Richard Misrach, Untitled (July 26, 2012 3:57PM), 2012, from The Mysterious Opacity of Other Beings (Aperture, 2015) © Richard Misrach, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco, Pace/MacGill Galler
Initialement diplômé en mathématique et sociologie, Richard Misrach obtient une bourse photographique en 1969. La première récompense d’une longue liste à venir. Dès lors, le jeune-homme qu’il est entame une épopée photographique en couleur et au format 20x25 : Desert Cantos. Directement inspirée du poème d’Ezra Pound, cet ouvrage a pour sujet les paysages de l'Ouest américain, essentiellement le désert et les outrages qu'il a subis de la part des colonisateurs européens, de l'Amérique militaire et commerçante. Chanter la lumière et la fange donc, puisque photographier le désastre, c’est aussi attirer l’attention, tenter de dire et de voir malgré tout, même si cette vérité n’est jamais toute, seulement fragmentaire.
En 1998, le photographe part pour Cancer Alley, une zone entre la Nouvelle-Orléans et la Louisiane, où se trouvent 135 raffineries de pétrole actives. Quatre ans plus tard, Misrach quitte l’élément terrestre pour s’intéresser à l’eau : paraît Beach, une symphonie dédiée au sable et à la mer, une rêverie poétique de corps-objets qui sont comme abandonnés dans le décor.
L’ouvrage auquel il convient de s’intéresser cette année porte un titre énigmatique : The mysterious opacity of other beings, quelques mots dont la sonorité n'est pas sans rappeler le best-seller de l’auteur américain Mark Haddon en 2003 : The Curious Incident of the Dog in the Night-time. Le livre raconte la sensibilité exacerbée et l’intelligence des choses d’un jeune garçon atteint du syndrome d’Asperger. Il est amusant de constater que les images de Richard Midrash ici, transportent elles aussi l’idée d’insularité physique et psychologique. Les personnages figés par l’objectif du photographe vivent un instant fragile, vulnérable, un instant transcendant et rare, presque impossible à transposer au sein de la vie quotidienne. Comme pour Christopher (le héros du livre de Mark Haddon), la relation à l’autre et au monde prend une signification très singulière sur les images de Richard Misrach. Pourtant, elles demeurent le reflet nécessaire de ce qui émeut en photographie : un détail, des signes subjectifs, alliés à une réalité matérialisée par la représentation.
Richard Misrach, Untitled (July 29, 2012 7:43PM) [detail], 2012, from The Mysterious Opacity of Other Beings (Aperture, 2015)
© Richard Misrach, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco, Pace/MacGill Gallery, New York and Marc Selwyn Fine Art, Los Angeles
Richard Misrach, Untitled (July 28, 2013 4:19PM) [detail], from The Mysterious Opacity of Other Beings (Aperture, 2015)
© Richard Misrach, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco, Pace/MacGill Gallery, New York and Marc Selwyn Fine Art, Los Angeles
Aucun texte ici, sinon la narration mise en place par les photographies. Quarante et une pages dont chacune contient deux photographies. La photographie de gauche est comme un détail agrandi du plan d’ensemble qui suit. Certaines images revêtent un aspect humoristique , comme ce couple dont la couleur agressive des maillots de bain rappelle le regard critique de Martin Parr sur les plages d’Angleterre. Mais la plupart des photographies sont graves, car les corps, souvent seuls, dérivent et méditent, ils sont comme un écho à la position inerte du mort. La construction de l’image (qui fonctionne donc de façon binaire), appuie justement cette idée de gravité, en « zoomant » sur les visages et les expressions, c’est comme un désir de sonder l’intériorité des personnages qui opère. Ce sont d’ailleurs les mouvements des nageurs qui cristallise la tension dramatique de l’image. Le bleu de la mer, lui, change au fil des pages, et les corps épars s’adressent toujours au bleu du ciel impitoyablement hors-champ.
Richard Misrach, Untitled (August 4, 2012, 5:00PM), 2012, from The Mysterious Opacity of Other Beings (Aperture, 2015)
© Richard Misrach, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco, Pace/MacGill Gallery, New York and Marc Selwyn Fine Art, Los Angeles
Hommes, femmes, enfant, seuls, ou à plusieurs. Les jambes et les bras en surface dérivent au gré de positions des nageurs, aussi changeantes que l’espace dans lequel ils évoluent. Le temps qui passe est simplement marqué par les gammes de bleu changeants, aléatoires. Il s’agit de voir, d’imaginer le sujet de la photographie en train d’imaginer lui-même et d’avoir conscience de soi. Conscience de la vie changeante de la lumière qui se déploie doucement pour donner une forme aux mouvements de l’eau et aux êtres alentours, et qui produit du grain à moudre pour l’imagination. Cette forme qui permet de faire sens, de trouver les images cachées derrière celles qui se montrent.
Richard Misrach, Untitled (August 4, 2012, 5:00PM) [detail], 2012, from The Mysterious Opacity of Other Beings (Aperture, 2015)
© Richard Misrach, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco, Pace/MacGill Gallery, New York and Marc Selwyn Fine Art, Los Angeles
Richard Misrach, Untitled (November 10, 2012, 3:08PM) [detail], 2012, from The Mysterious Opacity of Other Beings (Aperture, 2015)
© Richard Misrach, courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco, Pace/MacGill Gallery, New York and Marc Selwyn Fine Art, Los Angeles
Romantique et subjectif, en quête d’un sublime transcendant et loin des paysages esseulés de ses premières oeuvres, Richard Misrach semble illustrer les Essais du philosophe Gaston Bachelard sur l’imagination et la matière. Dans l’Eau et les rêves, ce dernier insiste sur le fait que « l’eau croise les images », ou encore sur l’idée « qu’un détail infime de la vie des eaux devient souvent (...) un symbole psychologique essentiel » Ce sont ces mêmes symboles qui permettent à The mysterious opacity of other beings de déclencher un long serpentin de sensations et d’idées. Car la quête du beau et du vrai, selon richard Misrach, doit opérer autant dans le monde naturel que dans le monde artistique, et la photographie, modestement, a pour rôle d’écrire avec la lumière ce que les mots prononcés échouent à raconter.
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