Morgane Vié, Portraits (détail), 2010-2015, série de 23 portraits réalisés en Turquie, au Maroc et en Mongolie © Morgane Vié
Actuellement dans l'enceinte du FRAC Franche Comté, à Besançon, se tient une exposition intitulée Légende. En marge de cette installation aux supports multiples qui interroge la place du récit dans les œuvres et dans le processus créatif des artistes, une autre exposition s’offre aussi au public. Oeuvre de Morgane Vié, elle porte le doux et étrange nom de Contempler la noix de coco. Matérialité de la photographie, relativité de la beauté, mémoire de l’image, autant de sujets que cette jeune artiste questionne dans son travail.
De ses voyages en Turquie, au Maroc et en Mongolie, Morgane Vié a rapporté de nombreux souvenirs. Mais au lieu des habituelles babioles, ce sont ici des portraits, des portraits d'elle. Questionnant le regard photographique et la relation des différentes cultures à l’image, l’artiste a pris le parti de délaisser sa place derrière l’appareil pour devenir modèle. Sous le regard et les mains des photographes locaux, elle se fait maquiller, coiffer, parfois habiller, et diriger. Les mises en scène sont aussi kitsch que les retouches sont grossières. Mais, finalement, n'est-ce pas là notre regard, un regard propre à la culture occidentale ? A force de nous montrer son visage démultiplié, transformé, presque devenu interchangeable, elle force l’interrogation. Qu'est-ce que la beauté ? Cette question que l'on se pose depuis la nuit des temps Morgane Vié n'hésite pas à la reposer encore et encore.
Morgane Vié, Portraits (détail), 2010-2015, série de 23 portraits réalisés en Turquie, au Maroc et en Mongolie © Morgane Vié
Contempler la noix de coco est un étrange titre auquel on pourrait chercher bien des explications, sans jamais trouver la solution. Car c'est en fait la traduction du nom d'une île au large de la Nouvelle-Zélande, l'île de Niue. Découverte sur internet alors que l'artiste recherchait l'endroit le moins connu sur terre, cette île est devenue le sujet de son livre. C'est à un tout autre voyage qu'elle invite ici, un voyage purement virtuel, où la communication se fait sur Skype, où les nouvelles s'envoient par mail, où les photos se « partagent » sur Facebook. L’artiste, qui fait de la photographie à titre personnel, préfère pourtant exposer celles des autres aux siennes.
Morgane Vié aime également courir les brocantes à la recherche d’images. Vieilles, jaunies, anonymes, celles qu’elle a rapportées de Turquie sont les souvenirs de vies inconnues. Choisies parmi tant d’autres pour des raisons que même l’artiste ne peut expliquer. Ces images sont des images de familles, des portraits qui servaient de cartes de visite, des photographies susceptibles de se glisser dans la poche d’une veste. Disposées au-dessus d’un miroir, elles offrent aux spectateurs tous les aspects de leur matérialité : leur avers et leur revers, le grain de la photographie et les quelques lignes tracées au dos. Et pourtant, le mystère reste entier, renforcé par les effets de leurs ombres qui apparaissent et disparaissent tour à tour sur le mur.
Morgane Vié, Unknown memories (détail), 2010-2014, 43 photographies noir et blanc trouvées dans des brocantes au Maroc et en Turquie © Morgane Vié
Avant de quitter la salle, nos yeux se posent sur un grand livre à reliure noire : un album photo. Mais, à l'intérieur, nulle photographie. A la place, des feuilles pliées, en deux, en quatre. Sur ces feuilles, l'artiste a décrit les photos qui y figuraient. Chaque feuille pliée fait la taille des photographies disparues. Ce n'est pas sans rappeler l'œuvre, quelques mètres plus loin, de Hubert Renart. Ce dernier a non seulement inventé son double artiste, mais lui a aussi créé une exposition de photographies. Or de ces photographies ne restent que les légendes, disposées à hauteur des yeux. Là encore, les photographies sont invisibles. Au-delà du statut d'objet, elles deviennent des idées.
Exposition au FRAC Franche-Comté du 6 février au 8 mai 2016