© Joyeux enfer
Aujourd'hui, la pornographie fait partie intégrante de notre société. Il suffit de regarder certains clips musicaux de nos amis Outre-atlantique pour se rendre compte que la frontière entre l'interdit au moins de 18 ans et le politiquement correct est de plus en plus maigre. Mais comment en est-on arrivé là ? L'ouvrage Joyeux enfers nous fait voyager dans le temps et découvrir les clichés qui émoustillaient nos grands parents.
Joyeux enfers est l'oeuvre d'un photographe et collectionneur d'anciennes photos érotiques / pornographiques. Alexandre Dupouy, né en 1955, a croisé très jeune les mœurs légères des prostituées dans le quartier parisien où il a grandi : Barbès. Ayant consacré sa vie à sa passion, il écume les marchés aux Puces afin de trouver des vestiges des prémices de la pornographie. Par la suite, il ouvrira une librairie/galerie spécialisée et créera une maison d'édition dédiée au libertinage et à l'érotisme. Il a également préfacé les Oeuvres érotiques complètes d'Apollinaire.
Un voyage porno-pédagogiqueLe livre permet à la fois de découvrir les premiers clichés sexuels qu'appréciaient nos ancêtres, mais également d'entrevoir l'histoire de la pornographie, ses censures, ses grands noms et sa démocratisation. L'ouvrage est accompagné d'un DVD de 60 minutes intitulé Porno Folies, qui offre 9 films pornographiques clandestins datant du début du XXe siècle.
© Joyeux enfer
À travers les 255 pages, on se retrouve plongé entre les années 1850 à 1930. Des clichés antédiluviens pour tous les goûts ou presque, avec des rubriques allant de l’Anatomie de l’intime à la Vie conjugale en passant par le Libertinage. Une seule absence est fortement remarquée dans ce recueil proposant même des photos d'ondinisme, celle de l'homosexualité masculine. Car à l'époque, même si il n'était pas rare de croiser dans les orgies nombre d'hommes respectables se donner du plaisir mutuellement, cela n'était tout bonnement pas socialement acceptable, en partie à cause d'une politique de glorification de la reproduction qui prédominait à l'époque, alors même que les clichés lesbiens s'offrent de manière décomplexée.
La totalité de ces clichés ont été conçus dans l'illégalité la plus totale et s'échangeaient sous le manteau sur les grandes artères parisiennes en format carte de visite ou via des catalogues clandestins et des cartes-références. Les photographes et modèles risquaient des amendes et des peines de prison ferme pour outrage. En effet, la photographie a également révélé la réalité du corps. Fini les peintures lisses et uniquement représentatives, ici comme devant un miroir, l'objectif ne laisse pas l'occasion aux divers bourrelets ou peaux d'oranges de se cacher. Et donc par définition au reste non plus. À l'époque, les prostituées étaient même mieux considérées que les modèles de charmes car elles étaient considérées utiles à la société, des « égouts séminaux » pour bourgeois.
Les nombreuses photographies proposées aux curieux amènent malgré tout un regard nouveau sur la pornographie, sur son histoire et sur son « art ». En effet, les premiers qui ont voulu immortaliser le corps sous l'angle du plaisir étaient confrontés à des coûts et à des temps de pose très longs, d'où l'important travail qu'ils accordaient à chaque photo. Cadrage, exposition, composition et attitude étaient analysés sous tous les angles avant de déclencher l'appareil.
Mais dès 1860, les fabricants ont commencé à proposer des papiers plus rapidement imprimables et l'évolution de la technologie a permi des temps de pose réduits à quelques secondes. La photo se démocratise et devient industrielle. La pornographie également. La qualité se dégrade en même temps que la demande augmente et la question de la valeur artistique se pose.
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Beaucoup s'accordent à dire que la pornographie est née en même temps que l'homme. Dès la préhistoire, de nombreuses illustrations explicites décoraient les grottes. Mais au fil du temps, les représentations pornographiques sont devenues honteuses, voir interdites. Le cinéaste et photographe français Alain Fleischer explique cette évolution par une volonté politique d'une pensée unique : « Le sens caché et l’objectif occulte de la pornographie sont d’inverser la signification sociale, morale, idéologique de la procréation et, de récompense, en faire une punition » Pour faire court, la pornographie éloigne l'homme de la relation sexe/procréation en le rattachant à la notion de plaisir, de distraction. Pour lui, la pornographie est politique mais également nécessaire à l'être humain, « La lubricité générale du monde humain : sans les images – et aujourd’hui sans les photographies pornographiques – c’est-à-dire aussi sans les miroirs, l’homme ne serait qu’un animal solitaire qui copule avec un autre animal solitaire »
La démocratisation de ces représentations se sont opérées par l'émancipation des femmes lors de l'absence des hommes durant la guerre 14-18. S'en est suivie irrémédiablement une émancipation sexuelle. De plus, l'homosexualité a commencé a s'afficher et le divorce à se démocratiser. Les progrès technologiques qui ont évolué en parallèle ont permi à de plus en plus de foyers de s'offrir un appareil photo et donc de produire ses propres photos de charme.
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Une question nécessaire à la compréhension totale de l'ouvrage tente d'être résolue dans les premières pages qui le compose, cela même avant de s'intéresser à l'histoire de cette tendance. Comment définir la frontière entre érotisme et pornographie ? Il est toujours impossible de répondre avec précision à ce questionnement, car chacun définit à sa manière son jugement et ses limites. Malgré tout, plusieurs personnes se sont penchés sur la question, avec une limite ressortant majoritairement, celle de l'obscène, comme tente de l'expliquer Michel Bernard dans son ouvrage Anthologie de l'érotisme contemporain « Certains cherchent à établir une distinction entre l'érotisme et la pornographie qui est, comme chacun sait, l'érotisme des autres. Dans l'un il y a Éros, ce charmant petit dieu grec mutin et bien lavé. Dans l'autre, oubliant la racine grecque (« porné » : prostituée), il y a la consonance « por » ce petit cochon répugnant dont le boudin fait pourtant des délices ». Ou, comme l'explique plus simplement la féministe et star du X américaine Gloria Léonard « La seule différence entre la pornographie et l'érotisme, c'est l'éclairage ». Il est donc difficile de mettre une étiquette sur ce livre, que certains trouveront probablement choquant (rien n'est caché et chaque partie de l'anatomie des hommes comme des femmes est mis en lumière). Et puis après tout, certaines images que nous dévoile la société d'aujourd'hui ne sont-elles pas quelques-fois plus choquantes ?
Joyeux Enfer n'est effectivement pas le cadeau à donner pour l'anniversaire de votre lointaine tante un peu trop coincée à votre goût, mais il est probable qu'il en fasse sourire plus d'un si d'aventure vous tentez de remplacer le présent classico-pompeux que vous offrez à vos proches chaque année.
© Joyeux enfer
Joyeux Enfer
Auteur Alexandre Dupouy
Date de parution 30/10/2014
Editeur La Musardine Eds
Anaïs Schacher