© Ruven Afanador
Ruven Afanador publie en octobre 2014 « Angel Gitano, Hommes de Flamenco », aux éditions de la Martinière. L'ouvrage répond et s'oppose à celui qui le précède : « Mil Besos » (2009), premier livre du photographe consacré à la femme dans le monde du flamenco et des Gitans. « Angel Gitano » est un autre produit étrange, objet étonnant qui propulse le lecteur dans un autre monde complètement surréaliste en noir et blanc, habité exclusivement par des hommes.
Ruven Afanador est un photographe décalé dont le travail revêt mille facettes. Né en 1959 dans la petite ville de Bucaramanga du XVI ème siècle en Colombie, il grandit, au sein d'une culture faite de vieux rituels et de traditions ancestrales, où les cérémonies religieuses en costumes traditionnels ponctuent la vie. À l'adolescence, il quitte la Colombie pour les Etats-Unis afin de mener ses études d'art. Il se découvre une passion pour la photographie puis commence sa carrière en tant que photographe de mode aux Etats-Unis puis en Europe. L'oeuvre de Ruven Afanador est composée de choses très différentes, allant de la photographie mode ou les portraits de célébrités, à des travaux plus personnels sur des réflexions plus intimes. « Angel Gitano » est l'un d'entre eux.
Dans la postface, Afanador raconte ses rapports originaux au flamenco et décrit la manière dont il entreprend ce travail en tombant par hasard sur une performance de Falete à la télévision. Le chanteur androgyne apparaît alors comme une révélation et l'inspirera pour l'ouvrage « Mil Besos ».
« Ma vie avec le flamenco commença lorsque, enfant en Colombie, j'entendis des récits légendaires sur les gitans - los gitanos - qui depuis des siècles parcouraient les plaines inondées de soleil du sud de l'Espagne […] Aucun des deux livres n'auraient vu le jour sans l'irrésistible prestation de cet homme, il y a des années, pendant cette nuit d'insomnie ».
Cette fois ci, le photographe réalise une ode au mâle, une apologie délirante de l'homme en utilisant la figure du danseur de flamenco, le Gitan qu'il montre sous tous ses visages...
Rubèn Olmo © Ruven Afanador
Daniel Strada Torres et Jacob Guerrero Buzon © Ruven Afanador
Afanador explore toutes les formes de la masculinité
Il y a des hommes aux cheveux longs, des hommes en robe, maquillés, les ongles peints et les fesses nues... Pourtant c'est le mâle dans toute sa virilité et dans toute puissance qui s'exprime dans cet ouvrage.
Le nu prend une place importante dans l'oeuvre de Ruven Afanador, et son rapport à la sexualité est ambigu. L'homme montre son sexe et semble vouloir provoquer, comme pour justifier et prouver qu'il est homme ou bien le sexe disparaît dans la danse et le fait ressembler à une femme. La danse éprouve les corps, met en exergue la musculature, contorsionne avec élégance. Les danseurs sont des éphèbes, les corps sculptés, magnifiés par la lumière contrastée.
Afanador présente ici une oeuvre possédant une part de sensualité très forte qui exalte la beauté des individus au cœur de la danse. Luisant de sueur et couvert de poussière sous un soleil tapant, l'homme s'exprime dans toute sa puissance. Bien qu'il y ait de nombreuses robes et des chaussures à talons, ne vous méprenez pas : ce livre ne laisse aucune place aux femmes. Seules les bêtes y sont admises quand un aigle et un cheval viennent jouer et danser avec les hommes.
Antonio Najarro © Ruven Afanador
Afanador ne se limite pas à exploiter la beauté des danseurs de flamenco, il montre toutes les facettes de la masculinité disponibles dans le monde gitan. L'auteur continue sa réflexion sur le genre, déjà commencée dans ses ouvrages précédents. Ainsi les photographies montrent d'autres figures masculines diverses et originales, la communauté des Gitans offrant un panel hors du commun de personnages et de curiosités.
On y retrouve l'adolescent androgyne, la figure du vieux mafieux avec son sourire en or, le sosie gitan d'Elvis, l'obèse efféminé ou les nains déguisés. C'est un feu d'artifice de visages moustachus et de stéréotypes vivants.
