© Alvaro Hoppe, Santiago, du livre Chile desde adentro, Chile, 1983 Courtesy Galerie NegPos
La première photographie que l'on aperçoit en entrant dans la Maison de l'Amérique Latine est celle, immense, de Claudio Perez. Floue, comme une toile sur laquelle on aurait aplati des grands coups de pinceaux, avec, en son centre, une croix blanche. Voici la première apparition de l'exposition très réussie « Faces cachées. Photographie chilienne (1980-2015) ». La suite se décline en cinq volets, six photographes, trois générations, un pays. A la croisée de leurs regards, c'est la rencontre entre mythes et Histoire qui nous attend. Ou plutôt ce qui était caché par l'ombre de ces géants : les vies oubliées du Chili.
Zaida Gonzales (1977), dernière née et pourtant première à ouvrir l'exposition, transgresse tout : la tradition, la religion et même la photographie. Ses clichés en noir et blanc de bonnes soeurs aux seins nus, de mariés aux têtes de mort ou de mouton, de femmes dévoreuses de bébés sont recouverts d'encres aquarelles. Les joues colorées en rose donnent à ses personnages des airs de clowns sinistres. Le spectateur se retrouve piégé dans un univers de petite fille qui vire un peu plus au cauchemar à chaque pas. Le schéma patriarcal, le carcan de l'église, l'asservissement de la femme, rien n'est sujet à tabous. Les hommes deviennent des petits garçons pathétiques jouant avec des armes en plastique, accrochés au sein de la femme mère-esclave-prostituée. L'homosexualité prend un visage victorieux : la femme libérant la femme (en sens littéral comme au figuré). La photographie de Zaida Gonzales résonne comme un cri de rage et de liberté dans une société encore trop étriquée.
© Zaida González, Sans titre de la série Recuerdame al morir con mi ultimo latido, Chile 2009-2010 Courtesy Galerie NegPos
A mi-chemin entre l'imaginaire et le document, Leonora Vicuña (1952), rend hommage à la singularité de ses sujets. Ses portraits de chamanes, de guérisseurs et de paysans dressent un tableau mystique du Chili. Mais s'ils occupent pleinement le cadre, d'autres ont eu la tête arrachée. Présentant des photographies de personnes dont certaines avec la tête déchirée, la photographe invite à questionner la fragilité de l'existence et du souvenir.
© Leonora Vicuña, Koyom – Chile, 2010. Courtesy Galerie NegPos
© Leonora Vicuña, Revue personal, Chile, 2008. Courtesy Galerie NegPos
Le travail de Claudio Perez (1957) se divise en trois parties. D'abord, ses clichés de la communauté Quechua : des scènes fugitives d'une tradition oubliée, des anachronismes réels, et comme décors, des paysages désertiques où la pierre devient le sujet principal.
Sur le mur perpendiculaire, sa seconde série pétrifie : des grandes images de visages effacés sur des murs décrépits avec pour mention « Détenu puis disparu ». C'est là la mémoire d'une Histoire violente et oubliée, dont les seuls vestiges sont des traces d'encre éphémères.
Enfin, comme un dernier coup que l'on assène, viennent les photographies sans équivoque de la dictature de Pinochet : répressions policières contre des journalistes et des étudiants dans les rues de Santiago, expropriations des terres, réunions de nazis, manifestations en soutien à Pinochet.
© Claudio Pérez, Procesión, Estación San Pedro, du livre Ritos y Memoria, Chile, 2005 Courtesy Galerie NegPos
© Claudio Pérez, Volcan San Pedro y San Pablo, du livre Ritos y Memoria, Chile, 2005 Courtesy Galerie NegPos
Petit intermède avec Luis Navarro (1938) qui présente des portraits de familles Kalderash. En noir et banc ou en couleurs, les clichés couvrent sur plusieurs décennies la tradition gitane. Imprimées sur des toiles, les photographies se transforment en tableaux rendant un bel hommage à l'imaginaire gitan.
© Luis Navarro, Linda Pantich, du livre Foturi, Chile, 1983 Courtesy Galerie NegPos
Pour finir, on retrouve les rues bruyantes, les manifestations et la violence qui émaillèrent la dictature de Pinochet avec les frères Alvaro et Alejandro Hoppe (1956 et 1961). Dans une pièce sombre, l'Histoire nous saute aux yeux. De 1985 à 1988, les deux photographes ont su parfaitement capturer l'essence même de la foule et du militantisme. Saisissant l'instant parfait de la lutte comme de la vie quotidienne - celui où un policier s'aligne dans le trou qu'a fait une balle dans la vitre ou lorsqu'une passante ne peut étouffer un bâillement devant une vitrine – ils rappellent l'importance, la justesse et la force du photojournalisme.
© Alejandro Hoppe, Tribunal militaire, Santiago, du livre Chile desde adentro, Chile, 1987 Courtesy Galerie NegPos