Photographe anglaise née en 1815 et décédée en 1879. Elle débute sa carrière photographique à l’age de 48 ans, lorsque sa fille ainée lui offre un appareil photographique. Nous sommes en 1863, l’idée que la photographie puisse être un art commence à affleurer.
Julia Margaret Cameron est une issue de la grande bourgeoisie, avec même du sang aristocrate français. Née en Inde, elle a vécu en France, Angleterre et à Ceylan (actuel Sri Lanka). Elle rentre sur Londres en 1848 à la retraite de son mari, de 20 ans son ainé. Sa carrière photographique est courte, environ 12 ans, mais lorsqu’elle s’installe en 1860 sur l’île de Wight, elle dispose déjà de tous les atouts nécessaires à une carrière artistique.
C’est qu’en bonne épouse victorienne, la culture fait partie de ses attributions au sein du couple grand-bourgeois. Elle possède en plus, probablement, ce souffle d’indépendance permis par la vie dans les colonies, et son age respectable la délivre des contraintes et obligations des jeunes dames. Elle est en relation avec l’élite intellectuelle de son pays, écrivains, poètes, peintres. La peinture préraphaélite, en particulier, la séduit et elle côtoie ses plus prestigieux représentants, notamment Dante Gabriel Rossetti, une de ses figures les plus influentes.
Elle possède les moyens de sa passion, et il en fallait pour faire de la photographie dans des années 1860. La technique la plus avancée est alors le collodion humide, une des plus contraignantes de toute l’histoire de la photographie, inventé en 1851. Elle aménage une cave en laboratoire et une serre en studio, et s’initie à la technique de prise de vue et de développement. Elle ne sera jamais une technicienne pointue, mais elle ne fait pas partie de ces rats de laboratoire qui dans ces années là cherchent à perfectionner le procédé. Son approche est résolument artistique, et les flous lui conviennent.
J’aspirais à capter toute la beauté qui se présentait devant moi et finalement, cette aspiration a été satisfaite.
Un entourage pré-raphaéliste
Julia Margaret Cameron est indissociable dans son esthétique de la confrérie des pré-raphaélistes (Pre-Raphaelite Brotherhood). Ce mouvement pictural, comportant aussi des poètes et des écrivains, est résolu à briser le carcan des conventions victoriennes, en revenant à une peinture "d’avant raphaël". Il parait étrange aujourd’hui que ce mouvement plutôt nostalgique, pompier à force de maniérisme technique, aie pu scandaliser le milieu de l’art anglais des années 1850.
Les préraphaélites veulent un retour au motif, à l’observation, au dessin d’après modèle, plutôt qu’à l’idéalisation académique, le beau idéal et ses proportions édictées et "universelles". Cela fait d’eux d’excellents dessinateurs, obsédés du détail. Des caricatures les montrent observant à la loupe l’ongle d’une femme nue. En soi, pas de quoi soulever un tollé de la part de la bonne société. Si ce n’est que ces talents d’observations sont appliqués par John Everett Millais et sa confrérie à des thèmes religieux et mythologiques. Chaque plante symbolique, chaque personnage, reçoit un traitement hyperréaliste, et c’est cette trivialité du réel appliquée a des thèmes sacrés qui secoue l’establishement. La société victorienne ultra-conservatrice brisera le mouvement en moins de 10 ans. Critiques acerbes, menaces larvées, vont intimider plusieurs des 7 membres. Les histoires fratricides de coeur et de fesses vont achever la confrérie.
Notons que le pré-raphaélisme aura une influence durable, sur le symbolisme quelques decénnies plus tard, et sur toute l’esthétique héroic fantasy et gothique, notamment dans le jeu vidéo, aujourd’hui encore. Il est parfois considéré comme le premier mouvement d’avant-garde de l’histoire.
Julia Margaret Cameron fréquente les pré-raphaélites. Comme eux, elle s’intéresse au portrait, s’intéresse à la littérature et à la mythologie. Son travail de photographe possède deux aspects : les photographies de ses proches - famille et artistes - et la création de scénettes d’inspiration picturale. Ces deux activités ne sont pas clairement cloisonnées, puisque ses proches servent de modèles pour la constitution de ses tableaux photographiques, et les meilleures de ses images entretiennent un trouble entre réalisme et un certain onirisme.
ulia Margaret Cameron a une approche "psychologique" du portrait, elle s’intéresse à dégager une émotion, un sentiment, des sujets qu’elle photographie. La proximité intellectuelle ou sentimentale à ses sujets est donc partie intégrante de son approche photographique. Le collodion humide donne un timing serré au travail du photographe : moins de 30 minutes sont disponibles entre le moment où l’on prépare l’émulsion et le moment ou on la développe. Elle travaille donc uniquement dans son studio, proche de la chambre noire. Le flou dû à la longue pose, la concentration sur le centre de l’image sont pour elle des effets plastiques assumés, qu’elle appuie par un traitement subtil de la lumière.
Lorsqu’elle crée des images plus ouvertement "picturales", engageant de la mise en scène, Julia Margaret a la finesse de ne pas entrer sur le terrain des peintres, qui rivalisent de maestria dans la finesse de composition, d’harmonie des couleurs vives et d’évocation historiques et religieux. Ses scénettes comportent de une à trois personnes, rarement plus, dans un décor quasi absent. L’ensemble dégage un intimisme ethéré, et ressemble plus à une esquisse, une étude qu’une oeuvre en soi, ce qui rajoute encore à l’aspect insaisissable des personnages et situations.
Il est souvent difficile de donner un statut clair aux images qu’il nous reste d’elle. A la fois photos souvenir, à la fois figures allégoriques échappées d’un tableau plus vaste mais disparu, elles restent suspendues dans l’interprétation, ce qui convient parfaitement à la beauté "intemporelle" que cherche a produire Cameron. L’enfant détendue aux ailes repliées de "I wait", sa photographie la plus connue, l’illustre parfaitement.
Ruinés, les Cameron repartent vers Ceylan, ou Julia Margaret ne pourra pas réellement continuer sa pratique. Le matériel chimique s’y trouve difficilement. Mais, surtout, elle est coupée du stimulant milieu grand-bourgeois londonien qui lui fournissait ses modèles photographiques et son émulation. Elle photographie encore un peu, mais le coeur n’y est plus. Elle s’éteint en 1879, à l’age de 64 ans.
Il faudra attendre le début du vingtième siècle pour que les pictorialistes, Stieglitz en tête, sortent son travail d’un oubli certain. Ils verront en elle un précurseur du pictorialisme, un artiste affirmé, qui a dépassé la technique et insufflé des qualités spécifiquement photographiques à ses images.
La retenue de ses compositions, leur étrange simplicité, leur tension entre présence et représentation, auront finalement payé. Julia Margaret Cameron est reconnue aujourd’hui comme une des artistes pionnières de la photographie.