La photographie contemporaine a beaucoup milité pour son autonomie, avec pour conséquence son entrée dans les musées. Quelques « valeurs symboles » à grande visibilité ont ainsi occupé le terrain, quand parallèlement la pluridisciplinarité des artistes eux-mêmes, en quête des limites de la photographie a conduit à un « oecuménisme culturel » où la photographie, en élaborant son champ, en a parallèlement brouillé les limites, ou la mainmise des institutions, en contribuant à cette autonomie, a freiné le travail de création. Photographes plasticiens, plasticiens photographes, photojournalistes, photographes de mode, de plateaux, publicitaires, photothèques, collectifs de photographes, tous ont contribué à l’exploration du champ photographique, de la recherche formelle jusqu’aux limites des sciences humaines. La photographie n’en a pas pour autant échappé à une certaine forme de subordination, qui conduit à la production d’objets culturels, aussitôt absorbés par un marché en pleine expansion.
Dans ce cadre complexe, Combes et Renaud plaident en faveur d’une défense du photographique. Ils proposent une réflexion qui couvre un ensemble de problématiques propres à la photographie :
• Questionnement de la peinture, la soi-disant rivale historique, dont avant même l’invention de la photo, elle en dessinait quelques uns des axes récurrents de questionnement (cadre, rapport au réel, exaltation de la matière, éloge du noir, mythologie de la Nature, etc.).
• Questionnement de l’estampe, ou de la reproduction infinie du même par le moyen du négatif / positif, cliché / poncif, débat alimenté par un questionnement du médium, au moment où la photographie avec le numérique, entre dans l’immatérialité, et où ses supports se trouvent radiés de la grande consommation (papiers, pellicules, chimie, etc.) où aussi sa distribution a été via le Web profondément révolutionnée.
• Questionnement du sujet, avec un travail spécifique sur les lieux abandonnés ou détruits, tantôt témoins d’un monde en voie de disparition, tantôt mythologie du délaissé, révélé par le photographe, et qui définit en creux celle de l’adopté, comme une métaphore de la photographie. Ces recherches se retrouvent dans les divers travaux de Combes et Renaud depuis 1987, avec différentes approches formelles, en noir et en couleur.
Paysages – Non-arrêt sur image(s)
Sténopés, 2001-2009
L’idée de « retour » au sténopé, technique de la pré photographie et du bitume de Judée (ici, notre support sera le Polaroid®) est venue naturellement, pour appuyer une démarche complémentaire à nos travaux en noir. Le paysage est un problème pour le photographe. Celui-ci ne peut l’aborder que par la bande (en noir et blanc, par exemple, oui), tant là il frôle les compétences admises de la peinture. Domaine réservé en quelque sorte, et réservé à l’Histoire, de surcroît, « Circulez, ya rien à voir ». Mais nous ne pouvions pas résister à ce passage à la couleur, et en forçant le trait, qui plus est.
Alors « matiérisme » ? Oui. « Maniérisme » ? Pourquoi pas. « Pictorialisme » ? Le mot est lâché.
Nous avons décidé que nous n’aurions pas peur de notre ombre, ni de celle du Commandeur : on ne peut pas s’affranchir, dans le cadre d’une réflexion sur le paysage, des problèmes formels, de la logique du médium, de la matière, du rapport au baroque, au maniérisme même, et parallèlement parler d’autonomie de la photographie. La délicate chimie du support transmet la lumière de manière aléatoire et le hasard veut que cela produise une ambiance assez monochromatique, écrasant les tons chauds, et la perspective. Nous avons associé des techniques transversales de l’histoire de la photographie : le sténopé, le Polaroid®, le scanner, le tirage numérique grand format. Travail sur la matière photographique, le post, le néo, et poursuite d’une scrutation des espaces dépourvus d’identité propre, dans une expédition visuelle interrogeant les limites, les contours, et les fondements de l’art photographique.
Paysages est une série de sténopés montrant la nature, sans que la nature y soit vraiment présente.
C’est plus une mythologie de la nature, où celle-ci, loin d’être idéalisée, est vue comme un danger potentiel. L’association de trois techniques successives balayant l’histoire de la photographie, du sténopé au numérique, procure la sensation d’un étrange voyage dans le temps. Les images produites par le sténopé sont brutes. La fragmentation en pixels de la matière délicatement crémeuse du Polaroid® ramène à la touche, figurant un « in-situ » à la fois baroque et décomplexé. La série vidéo «Non-arrêt sur image(s)» montre l’aboutissement d’un travail, où les sténopés, accumulés dans le temps, sont ensuite montés successivement en fondus enchaînés, puis installés en projection grand format. L’immatérialité de l’oeuvre ainsi produite, qui tient sur un dvd, dialogue avec les clichés du genre. La matière est créée par la succession presque imperceptible des images.
Une vibration, qui tient lieu de gestuelle, si l’on veut, un « arrêt sur image(s) » qui renvoie à un sentiment de gravité, de recueillement, comme un lien sacré, non pas avec la nature, devenue prétexte, mais avec l’image. R.D
Texte: ©Roland Deloi a