The Chinese Photobook (Aperture, 2015) Edited by Martin Parr and WassinkLundgren Texts by Gu Zheng, Raymond Lum, Ruben Lundgren, Stephanie H. Tung, and Gerry Badger
Depuis 2004, Martin Parr s’adonne également à la recherche, puisque avec l’aide de Gerry Badger ( auteur et photographe Anglais), l’artiste publie trois volumes gargantuesques qui constituent une trilogie : « The Photobook: A history volume I, II, III ». http://aperture.org/shop/the-chinese-photobook-book-3110" découle naturellement de cet intérêt profond de Parr pour l’histoire du livre photographique. Simplement et comme le titre l’indique, il s’agit pour cet ouvrage de se tenir au plus près de l’histoire de Chine, en observant le pays par le prisme du médium photographique.
Cover and interior selection from Pictorial Review of the Sino-Japanese Conflict in Shanghai (Shanghai: Wen Hwa Fine Arts Press, Ltd., 1932),
from The Chinese Photobook (Aperture, 2015)
Présenté en 2014 aux rencontres d’Arles, le contenu du livre est aussi l’occasion d’une exposition itinérante qui se tient en ce moment à l’Aperture Galerie de New-York. Publié en 2015 chez l’éditeur américain Aperture, le dernier ouvrage de Martin Parr a donc été réalisé et assemblé à plusieurs mains : Gerry Badger présenté plus haut, et le duo d’artistes suédois WassinkLundrgen, que Martin Parr rencontre à l’Université des Arts de Chine en 2007.
Une histoire inédite de la photographie chinoise
L’intérêt premier de cet ouvrage réside dans son caractère inédit, la plupart des photographies et des supports présentés n’avaient encore jamais franchi les frontières chinoises. Traquées sur des marchés de Beijing, chez des antiquaires et même sur la toile (Ebay / kongfz.cn), les images offertes par Parr et ses collaborateurs sont frappantes de singularité, d’exotisme et d’authenticité.
Interior selection from Recent Photographs of the Great Leader of the Chinese People Chairman Mao, one of the earliest known collections of images of Mao (Fuping, China: Political Department of the Shanxi-Chaha’er-Hebei Military Region, 1945).
From The Chinese Photobook (Aperture, 2015)
Deux cent vingt cinq pages d’une histoire picturale unique, naviguant toujours sur les eaux d’une aura comme conservée. Car les photographies apparaissent dans leur support initial. Outre les images, le lecteur voit aussi les couvertures des livres, leurs formats, ainsi que les contextes historiques, politiques et sociaux dans lesquels ils s’inscrivent. Ainsi, les images semblent nous parler et nous éclairer depuis l’époque et l’endroit où elles furent capturées. Pour aider à la lecture de ces photographies, une légende et un texte aident à appréhender la biographie de l’artiste, les différents mouvements qu’il croise, et le contexte de la publication. Parfois même, la réception de l’ouvrage est évoquée.
Un outil de propagande
Présentés comme des documents, les livres photographiques sont souvent des outils, ceux de la Chine communiste de 1950 et ses messages publicitaires diffusés par le chef d’état Mao Zedong. Il faut dire que cette documentation propagandiste fut le premier vecteur qui intéressa Martin Parr avant même d’avoir l’idée de The Chinese Photobook. Ce qui frappe le lecteur, c’est l’aspect confortable, doux et souriant, à forte tendance documentaire de ces photographies de propagande. Par exemple dans « Medical people serving the People » en 1971, c ‘est un noir et blanc lumineux, des sourires d’enfants et un personnel médical riant qui tient en main « The little Red Book ». Que ne ferait t-on pas pour que la majorité garde du coeur à l’ouvrage ? Il faut également observer le « catalogue of tongue », qui prétend livrer des informations sanitaire au peuple Chinois. En couleur, disposés sur deux colonnes verticales, les photographies sont des gros plans de langues malades, de texture et de couleurs, de variantes visuelles qui opèrent avec la maladie.
Cover of China's Women Workers (Beijing: Workers Publishing House, 1956),
from The Chinese Photobook (Aperture, 2015)
Cover and interior selection from Chairman Mao is the Red Sun in 18 Our Hearts (Beijing: People's Fine Arts Publishing House, 1967),
from The Chinese Photobook (Aperture, 2015)
La photographie chinoise d'aujourd'hui
Heureusement, l’imagerie propagandiste n’est point la seule à interpeller le regard. A vrai dire, chacun des septs grands chapitre présente un intérêt majeur. L’Histoire démarre en 1900. A partir de cette date et sur un axe chronologique, il s’agit d’observer le passé à travers une longue vue : guerre sino-Japonaise, instauration de la Chine Nouvelle, publications de l’état pendant la révolution culturelle… jusqu’à l’avènement de la photographie chinoise contemporaine.
Interior selection from No. 223 by Lin Zhipeng (Taipei: Revolution- 28 Star Publishing and Creation Co., Ltd., 2012),
from The Chinese Photobook (Aperture, 2015)
Ce dernière chapitre est lui aussi surprenant, notamment en raison d’une forte dimension transgressive, qui contraste avec les photographies proposées dans les six parties précédentes. Le lecteur peut aisément reconnaître le banal, la dérision et l’idiotie, tropes chers à « l ’extrême contemporain », au sein de séries photographiques violentes, voyeuses, toutes en paradoxes, en poésie. Les images de Lin Zhipeng et de Ren Hang écument les possibles du corps, de la nudité, de la relation à l’autre et à l’objet au sein d’un quotidien où il faut tromper l’ennui. Les photographies sont des sandwiches, des pénis, des éviers sales où les poils ornent les cotés. Elle jouent souvent de la dualité et de l’ambivalence renforcés par l’utilisation du dyptique.
Mais il y a également une écriture des choses plus sage et moins suggestive, comme les Sleeping Chinese de Bernd Hagemann, ou encore les Modern Times de Patrick Tsai, peintures criantes de la vie moderne. Comme les images de Yan Yong qui documente le quotidien haut en couleur des prostituées de la ville de Shenzhen. Il y a aussi les paysages de Zhang Kechun qui sont un comme un écho à la récente série Pastoral d’Alexander Gronsky : ici, le mythique fleuve jaune (Huang He), condamné par l’urbanisation croissante, transpirant d’usines et d’une beauté fanée.
Plus que la vision d’artistes étrangers sur la Chine, comme celles de Henri Cartier-Bresson ou du talentueux Marc Riboud, The Chinese Photobook retient l’attention grâce aux signes, aux symboles et aux objets représentés auxquels l’oeil occidental n’est pas forcément accoutumé.
Quelle meilleure façon de rendre hommage à l’Histoire du livre photo que de laisser ce dernier vivre et s’articuler, que de le laisser déployer la vérité à travers une infinité d’histoires possibles ?
http://aperture.org/shop/the-chinese-photobook-book-3110"