s'intéressent pas du tout à ce qui sort des sentiers battus par les grosses maisons d'éditions. C'est très compliqué de les contacter et même quand on y parvient, ils se moquent du produit et prennent de haut. J'ai trouvé très dur le retour (ou le non retour) de certains, j'ai offert des livres pour rien, qui ont dû finir au fond des bureaux d'une rédaction. Le pire est de se sentir ignoré par la presse spécialisée dans notre domaine, la photo. Même avoir une chronique du livre, c'était le bout du monde! Je ne parle même pas d'un article… J'ai quand même eu la chance de faire la couverture du Monde de la Photo, qui m'a fait confiance depuis le début en dressant un vrai dossier sur mon travail; et je les remercie. Mais c'est un cas isolé et depuis c'est quasiment le néant. Il faut donc vraiment avoir la foi dans son projet et avoir l'envie de porter de multiples casquettes. Il faut savoir que j'y consacre tout mon temps. Je dirais aussi que certains jours, je peux me perdre entre le côté artistique de mon projet, et l'aspect commercial de celui ci. Mais ça n'a que peu de répercussions négatives car je ne shoot quasiment qu'à l'étranger, et quand je suis en France, j'ai tout mon temps pour développer mes projets. Et puis, faire de la promotion en collant des affiches dans la rue avec mes potes, je trouve ça plutôt sympa!! J'espère juste que le travail que j'ai commencé avec une super attachée de presse paiera ses fruits au fur et à mesure.
Saddhus de Pushkar (Inde) © Kares Le Roy
Quels sont vos futurs projets ?
J'en ai beaucoup comme toujours! A côté de la réédition de mon livre, j'ai édité un autre ouvrage de photos. Celui de Wahib Chehata, un grand photographe français qui a beaucoup travaillé dans le cinéma et la musique. Il a fait une magnifique série de portraits de parfaits inconnus après avoir passé 15 ans à photographier des stars. J'ai adoré sa démarche, on s'est très vite bien entendu car on vient du même univers. Ca devenait logique de lui proposer d'éditer son livre qui méritait un tirage papier, après avoir beaucoup tourné sur Facebook.
J'espère enfin avancer et terminer le montage de mon film en Janvier qui correspond au même voyage. C'est quelque chose qui me tient vraiment à coeur. Et puis, mi - Février, je retourne enfin au Népal pour tenter de retrouver la grand-mère qui fait la couverture de mon livre. J'aimerais lui raconter l'histoire de sa photo et la remercier à ma façon pour tout ce qu'elle est devenue. J'ai organisé un grand projet autour d'elle pour lui faire fabriquer une maison et ainsi aider son village à se développer. Je vais tout faire pour que cet appel aux dons marche bien (www.kisskissbankbank.com/ma-grand-mère-des-annapurnas) pour elle et pour tout ce qu'elle représente.
Le fleuve Amu Darya (Ouzbékistan) © Kares Le Roy
Et puis, un autre livre se profile, avec les images des derniers kilomètres que j'ai parcourus après l'Asie, dans les Balkans, pendant quatre mois, et que j'aimerais mettre en page de façon plus intimiste. Enfin d'ici la fin 2013, je repartirai pour un autre long voyage pour travailler plus en profondeur sur l'Iran et l'Asie Centrale. Ca fera 2 ans que je suis rentré, et il faut bien repartir un jour…
56 000 kilomètres - un continent et des hommes © Kares Le Roy
Site : karesleroy.com
Blog : bykares.com
FB : facebook.com/bykares
Propos recueillis par Adèle Latour