MISSION #020. Tirage pigmentaire (2016) sur papier Baryta Contrecollé sur aluminium 51,1 x 75 cm. © Michel Houellebecq / Air de Paris, Paris
L'écrivain prolifique est exposé dans le cadre de la saison Happy Sapiens du Palais de Tokyo, jusqu'au 11 septembre prochain. Mais il ne l'est pas en tant que tel : c'est en effet le Houellebecq photographe qui est mis à l'honneur dans « Rester vivant ». Mais on pourrait même aller jusqu'à dire qu'il remplace Jean de Loisy, le commissaire de l'exposition : c'est en effet Michel Houellebecq qui a géré absolument tout l'espace, l'ordre des photos, le texte associé, jusqu'aux positions des sièges destinés aux visiteurs ! D'où une sorte de narration silencieuse de la pensée, convoquée par les photographies, qui se construit autour d'une exposition à la fois extrêmement variée et pourtant très cohérente. Préparez-vous à redécouvrir Houellebecq.
« Il est temps de faire vos jeux », nous dit la première photo. Elle est à l'image de l'exposition entière : évidente mais énigmatique, picturale mais textuelle, narrative mais poétique... Autant de paradoxes que le commissaire, Jean de Loisy, nous décrit lors de la visite. Seul. Car Michel Houellebecq, qui travaille mieux la nuit, s'est couché trop tard et n'est pas présent au vernissage. On ne lui en voudra pas, tant on a l'impression de converser avec son esprit, de rentrer dans sa pensée torturée, en visitant le vaste espace que le Palais de Tokyo lui a consacré.
INSCRIPTIONS #012. Tirage pigmentaire (2016) sur papier Baryta Contrecollé sur aluminium, 88,1 x 60 cm.
© Michel Houellebecq / Air de Paris, Paris
Dans cette optique, l'espace de l'exposition est totalement maîtrisé par Michel Houellebecq : la répartition des photos et des quelques objets, leurs emplacements, l'éclairage des salles, l'ordre des constituants... Comme dans une phrase. À ce titre, le rapprochement avec l'écriture littéraire est tout trouvé, même s'il n'y a jamais de confusion possible entre ces deux domaines chez Houellebecq : il se consacre à la photographie tout à fait pleinement, et indépendamment de son travail d'écrivain. Cela n'empêche pas que certaines œuvres de l'exposition mêlent le texte à l'image : photos sur lesquelles un texte est écrit, comme par exemple celle ci-dessus où une phrase inachevée donne au paysage un sens tout autre que s'il avait été dépourvu de texte ; un magnifique passage de La possibilité d'une île accompagne, sans la supplanter, la zone dévolue à Clément, le défunt chien de l'auteur. Le subtil rapprochement entre écriture littéraire, poésie et photographies se fait naturellement, sans excès, comme une évidence.
MISSION #001. Tirage pigmentaire (2016) sur papier Baryta Contrecollé sur aluminium, 88,1 x 60 cm.
© Michel Houellebecq / Air de Paris, Paris
Mais l'exposition frappe surtout par sa diversité, par la variété de ses objets et de ses atmosphères. Si les photographies sont majoritaires, elles laissent leurs places aux vidéos, aux objets étonnants, aux installations remarquables. Il ressort de tout cela une sorte d'intelligence de la bizarrerie, d'esthétique qui est basée sur une synthèse de l'énigmatique avec l'artistique : un crâne posé dans un écrin fait de canettes de Coca-cola que Houellebecq a reçu par la poste, puis une sorte de salle d'attente, élaborée par lui, un être humain sous forme d'éléments chimiques... La fascination se mêle au questionnement, non sans un certain humour, qui se conjugue au caractère désabusé et pessimiste de l'auteur (comme ci-dessus).
TOURISME #001. © Michel Houellebecq / Air de Paris, Paris
Mais au sein même des photographies, la variété fait loi. Les premières salles, très obscures, ont leur atmosphère balayée par une salle dévolue au tourisme, où les couleurs recouvrent sol et murs, et où les visages sont rayonnants (exemple ci-dessus). De même, la salle qui traite de l'érotisme jouxte un très bel espace consacré au chien Clément, et à son « amour absolu » (dont on a un exemple ci-dessous). L'expérience artistique y est complète, notamment à travers la diction poétique qu'Iggy Pop donne au texte de Houellebecq. La musique et la poésie semblent alors accompagner les photographies, et arrivent à exprimer, avec un langage, leur silencieux discours. À voir absolument.
DANS LES BRAS (II) © Michel Houellebecq / Air de Paris, Paris
Les photographies de Michel Houellebecq ne semblent que très rarement avoir été prises au hasard : à chaque cliché, une sorte de cadre, de cohérence, semble être définie, comme dans cette vache étrange qui semble être presque réelle, par son regard et par le cadre choisi, qui la circonscrit dans un milieu devenu sien (photo ci-dessous). De son pessimisme, de ses pensées tourmentées, du désordre du monde qu'il perçoit, l'auteur en construit une grande machinerie maîtrisée dans laquelle, même si l'on se promène, même si l'on se perd, une constance évidente surgit. Celle du travail, de l'esthétique, de la complexité de l'homme et de son irrationalité. De là à voir Houellebecq comme un « happy sapiens »... Il n'y a pas qu'un pas, et le Palais de Tokyo catégorise un peu trop vite. Cela dit, peut-être que seul le malheureux acquiert la sagesse qui rend heureux.
FRANCE #001. © Michel Houellebecq / Air de Paris, Paris