© Kosuke Okahara, Poste d’observation détruit. Iwaki, 40 km sud
© Kosuke Okahara, Tsuyoshi Konno, fermier, a été évacué de Namie avec ses vaches après la catastrophe nucléaire, Motomiya, 55km ouest
A seulement 35 ans, Kosuke Okahara est déjà un photographe chevronné. De la guerre du Darfour en 2004 au soulèvement de Tripoli en 2011, en passant par le trafic de drogue en Colombie, il affiche un portfolio bien complet. En 2010, il remporte le prix W. Eugene Smith Fellowship avec sa série « Ibasyo », qui veut littéralement dire « l'espace physique et émotionnel dans lequel une personne existe », en japonais. Plus concrètement, son travail a été de photographier le quotidien de jeunes filles japonaises dépressives et suicidaires. Aujourd'hui, il continue de se laisser guider par des sujets qui le touchent. Amoureux du noir et blanc, le petit protégé de la galerie Polka vole désormais de ses propres ailes.
© Kosuke Okahara, Affiche du parti Libéral démocratique et de son représentant le Premier ministre Shinzo Abe sur la route en direction de la zone d’exclusion, Tamura, 21 km ouest
« Rendez compte de ce que vous voyez. Faites-le pour nos enfants »
C'est la demande que lui a faite un sinistré de la catastrophe. Le 11 mars 2011, un violent séisme de magnitude 8,9 touche la côte nord est du Japon. S'en suit un désastre écologique et humain à seulement 300 kilomètres de Tokyo. Un réacteur de la centrale nucléaire de Fukushima Daishi explose et expose éminemment toute la population aux alentours à de forts risques de radiation. Comme le raconte Kosuke Okahara, le pays entier se fige, paralysé par la peur de voir resurgir les anciens démons de 1945.
Après avoir été informé de l'horreur, le photographe alors en reportage en Libye, rentre immédiatement au pays. D'abord inquiet à l'idée de retrouver la foule de Tokyo en pleine folie de l'heure de pointe, Okahara est choqué de ce qu'il voit. Tokyo, ressemble à une ville fantôme. Le photographe y voit un phénomène très japonais, « le jishuku », qui désigne l'auto-restriction volontaire.
© Kosuke Okahara, Ferme de bovins désaffectée, Namie, 7 km au nord-ouest
© Kosuke Okahara, Tétrapodes partiellement ensablés sur une plage près de la ville de Tomioka, 10 km sud
Prises de vue et compteur Geiger
Malgré la peur constante de la radiation, Kosuke Okahara se lance dans ce reportage. Les 96 clichés qu'il présente reflètent « un monde incolore, où le temps a cessé d'exister ». On y voit des villes désertes, des maisons abandonnées et des gares en friche. La nature – sauvage – semble être en train de reprendre le dessus, comme à la gare de Momouchi à proximité d'une bien sombre forêt. Les paysages font froid dans le dos. Beaucoup de barrières ne peuvent plus être franchies à cause des ondes radioactives, des bâches cachent les charognes. Au vu de l’atmosphère, l'utilisation du noir et blanc était presque légitime pour cette série.
© Kosuke Okahara, Sacs plastique noirs renfermant de la terre et des plantes contaminées, Tomioka, 11km sud
Très peu d'humains sont représentés sur les photos car les habitants ont souvent été forcé de quitter leurs domiciles. Cependant, certains ne pouvant pas partir pour des raisons financières ou affectives, ont dû s'habituer au néant qu'est devenu leur région. Le photographe tisse des liens avec quelques habitants. Mr Suzuki, par exemple, ne peut plus vivre de son métier, la pêche. Considéré comme le spécialiste de l'oursin dans la région, il a été contraint de mettre la clé sous la porte de son restaurant à cause des taux de radioactivité trouvés dans l'eau de mer. Une conséquence dramatique en amenant une autre, le tourisme a également cessé dans la région. Les habitants sont tout à fait conscients de leur situation, qu'ils acceptent comme une fatalité. Comme cet instituteur, Noriyuki Sanpei, qui redécouvre la plage en compagnie du photographe. Debout sur la plage, droit comme un i, il fixe l'objectif du photographe, avec un regard hagard. Et ce regard est malheureusement récurrent chez tous les sujets photographiés.
© Kosuke Okahara, Noriyuki Sanpei, « C’est la première fois que je revois la mer depuis le tsunami. Jusqu’à aujourd’hui, je ne pensais pas y revenir », Minamisoma, 32 km nord
© Kosuke Okahara, La famille Sanpei, Motomiya, 55km ouest
Etant lui même japonais, le photographe a rencontré, il le confesse, un réel problème de prise de distance avec le sujet. Malgré cela, l'artiste a su faire preuve de courage et de talent pour capturer toute la tristesse de la situation. Fidèle à la phrase de Winston Churchill, « un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre », Kosuke Okahara réalise un travail de mémoire pour les générations à venir.
© Kosuke Okahara, Deux derniers membres de l’équipe de baseball du lycée Soma Agricultura, s’entraînant dans une zone décontaminé, Minamisoma, 25km au nord
Fukushima Fragments
Kosuke Okahara
Editions La Martinière
50 euros