© Bruno Barbey - Démolition d'un vieux quartier avec Pudong en arrière plan (Shanghaï) 2012
« Je connais mieux la Chine que la France » lâche Bruno Barbey. Il a sillonné le monde pour l'agence Magnum et a voyagé en Chine dans différentes régions à différentes époques pour constater, images à l'appui, la métamorphose du pays. Il est fasciné par l'Empire du Milieu qu'il visite pendant quarante années. Les photographies issues de cet ouvrage sont d'une grande délicatesse, sans jugement. Elles émanent d'un travail d'auteur en immersion, proche de celui du sociologue. Qu'il s'agisse de moments hors du commun ou de scènes de la vie quotidienne, Bruno Barbey sait trouver la bonne distance. Ce livre présente une part infime de quarante ans de photos dessinant le portrait d'une nation en mouvement.
© Bruno Barbey - Place de l'industrie à Chengdu (Sichuan) 1980. La banderole dit "Soyons fermement unis autour du Comité central du Parti, luttons pour réaliser les Quatre Modrnisations". Mao veille en arrière plan.
Les premiers pas
« Très peu de photographes m'ont précédé lorsque je suis arrivé en Chine en 1973 pour accompagner Georges Pompidou dans la première visite officielle d'un chef d'Etat européen ! » Bruno Barbey découvre la Chine de la révolution culturelle qui tapisse les rues de propagande, où presque toute la population porte le costume de Mao. « Les couples ne pouvaient même pas se tenir la main dans la rue », se rappelle-t-il. Affublé d'un garde rouge qui le surveille, il photographie des régions encore vierges. Barbey a accès à sa grande surprise à des entrainements militaires et à l'incarnation du pouvoir en la personne de Zhou Enlaï, qu'il portraitise. Dominée par le rouge, cette période tranche avec le reste des photographies. L'ouvrage est construit en deux parties distinctes qui se répondent. Comme un aller-retour. On vit les changements s'opérant dans le pays comme notre photographe les a vécus.
© Bruno Barbey - La foule attend le passage du cortège du président Pompidou (Shanghaï) 1973
« Je suis photographe depuis cinquante cinq ans et ce que j'aime par dessus tout c'est de redécouvrir des vieux reportages et des régions que j'ai photographié car le temps s'écoulant permet de voir les mutations » précise Bruno Barbey. Il a connu l'âge d'or du photojournalisme avec Magnum mais son travail se confond avec celui d'un auteur. Il s'immerge dans une culture, sur un temps long pour comprendre. On sent en regardant les clichés qu'il s'intéresse vraiment au sujet qu'il immortalise sur papier glacé. Sa vision de la photographie est engagée et ce depuis son premier livre sur les Italiens. « Avant Magnum j'ai effectué un long travail en Italie où pendant deux ans j'ai photographié la bourgeoisie, le monde ouvrier, toutes les couches sociales du pays » nous explique-t-il. Son activité de photojournaliste lui a permis de voyager et d'alimenter cette démarche d'auteur qu'il revendique.
© Bruno Barbey - Un homme assis sur le pied droit du grand bouddha de Leshan (Sichuan) 1980
Photojournaliste ou artiste ?
Photojournaliste ou artiste ? Bruno Barbey juge cette question compliquée : « Je pense avoir une double casquette mais je ne suis pas d'accord avec un système de classification. Pour moi, un bon charpentier est également un grand artiste ». Sa personnalité très humble rejaillit sur ses photographies qui sont toutes humanistes.
Pourtant, exercer le métier de photographe en Chine parait ardu et il est rare en 1973 de croiser des photo-reporters occidentaux. Détrompez-vous ! Bruno Barbey affirme qu'il travaille bien plus en paix en Turquie ou en Chine qu'en France où le droit à l'image et la convivialité hexagonale sont des freins plus qu'autre chose. « Aujourd'hui tout le monde est potentiellement photographe avec la multiplication des téléphones portables... et pratiquement tout a été photographié mais il existe toujours des régions du globe où je peux travailler librement sans problème de droit à l'image ou d'agressivité des gens. » concède notre artiste, spectateur privilégié des bouleversements que connait sa profession.
« Chaque photographie est une agression! » Cette affirmation surprend tant la pudeur caractérise les photos du livre. Ce ressenti est autant lié à l'ambiance de quiétude qui règne sur place qu'au talent du photographe qui réussit à trouver la bonne distance avec son sujet. Bruno Barbey photographie le commun des Chinois, la vie quotidienne mais aussi des moments uniques riches en émotions. Il essaye d'offrir une vision la plus large et objective possible de la Chine et des Chinois. Cette envie est visible dans les cadrages souvent larges.
