Mignardises de Marion Lefebvre aux éditions Filigranes
© Adonis agrémenté aux Herbes fraîches - Marion Lefebvre
C'est l'Adonis agrémenté aux Herbes fraîches qui ouvre ce livre de recettes un peu particulier. Pour ingrédients, il vous faudra un jeune homme gracile aux yeux clairs, un sous-bois méditerranéen, du basilic, de la menthe, de la sauge etc... Selon les indications l'Adonis est une gourmandise « idéale pour rompre un jeûne », qui ne se prépare qu'en été. Ce plat, concocté par Marion Lefebvre elle-même, s'accompagne d'une de ses photographies qui présente l'Adonis en question : chérubin sauvage aux yeux bleus, il porte autour du cou une salade d'herbes folles prête à être dégustée.
Biceps et gourmandises
Au fil de l'ouvrage, les recettes aux noms évocateurs et littéraires se diversifient : L'Amant façon Tao, Alchimiste aux cheveux d'ange, Ogre à la ficelle etc... Le même schéma se répète : à chaque photographie correspond une recette, avec ingrédients insolites et conseils de préparation alléchants. Tous les corps masculins se retrouvent assaisonnés et agrémentés d'aliments divers (légumes, pop-corn, gingembre, chocolat). Marion Lefebvre cannibale ? Pour elle, il s'agit surtout de rassembler les plaisirs et d'assumer certains fantasmes féminins. Associer nourriture et corps, c'est susciter l'envie, provoquer les sens et particulièrement celui du goût. La photographe métamorphose progressivement notre regard en fine bouche. Rarement suscité lorsqu'il s'agit de photographies artistiques, le plaisir culinaire est ici étrangement convoqué. Les corps sont dévorés des yeux tandis que la bouche se remémore le goût des aliments qui y sont associés. Une étonnante symbiose se fait alors entre les deux sens. D'abord perturbante et dérangeante parce qu'inhabituelle, cette symbiose finit par se faire comprendre, s'impose comme un enchantement sur fond de questions politiques.
© Baron à la Montmorency - Marion Lefebvre
Subversives et quasi obscènes, les associations de Marion Lefebvre revendiquent le droit de regarder avec envie, de désirer tout simplement. Pour réaliser ses recettes, l'artiste s'est entretenue avec diverses femmes qui lui ont conté leurs fantasmes. Affirmant leur puissance en cuisine, elles déjouent les clichés en s'appropriant le corps du sexe fort. Contrôler les fourneaux, ça serait contrôler la maison et en être le véritable chef. L'argument machisme de base, « les femmes aux fourneaux », deviendrait alors la première arme du féminisme. Comme le dit l'auteur Francis Ricard à la fin de l'ouvrage, les femmes sont désormais modernes, libres d'affirmer leurs propres désirs et de prendre leur destin en main – en l'occurence leurs hommes. Transformés par une Circé moderne, les hommes sont ramenés à leur état animal, désignés par leur race...
© Roi de Saba - Marion Lefebvre
Les corps photographiés par Marion Lefebvre, associés aux textes, véhiculent des imaginaires ambiants qui interrogent. Ainsi pour illustrer le Roi de Saba elle choisit un jeune homme noir nappé de chocolat, pour illustrer le Gazpacho de Verano un Italien souriant recouvert de légumes colorés, pour le Génie roulé en réglisse noir un homme typé et costaud. Au lieu de casser les clichés elle ne fait que les affirmer, faisant correspondre âge et couleur de peau à des idées préconçues. Et si les fantasmes n'étaient finalement que des clichés ? L'ouvrage de Marion Lefebvre, qui se veut révélateur de désirs en associant chair humaine et aliments, n'est lui-même qu'un cliché de ce qu'est le fantasme féminin. La dérision affichée par l'ouvrage, ne serait-ce que par le titre choisi Mignardises et par l'absurdité du projet (cuisiner les hommes !), permet d'éclairer les motivations de l'artiste qui joue à outrance avec les clichés, tous les clichés...
© Suprème de Pharaon aux olives - Marion Lefebvre
© L'amant façon Tao - Marion Lefebvre
Paulina Gautier-Mons