© Sacha Van Dorssen
Sensibilité 64 ASA, un titre aux significations multiples. Tout d'abord, il fait référence au film kodachrome 64 ASA utilisé par Sacha Van Dorssen. Ensuite, il marque bien évidemment la sensibilité de l'artiste. Cet instinct, qui la pousse à transcender ses simples images de mode pour en faire de véritables photographies iconiques, en fait une véritable artiste... sensorielle. L'approche intellectuelle, très peu pour elle. Bien entendu, Sacha pense ses clichés, les imagine mais lors du shooting, la place est à l'instantané. Ce moment, détaché de toute mise en scène est à l'honneur dans Sensibilité 64 ASA. Sacha aurait aimé avoir une exposition plus importante, mais elle reconnaît qu'il fallait une première sélection. Qui sait, peut-être aurons-nous le chance d'assister à une rétrospective de ces autres photos ? Ce parcours dans l'autre univers de Sacha Van Dorssen en marge de la mode est empreint de délicatesse, de douceur et d'intemporalité. Certaines images ont été prises au début de sa carrière et cohabitent avec d'autres clichés datant seulement d'il y a quelques années. Preuve de la cohérence du travail de l'artiste.
Une femme toute en sensibilité
Sensibilité 64 ASA est la première exposition de Sacha en marge de la mode. Cela ne signifie pas que les œuvres présentées soient les premières photo prises par Sacha en dehors de ses shootings. Bien au contraire ! L'artiste a toujours pris des photos , en vacances et lors de repérages, notamment au Maroc, son « pays d'adoption » avec lequel elle entretient « des liens d'amitié, des liens familiaux ». L'exposition de la commissaire Françoise Bornstein, qui a rencontré Sacha en tant que journaliste à Marie-Claire et devenue son amie depuis, met l'accent sur les moments de vie immortalisés par l'artiste. La photographe explique sa démarche : elle parle de rencontre. Souvent, elle prend les portraits de personnes qu'elle connait. Ce sont ses amis ou des connaissances. Son approche est souvent très simple. Elle souhaite prendre une photo pour eux et la leur donner par la suite. « Je sais que je peux faire leur photo et je sais que personne ne le fera alors autant leur faire plaisir et ce une fois qu'on a confiance l'un dans l'autre. Car je sais que les gens n'aiment pas être photographiés. Mais c'est vrai, qui aime être photographié ? Ça vous plait vous si tout d'un coup on braque un appareil sur vous ? On vous vole quelque chose. Je trouve que les gens ont raison. Nous on arrive parce qu'on peut se payer un avion et on débarque avec notre truc. On dirait qu'on est dans la forêt et qu'on voit des lapins. C'est la chasse. C'est cruel, non ? » nous confie-t-elle.
© Sacha Van Dorssen
Sacha est toujours d'une grande délicatesse dans ses prises de vue. Elle n'aime pas l'intrusion et préfère le contact humain. Elle demande aux gens si elle peut les photographier. Mais parfois, le simple fait de demander gâche quelque chose. L'instant s'est envolé. Alors, souvent, elle aime prendre ces hommes et ces femmes de dos « car de dos, souvent, les choses sont très belles ». Pour le cliché de cet homme près de son étal de fraises, elle raconte : « On s'est arrêtés avec la voiture. J'étais avec des amis. Et puis je vois cet homme avec sa boutique et je me suis dit : « non mais franchement quand on voit les boutiques chez nous, Chanel, Vuitton quelle simplicité, quel respect de l'environnement ! Il a cinq fraises, c'est magnifique ! » Il y avait juste une lumière qui rasait les fraises. C'était biblique avec son petit chapeau rouge et ses fraises. Je me suis dit : « J'adorerais faire une photo mais si je prends mon appareil, il va être agressé. Qu'est ce que je fais ? » Ainsi, Sacha a montré au vendeur de fraises son appareil photo. Elle n'a pas osé allé à sa rencontre de peur que l'instant passe. D'un simple regard, il a compris ce que la photographe attendait de lui. Après avoir réalisé qu'il ne devait pas bouger, l'artiste a pu immortaliser un nouvel instant, plein de douceur. Pour le remercier, Sacha lui a acheté quelques fraises. « Tout ce langage avec les gestes ça fonctionnait, c'était très satisfaisant (rires). » s'amuse-t-elle.
© Sacha Van Dorssen
« Embellir la vie »
Sacha semble se créer ses petits carnets de voyage. Elle souhaite, à travers ces moments immortalisés, « garder les bons souvenirs ». Elle confie : « J'aime bien embellir la vie. Je vis un peu faussement (rires). J'ai du mal avec la dureté de la réalité. Je n'aime pas tellement la montrer contrairement a d'autres photographes qui le font. »
Toutes les photographies exposées sont de vrais moments de vie. Des instants qui passent. S'ils sont si précieux aux yeux de Sacha c'est souvent car l'échange humain y est très important. Elle ne connait pas la langue ce qui crée une conversation gestuelle entre l'artiste et son sujet. « Ces moments de grâce, sincères et lumineux » comme elle les appelle sont impromptus. Au détour d'une ballade, elle semble tomber amoureuse d'un petit quelque chose. Après le « clic », l'image prend toute sa dimension, regorge d'intensité et d'intemporalité et souvent de confiance. Ces femmes assises sur l'herbe fixent Sacha. Elles la connaissent et ne la craignent pas. La photographe parle d'elles comme des « apôtres » : « Ce sont des femmes mais également des apôtres nouvelle version (rires). Les « apôtresses » La photo a quelque chose du dernier repas. »
© Sacha Van Dorssen
Sacha est davantage, voire uniquement, connue pour ses photographies de mode. Cette exposition explore ses clichés de reportage, ses images de repérages pour les shootings, ses instants volés. L'artiste craint que les gens soient déçus. Mais on ne découvre pas vraiment une autre Sacha. Tous ses clichés ont en commun l'intemporalité. Même ses photos de mode rejoignent alors toutes ces autres images. Elles se confondent. « J'essaye de faire passer une 125ème de seconde de rêve, c'est tout. » Et nous rêvons...
© Sacha Van Dorssen
Caroline Vincent