Les photomatons font leur apparition en 1928, pour le plus grand bonheur des surréalistes. Dès l'installation des premières machines, ils s'y rendent en bande pour se faire photographier, seuls ou à plusieurs, sérieux, les yeux fermés, ou grimaçants.
Alain Baczynsky, artiste contemporain israélien d’origine belge et auteur du livre Regardez, il va peut-être se passer quelque chose… travaille ici sur l'aspect psychanalytique du Photomaton, qui permet de révéler l'inconscient et d'extérioriser ce qu'on contient à l'intérieur de soi.
En 1979, Alain Baczynsky, entame une psychanalyse. Il éprouve la nécessité, à l’issue de chaque séance, de se prendre en photographie dans la cabine de Photomaton la plus proche ou il rejoue devant l’objectif ce qui s’est dit ou pas pendant la séance. La cabine photomaton se transforme alors en « psychanalyse par l’image » ce qui complète l'analyse du psychanalyste.
Ainsi, durant trois ans, Alain Baczynsky réalisa 242 autoportraits automatiques, aujourd’hui immortalisés dans ce livre et conservés au Centre Pompidou.
© Centre Pompidou – Musée national d’art moderne, Paris
Pour en savoir plus sur ce singulier travail d'introspection, Alain Baczynsky a accepté de répondre à nos questions. Un entretien qui s'est avéré plus que jamais indispensable pour sonder la personnalité de l'artiste et surtout comprendre en profondeur le travail psychanalytique possible par l'image.
© Centre Pompidou – Musée national d’art moderne, Paris
Pourquoi ce livre ?
Quand j'ai commencé cette psychanalyse, j'ai voulu garder une trace, et au bout de quelques séances, en descendant dans le métro à Jussieu j'ai croisé cette cabine Photomaton, et ça m'a donné l'idée de faire des photos pour immortaliser ces moments.
C'est vous qui avez eu l'idée de faire ces photos, votre psychanalyste ne vous a pas soufflé l'idée ?
Non pas du tout. Un psychanalyste, il fait une analyse. Par contre, je lui ai parlé de ce que je faisais, ça faisait parti de l'analyse de parler de ce que l'on fait, de ce que l'on a etc... Il était au courant, sans avoir jamais rien vu d'ailleurs.
L'idée de faire un livre vous avait-elle effleurée l'esprit en 1979 ?
Oui, c'était une sorte de rêve sans aucun fondement,une sorte de rêve éveillé : « Tiens, peut-être qu'un jour... je fais quelque chose que personne n'a jamais fait et on en fera un livre... ». Et puis, j'ai oublié cette idée, et j'ai continué à faire les photos durant 242 séances.
Vous avez commencé ce travail d'introspection en 1979, vous aviez 26 ans, que faisiez-vous à cette époque ?
Je finissais mes études aux Beaux-Arts et puis je commençais à travailler dans le théâtre.
Est-ce que vos études vous ont influencé dans ce travail de photomaton ?
Je pense que non, ça c'est construit un peu à mon insu. Je ne maitrisais pas les photos, il n'y avait pas de mise en scène. Je ne savais pas ce qu'il y aurait à l'issue d'une séance d'analyse. C'est une accumulation d'instants et tous ces instants créent ce travail. Et puis, il faut dire qu'une fois que j'ai arrêté, j'ai mis un gros élastique autour des photos,je les ai rangées au fond d'une valise, et puis j'ai oublié. Je ne les ai plus jamais regardé depuis cette époque-là.
Dans quelle perspective vous a t-on contacté ?
Un dimanche matin, j’ai reçu un email de Clément Chéroux*, du Centre George Pompidou qui m’a dit que par le biais d'une amie commune, il avait entendu parlé des photomatons que j'avais, et comme il projetait de faire une grande exposition sur ce thème là, il était curieux de savoir à quoi mon travail ressemblait.
Vous avez directement dit oui ?
C'était douloureux. Une analyse n'est jamais une partie de plaisir. Ce n'est pas quelque chose que l'on regarde volontiers, même des années plus tard : ça reste difficile. Pourtant, à cette époque, mes années passées à Paris n'avaient rien avoir avec l'analyse, c'était des années supers où je faisais plein de choses, je me développais, je découvrais le théâtre, je faisais des supers boulots. L'analyse c'était juste un moment de cette vie mais ce n'est pas le reflet d'années de souffrances. Une fois qu'on sort de chez l’analyste, on ferme la parenthèse et on revient à son quotidien qui est très loin de ce que on a pu aborder en analyse.
Que vous évoquait le photomaton à cette époque, et que vous évoque-t-il aujourd'hui ?
A l'époque il est devenu une sorte de partenaire, une sorte de psychanalyste « bis » puisqu'il se passait des choses dans le photomaton qu'il ne se passait pas forcément au cours des séances. On peut se sentir coincé dans l'analyse, incapable de franchir le pas, et dans le secret de la cabine où certaines choses pouvaient surgir qui parfois revenait chez l'analyste. C'était une sorte de va et viens.
Aujourd'hui le photomaton est un objet que je ne croise plus beaucoup dans ma vie. Ca fait partie du passé.
Comment s'est faite la première photo ?
Difficile à répondre, il y a quand même beaucoup d'années qui sont passées. A ce moment là, je ne sentais pas que je mettais la première brique d'un immeuble. Je l'ai fait sans même y réfléchir, c'était instinctif.
C'est vite devenu indissociable de cette thérapie?