Miguel Flores « El Capullo de Jerez » © Ruven Afanador
Une belle bande d'Apollons s’agitent dans ces photographies, dansant le flamenco, le langage corporel de la séduction. Mais pas seulement, puisque Ruven Afanador imagine une collection de personnages sortis de nulle part, des beaux, des laids, des drôles, des inquiétants... Une comédie humaine !
Manuel Dominguez , « Manolo Marin » © Ruven Afanador
Le duende ou l'âme du flamenco
Justement, une théâtralité très forte ressort de ces pages. Les hommes incarnent des personnages, ils sont possédés par leurs rôles, ils sont des hommes de flamenco. C'est le « duende », et comme on dit en Andalousie : « dueño ». Il s'agit de l'âme du flamenco, le charme mystérieux et ineffable qui envahit les artistes et les dépossèdent de leurs corps.
Les acteurs/danseurs interprètent des sentiments intenses, se font submerger par des émotions puissantes qui déforment les visages. Le contraste accentué intensifie cette impression de théâtralité et de profondeur dans l'émotion. Afanador dresse le tableau d'une scène gitane où tout sentiment se vit de manière plus forte et plus intense. La colère est plus violente, le désespoir déchirant, les éclats de rires ouvrent des bouches gigantesques. Et les regards noirs des comédiens, fiers et provocants transpercent le lecteur. L'art du flamenco offre au photographe des positions et des expressions élégantes et imposantes qu'elles soient fixes ou bien spontanées.
Danseurs du Ballet Nacional de Espana, Ballet Flamenco de Andalucia © Ruven Afanador
Danseurs du Concervatorio Profezional de Danza ANtonio Ruiz Soler de Sevilla © Ruven Afanador
Le livre présente une gamme de portraits graves et burlesques où l'émotion devient maitresse des corps et des visages. Les danseurs baignant dans la sueur et la poussière s'agitent et se débattent avec leur âme. Le tout dans une ambiance surréaliste qui devient magique, laissant croire au surnaturel.
Plongée dans un délire surréaliste
Ruven Afanador s'inspire du courant surréaliste et de grands artistes espagnols comme Luis Buñuel, Francisco de Goya, Federico Garcia Lorca, Dali ou Pedro Almodovar. Son travail dans cet ouvrage ne se veut pas représentatif d'une quelconque réalité du monde gitan. Bien au contraire, Afanador a construit une fiction, où des personnages inventés dansent et jouent. Nourri depuis l'enfance par les imaginaires du flamenco sans approfondir ses connaissances du milieu, le photographe a pu continuer de rêver, d'alimenter ses représentations délirantes pour aboutir finalement à la réalisation d'une vision fantasmagorique avec cet ouvrage. Ainsi la mise en scène montre des danseurs en plein désert, comme des vagabond en costume de spectacle qui n'auraient pas d'autres rôles que de danser pour l'artiste.
Manuel Ramirez et Adriàn Péres © Ruven Afanador
« Encore aujourd'hui, je ne m'imagine jamais le flamenco sur une scène traditionnelle. Depuis l'enfance, la vision que j'en ai n'a pas changé : un gitan, seul dans le soleil aveuglant du désert, lançant sa plainte, déroulant une séquence de gestes improvisés mais pourtant rituels, se détachant sur les murs chaulés des confins de la côte ibérique – toujours en errance, toujours la peau sombre et lustrée, les yeux cernés de noir. Sensuel... indompté...éternel. »
Dans ce livre, Ruven Afanador projette son imagination et la met en scène pour la photographie. Il crée un ensemble surréaliste et grotesque, comme un film qui surprend et captive par son humour et son intensité. Le lecteur sera sans aucun doute séduit par ce très beau livre.
Israel Galvàn de Los Reyes © Ruven Afanador
Ruven Afanador
« Angel Gitano, Hommes de Flamenco »
Préfacé par Diane Keaton.
Les éditions de la Martinière.
Beaux Livres - octobre 2014
279 x 356 mm - 240 pages
69 euros.
Gwendolina Duval