© Bruno Barbey - Vendeur de vanneries, Chengdu (Sichuan) 1980
© Bruno Barbey - Procession funèbre, environs de Guilin (Guangxi) 1980
En plus de capter des moments intimes ou des regards crucificateurs, Bruno Barbey s'entête à prendre des photographies aux compositions complexes qui permettent plusieurs niveaux de lecture. « J'aime les choix graphiques forts, les jeux de lumière. Je considère une photo intéressante quand on découvre quelque chose de plus au second plan. » Les contrastes, la symétrie des photos ne sont pas fortuits et découlent d'une recherche. Techniquement c'est un travail remarquable mais ces éléments techniques sont relayés au second plan par le sens et la symbolique des photos.
© Bruno Barbey - Chantier naval de Hudong (Shanghaï) 1980
« Ce qui me fascine le plus en Chine c'est le paradoxe entre une histoire culturelle, une civilisation vieille de 10.000 ans et la modernité qui dégouline. On peut voire parallèlement à la modernité la culture chinoise » nous explique Bruno Barbey. Cet étonnant mélange qui s'opère ailleurs en Turquie, au Maroc... pourrait être le leitmotiv de l'ouvrage. « Petit à petit les immeubles dépersonnalisés remplacent les vieux quartiers emplis de charme, les jardins potagers et les rizières des abords des villes ont disparu » constate l'auteur qui ne semble pas nostalgique pour autant, il est juste le témoin attentif de ces gigantesques transformations décuplées à l'échelle du pays.
Le Shanghaï champêtre des premières pages semble être une mise en scène tant ces images ne correspondent pas avec l'idée que l'on se fait de la Chine. Bruno Barbey photographie cette culture ancestrale avec ses jonques traditionnelles, ses pêcheurs au cormoran mais l'avenir l'attire tout autant.
© Bruno Barbey - Le quartier financier de Lujiazui, Pudong (Shanghaï) 2010
La Chine d'aujourd'hui et de demain
La deuxième partie du livre est consacrée à la Chine contemporaine. Cette Chine métaphorisée en monstre économique, en bête féroce. Cette Chine dont l'hégémonie n'est pas seulement économique mais culturelle, comme le montre l'exposition universelle de Shanghaï de 2010 qui fut l'occasion d'affirmer au monde sa culture. Cette Chine en mouvement où passé et futur se mélangent, se côtoient. Cette Chine pressée qu'il immortalise en photographiant les sorties de métro « qui permettent d'avoir toutes les couches sociales de la population et de prendre les gens sur le vif ». On retrouve une nouvelle fois le regard social et humaniste de Bruno Barbey.
© Bruno Barbey - Ligne de tramway à Causeway Bay (Hong-Kong) 2008 - Poster de la star taïwanaise Lin Chi-ling sur Nanjing Road (Shanghaï) 2010
La jeunesse chinoise intéresse notre photographe. Beaucoup plus libre que les générations précédentes, elle arbore aujourd'hui des t-shirts à l'américaine, « souvent sans comprendre ce qui est écrit dessus » confie en riant Bruno Barbey. Cette occidentalisation est spectaculaire, la publicité a remplacé la propagande, « C'est inouï en quarante ans d'être le spectateur de tels changements » martèle-t-il. La couleur rouge de la révolution culturelle vire au bleu des néons, de la lumière studio que produit le soleil lorsqu'il s'écrase sur les grandes baies vitrées des grattes-ciel. Ce jeu des couleurs est aussi flagrant pour le lecteur que pour le photographe : « Les autoroutes de Shanghaï sont éclairées au néon bleu la nuit, c'est assez surprenant comme spectacle ».
L'argent occupe une place importante dans la société chinoise. Le mariage est un moyen de montrer sa puissance, sa réussite et les jeunes mariés n'hésitent pas à immortaliser ce moment avec les immeubles du quartier d'affaire de Pudong en toile de fond, où jadis s'accumulaient les jardins potagers.
© Bruno Barbey - Jeunes mariés devant Pudong (Shanghaï) 2012
« Il y a plus de liberté sexuelle, moins d'interdits mais le parti communiste qui compte encore 150 millions de membres fonctionne comme une caste qui s'accapare les privilèges. Ces apparatchiks alimentent la corruption et tiennent le pays autoritairement comme le montre les récents événements de Hong-Kong de l'Umbrella Revolution que je viens de photographier » analyse Bruno Barbey. Les changements ne sont pas uniquement économiques mais la démocratie et les libertés individuelles sont loin d'être effectives.
© Bruno Barbey - Un jeune couple devant une affiche vantant une méthode d'avortement sans douleur, Kunming 2013
Chine
Relié : 184 pages
Editeur : Les éditions du pacifique
Langue : Français
ISBN : 978-2-87868-1833
Dimensions du produit : 210 x 280 mm
Prix : 35 euros
Guillaume Reuge