Oui, c'est vraiment devenu indispensable ! C'était important pour moi de le faire. Le livre contient une sélection de 98 photos, or il y en a 242 au total. Même quand je n'avais rien à dire, rien à montrer, je le faisais, je le faisais par devoir.
En 1979, quand vous avez commencé votre psychanalyse, c'était un projet secret?
Personne n'était vraiment au courant mais c'était pas un projet secret non plus, c’était intime. Mes proches étaient au courant.
Comment avez-vous procédé dans la cabine photomaton ?Vous avez inventé un langage. Est-ce que c'était naturel ou réfléchi ?
C'est vrai que je réfléchissais, je me disais « comment je vais poser », mais finalement c'était très spontané, je me demandais pas pendant ¼ d'heure ce que j'allais faire. J'arrivais, j’étais plein de la séance. La porte cochère de l’analyste était à 50 m de la bouche de métro donc je me promenais pas. Je m’engouffrais dans la cabine dès qu'elle était libre. Et quand elle était en panne je changeais de cabine.
Chaque photo est accompagnée d'un texte. J'ai été surprise de voir que vous vous interrogiez sur votre religion juive. Pourquoi ?
C'est une question à laquelle il est difficile de répondre. Mais cela transparait encore plus dans la totalité des photos. L'identité est très souvent là. La Shoah est quelque chose sur laquelle j'ai grandi. Etant enfant de survivant, j'ai reçu ça comme le lait maternel, mais sans que l'on m'en parle. Mes parents ne m'ont jamais parlé de la Shoah. C'était déjà des personnes qui parlaient peu. C'est pas extraordinaire ; je connais beaucoup de juifs qui ont eu des itinéraires abracadabrants après 1967, 1968 qui ont été maoïstes, troskistes, bouddhistes qui ont été cherchés le Nirvana en Inde, pour finalement se retrouver dans une école biblique à Jérusalem, une kippa sur la tête. Pour ma part je me questionnais sur mon attachement à ce peuple.
Qu'est ce que vous attendez de la sortie de ce livre?
Rien. En tant qu'artiste, pour mes installations et expositions et j'ai toujours tout fait dans les moindres détails ; la conception, le graphisme, les invitations, les catalogues. Là, ce qui rend ce travail particulier est qu'il est en dehors de moi. Clément, qui s'est introduit dans cette vie passée,a exhumé ce travail qu'il a trouvé suffisamment intéressant pour le proposer dans une exposition, puis en faire un livre et quelque mois plus tard faire en sorte que ce travail fasse parti de la collection d'art contemporain. Je dirais que ce livre est une satisfaction. C’est une reconnaissance pour mes enfants. J’ai accepté ce projet en pensant à mes filles qui ne me connaissent pas en tant qu’artiste. Maintenant je resterai à leurs yeux une figure qui fait partie d’un des musées les plus connus du monde : le centre Georges Pompidou. Je laisse une trace.
Quel effet cela vous fait qu'un tel projet personnel, centré sur vous et votre vie privée, fasse aujourd'huipartie de la collection d'un musée et donc soit dorénavant apparenté à de l'art?
Au début je me suis dit que c'était un peu du voyeurisme et de l'exhibitionnisme, parce que j'écris des phrases très crues. Mais ce qui me rassure, c'est qu'en analyse, beaucoup de gens disent la même chose : même si chacun à son histoire propre, on partage souvent des souffrances qui se ressemblent, et donc ce que je peux dire sur mon père ou ma mère, je pense que quelqu'un qui fait une analyse, souvent, même si pas toujours, peut passer par là. Mais c'est vrai qu'une personne qui n'est pas passée dans ce monde d'introspection peut ne rien y comprendre.
Je réagis mal à ce que j'ai pu écrire, je n'ose même pas imaginer ce que les gens vont penser. Ca peut réveiller des choses, ça peut mettre très mal à l'aise. Et peut-être que certains vont se reconnaître.
Que pensez-vous de ces images quand vous les voyez aujourd'hui. Pensez-vous consultez ce livre de temps en temps?
C'est pas un livre que je consulterai. C'est un travail difficile. Je suis ailleurs, je suis vraiment très loin de ça maintenant, heureusement. Il y a des gens qui vont sûrement se demander: « comment il va maintenant, ce type ? ». Hé bien, il va pas mal du tout. Parfois des problème de dos, il n'a plus 26 ans.
Pourquoi ce titre: Regardez, il va peut-être se passer quelque chose...?
Clément Chéroux, très intelligemment, en relisant tous mes textes, a sélectionné des phrases qui l'ont frappé et il m'a soumis une liste de titres pour le livre, dont cette phrase là, et on a cherché ensuite la photo qui irait avec. Tout est venu de Clément.
Quels sont vos projet actuels ?
Pour l'instant, je n'ai pas de projet. Il me faut des années pour accoucher d'un projet. Pour l'instant, je suis plongé dans le théâtre, et cela me dévore. Sinon, je m'amuse avec mon site internet, j'envoie de temps à autre des chroniques humoristiques, tragiques mais toujours en décalage, sur Jérusalem. Ces chroniques ont pour but d'aller au-delà de ce que l'on trouve dans les journaux. Modestement, à mon niveau, j'essaye de remettre en question les idées préconçues qu'on a d'Israël.
Lien du site d'Alain Baczynsky : http://leminuteman.aquaray.com/gene/prefra.html
Propos recueillis par Alexandra Lambrechts, janvier 2012.
© Centre Pompidou – Musée national d’art moderne, Paris