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Boiffard, la science des rêves

Vendredi 12 Décembre 2014 17:46:58 par actuphoto dans Chroniques

© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / image Centre Pompidou, MNAM-CCI © MME Denise Boiffard © Jacques-André Boiffard Masque de carnaval
L'Histoire ne rend pas toujours à César ce qui appartient à César. Jacques-André Boiffard en est un parfait exemple. Membre fondateur de la revue La Révolution surréaliste, photographe attitré d'André Breton pour Nadja, puis complice de Georges Bataille au sein de la revue Documents, il a signé quelques images parmi les plus mémorables du surréalisme. Pourtant, quand on évoque le courant artistique, son nom a disparu au milieu des Masson, Char, Breton, Dali, Magritte... Actuphoto a souhaité se joindre aux efforts du Centre Pompidou, qui lui consacre une rétrospective monographique jusqu'au 2 février, pour redonner à Boiffard la place qu'il mérite dans l'histoire du surréalisme et de la photographie.

© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / image Centre Pompidou, MNAM-CCI © MME Denise Boiffard
©Jacques-André Boiffard Autoportrait

Il est difficile de mettre une étiquette sur le travail de Jacques-André Boiffard, de dire de lui, comme on dit de Cartier-Bresson qu'il était le photographe de « l'instant décisif », tant son œuvre est hétérogène. La diversité est vraiment caractéristique de son travail. Malgré les réticences d'André Breton sur les arts visuels, qu'il considère comme moins malléables et ouverts au hasard, Boiffard contribue à forger l'identité visuelle du surréalisme.


Le surréalisme « classique »

« Toute découverte changeant la nature, la destination, d'un objet ou d'un phénomène constitue un fait surréaliste. » d'après André Breton.

Le surréalisme expose la vérité psychologique en éliminant l'importance des objets ordinaires afin de créer une image au delà de l'ordinaire. Ce courant est souvent caractérisé par son seul usage de l’insolite, ses rapprochements parfois surprenants. Il cherche à transcender la logique et la pensée ordinaire pour révéler des niveaux de signification plus profonds et des associations inconscientes. Cet appel à l'inconscient est très présent dans les clichés de Boiffard et on a le sentiment, au cours de l'exposition, d'être perdu dans nos rêves. Son univers fantasmagorique permet à chacun de voir ce qu'il veut dans les photographies.

Jacques-André Boiffard décide dans les années 1920 de stopper ses études de médecine pour épouser le courant surréaliste. Moins prolifique sur le plan littéraire, il s'épanouit dans la création visuelle et se forme chez l'artiste américain Man Ray, dont il devient l'assistant. Ses premières photos issues de cet apprentissage sont très sobres, classiques et contrastent fortement avec le reste de son œuvre.


© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / image Centre Pompidou, MNAM-CCI © MME Denise Boiffard 
©Jacques-André Boiffard Alberto Giacometti

Il réalise en 1927 une partie de l'iconographie de Nadja, pour Breton, dans une ambiance purement documentaire. En 1929 il fonde avec son ami Eli Lotar un atelier et portraitise quelques amis mais ces photos sont encore loin du génie créatif qui va suivre.

© Jacques-André Boiffard Nadja


Premières (r)évolutions

L'exposition est à l'image de l'univers du photographe, effervescente. Il n'y a pas de chemin balisé, à suivre, et ce nouvel espace du Centre Pompidou, tout en longueur, permet de se déplacer dans tous les sens comme si l'on voyageait dans l'esprit de Boiffard. Ce lieu ouvert, synonyme de liberté, sans cloisons spatio-temporelles correspond à l'image que l'on se fait du personnage. Les visiteurs se croisent et sont contraints de se rencontrer au lieu de se suivre au même rythme comme c'est le cas dans beaucoup d'expositions. Le seul fil conducteur est la recherche créative de l'artiste.
Jacques-André Boiffard expérimente, teste de nombreuses pratiques dont le photomontage qu'il débute avec la participation à un cadavre, le pamphlet de la dissidence surréaliste, car en effet le courant se déchire au début des années 1930. Au milieu des textes de Prévert et Ribemont-Dessaignes contre celui que l’on surnomme le « pape » du surréalisme : « Un cadavre » tue symboliquement Breton, alors âgé de 33 ans, l’âge du Christ à sa mort, en le représentant les yeux fermés et couronné d’épines. Simultanément dans cette période, Boiffard réalise des affiches pour le musée ethnographique ainsi que des couvertures illustrées pour romans policiers où la peur et la mort transpirent.


© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / image Centre Pompidou, MNAM-CCI © MME Denise Boiffard
©Jacques-André Boiffard Photomontage

© Bibliothèque Kandinsky, Musée national d'art moderne, Centre Pompidou.

Il a également acquis chez Man Ray des notions d'opérateur et participe à des films comme Souvenir de Paris (Duhamel, Prévert). Le synopsis est celui d'un flâneur à la poursuite d'une énigmatique parisienne, sujet éminemment surréaliste. Les photographies sont moins documentaires que les clichés de Nadja, c'est beaucoup plus mobile, vivant, anecdotique. La ville semble repeuplée. Ces photos tragiques et presque hallucinatoires contrastent avec ses débuts de carrière bien sage et le côté documentaire de son travail pour André Breton. Boiffard semble avoir trouvé sa voie, celle de l'expérimentation.

© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / image Centre Pompidou, MNAM-CCI © MME Denise Boiffard
©Jacques-André Boiffard Prêtre marchant sur le pont Alexandre III


Le corps symbole d'une inhumanité

Boiffard est connu dans le milieu des photographes pour être un excellent développeur. Il tire notamment les photos de l'artiste américain William Seabrook, qui réalise des portraits avec des masques en cuir. Ces images, proche du sado-masochisme, ont surement influencé sa série intitulée « Masque de carnaval ». Cette séquence travaille sur la fonction tragique et grotesque du masque, de la tragédie d'Eschyle au masque à gaz de la première guerre mondiale. Ce dernier abolit l'humanité de celui qui le porte et donne une dimension morbide par l'occultation du visage.

© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / image Centre Pompidou, MNAM-CCI © MME Denise Boiffard
©Jacques-André Boiffard Masque de carnaval

Ce travail de déréalisation est très présent dans l'oeuvre de Jacques-André. On le retrouve dans sa série dédiée au nu qui juxtapose dans l'exposition les photos masquées.
Son intérêt pour la médecine est connu, il aime ce que représente le corps et décide de prendre en photo sa compagne de l'époque, Renée Jacobi. Son travail sur le nu tend à la déréalisation anatomique que ce soit par le basculement du cadrage ou par l'occultation du visage qui transforme le corps en objet fétiche. Il travaille les perspectives et la lumière pour déformer le corps. Il fait « acte du surréalisme absolu » comme dit de lui André Breton.

© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / image Centre Pompidou, MNAM-CCI © MME Denise Boiffard
©Jacques-André Boiffard Renée Jacobi


La dissidence surréaliste ou la recherche du réel

Boiffard évolue sans cesse et rejoint la dissidence du courant autour de l'écrivain Georges Bataille dont il illustre les tribunes. Sa photo « le gros orteil » entérine la rupture du photographe avec la poétique de l'imaginaire et l'idéalisme promus par André Breton au profit du réel.
Il n'y a pas de sentier battu dans cette exposition et lorsqu'on aperçoit les photos dédiées à la revue Documents, trônant au fond de la salle, on est inexorablement attiré par celles-ci. Notamment la photo crue d'une langue, éditée dans un grand format, qui agresse presque le visiteur. Boiffard part dans tous les sens et c'est ce sentiment d'effervescence qui nous envahi durant l'exposition.


© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / image Centre Pompidou, MNAM-CCI © MME Denise Boiffard
©Jacques-André Boiffard Pied et mains liés

Il s'intéresse aux objets sans séduction première, rassemblés sous le concept de « bas-matérialisme » ou d'« informe ». Le cadrage resserré voir les très gros plans renforcent l'aspect scientifique de ces photos. La célèbre photographie du papier tue mouche est utilisée pour dénoncer la vacuité des procédés poétiques et imaginaires à l'oeuvre chez les avant gardes. C'est une réponse anti-esthétique et matérialiste à l'idéalisme supposé des surréalistes guidés par Breton. Pour autant, l'empreinte surréaliste n'a jamais disparue de son œuvre.


© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / image Centre Pompidou, MNAM-CCI © MME Denise Boiffard
©Jacques-André Boiffard Papier tue mouche

Ses photos les plus ouvertement créatives sont produites à partir d'un photogramme. Le procédé permet de disposer divers objets à même le papier sensible afin qu'il en retienne instantanément l'empreinte lumineuse. Cette pratique est surréaliste par excellence. La rencontre fortuite d'objet sur la surface sensible matérialise parfaitement le concept d'écriture automatique au cœur des réflexions du groupe. Boiffard innove et utilise la défocalisation de l'objectif montrant un intérêt pour une photographie considérée comme un pur jeu aléatoire des formes en opposition à ses portraits et ses photos documentaires du début de sa carrière. Son travail est beaucoup plus expérimental et fait de plus en plus appel à l'inconscient.


© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / image Centre Pompidou, MNAM-CCI © MME Denise Boiffard
©Jacques-André Boiffard Photogramme


En 1940, il reprend ses études de médecine et devient chercheur en laboratoire d'anatomie. Il se spécialise dans la radiologie pour renouer avec sa passion des images. Images abstraites que celles de la science qui a le pouvoir de révéler les beautés invisibles du monde.
Il prend un malin plaisir à illustrer sa thèse d'une trentaine de micro photos qui sont éminemment scientifiques et en même temps tellement abstraites. Cette antithèse est caractéristique de cette tranche de vie de Boiffard qui, en se rapprochant de Georges Bataille, se dirige vers le matérialisme. Paradoxalement c'est durant cette période qu'il expérimente le plus, comme un chercheur faisant des essais. Ces deux notions opposées que sont la science et l'abstrait, syncrétisées par Boiffard, constituent une vraie singularité.



Sa vie de photographe est à l'image du courant surréaliste : intense, restreinte dans le temps, expérimentale, provocatrice. Jacques-André Boiffard est le seul photographe à avoir été dans l 'épicentre du mouvement surréaliste comme en témoigne ses images qui ont accompagné André Breton et Georges Bataille, les deux pôles les plus éloignés sur l'échelle de la sensibilité du surréalisme.
Quand on mesure le grand écart qui existe entre les photos neutres de Nadja, qui remplacent des descriptions sans fin, et les photos provocatrices qui illustrent la revue Documents, on se demande s'il s'agit du même photographe.

Que vous soyez chercheur à l'Institut Pasteur ou consommateur de LSD en pleine remontée d'acides, vous serez séduit par cette exposition tant l'artiste fait preuve de diversité de styles et d'usages.


Guillaume Reuge



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© Actuphoto.com Actualité photographique

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