Couverture China Now, éditions La Martinière
Dirigé par le photographe Yann Layma, l'ouvrage rassemble le travail de quatorze jeunes photographes chinois et leurs perspectives sur la Chine d'aujourd'hui. Si leurs regards divergent parfois, ils mettent tous en lumière les contrastes de leur pays : la Chine, grande terre du paradoxe. On saute de l'ultra-urbanité de Shanghai avec les clichés de Yin Liqin à la célébration rurale de Li Yuxiang ; les concessions Rolls Royce côtoient les pousse-pousse et les temples bouddhistes les temples de la consommation.
© Yu Haibo
La culture du paradoxe
Pendant que des jeunes chinois passent leur nuit devant le H&M en attendant l'ouverture des portes et de la collection Versace, d'autres dorment à même le sol. S'agit-il d'un camp de fortune ou de concentration ? La question se pose, la légende de la photo y répond : « Jusqu'à 2000 travailleurs migrants campent l'été en bordure du « marché du travail » de Yiwu, dans le Zhejiang, où sont concentrés de nombreux grossistes de biens de consommation. »
Dans leur style aussi, les artistes contrastent. L'aspect photoshoppé des clichés de Chen Haiwen idéalise une société qui, on l'oublie parfois, est encore sous la coupe d'un régime totalitaire. À ce titre, la photo qui clôt l'ouvrage est remarquable. La neige artificielle qui tombe sur un couple fait figure de métaphore du pays. Le beau vernis de la croissance économique n'est qu'une apparence qui craquèle pour laisser apparaître les failles du système : pollution, traite humaine, exode rurale, travaux pénibles.
© Wu Pingguan
Les limites de la mondialisation
Dans le travail de Zhan Youbing, l'usine et la vie quotidienne de la classe moyenne est abordée sans détours. Un couple sur un banc dans un parc : elle a la tête posée sur ses genoux ; lui, écrit un texto. Des ingénieurs qui dorment pendant une courte pause. Une banlieue suburbaine remplie de barres d'immeubles. Une famille au marché. Il s'agit là de la réalité d'une grande majorité de Chinois.
© Zhan Youbing
La pollution est quant à elle au cœur des préoccupations de Lu Guang. Des sacs poubelles jonchent le sol d'une aire portuaire ; des déchets s'accumulent aux pieds d'un pont ; les visages sont soit salis de particules polluantes soit recouverts de tissus protecteurs ; des cheminées d'usines fument au point de cacher l'horizon. Dans cette vision apocalyptique, des enfants regardent en l'air avec inquiétude : c'est que le ciel est en train de leur tomber sur la tête.
© Lu Gang
Une grande nation
Mais les photos de Wu Jianbin sont là pour compenser cette noirceur. Pleines de couleurs vives, elles célèbrent la grandeur d'une nation dont la culture millénaire a fait la renommée. L'épopée chinoise du photographe est symbolisée par la voile rouge et gonflée d'un bateau qui a le vent en poupe. L'énergie et la luminosité qui ressortent du travail de Chen Bixin vont dans le même sens ; les clichés se font alors cartes postales et la Chine, sous l'objectif du photographe, devient une destination touristique de rêve.
© Wu Jianbin
© Chen Bixin
Si la vie quotidienne est également évoquée dans les photos de Qi Shihui, la façon dont les corps des travailleurs sont mis en lumière, reflétant la transpiration due au labeur, magnifie une réalité prosaïque. Cette esthétisation du réel souligne la pluralité des regards des photographes sur la Chine : le photo-reportage, s'il est souvent privilégié, n'est pas la seule voie d'exploration d'une société sans cesse en mutation.
Partout, la communauté
Au-delà des divergences de style ou de point de vue, un fil rouge traverse les œuvres des quinze artistes : l'omniprésence de la foule. La couverture de l'ouvrage est à ce titre révélatrice, puisqu'une centaine de Chinois en bonnet et lunettes de bain nagent dans l'eau d'un centre aquatique géant. Nager est un grand mot. Ils sont dans l'eau et ne semblent pas avoir l'espace nécessaire pour se déplacer. Pourtant, il y a un sourire sur chaque visage. Ils s'amusent, cela ne fait pas de doute.
© Yann Layma
La cérémonie rituelle de l'ethnie Bai, dans le Yunnan, donne l'impression qu'on a disposé une infinité de figurines en plomb dans un décor enfantin et coloré ; il s'agit en réalité d'une réunion de fidèles en tenue folklorique. Moins coloré est le parterre des 4000 employés en uniforme, en train de faire de la gymnastique avant de commencer le travail. Même structure répétitive dans un open-space remplis d'ordinateurs, de plantes et de travailleurs en blouses.
Une société hybride et flexible
La particularité de la foule dans China Now est qu'elle est souvent présentée uniforme : on y voit les mêmes habits, les mêmes postures, les mêmes expressions. Que penser de cette apparente homogénéité, quand on sait que la lutte des classes fait rage dans le pays ? Le collectif, en dépit d'intérêts sociaux opposés, serait l'une des dernières résistances d'une culture asiatique pauvre et rurale, face à la mondialisation et l'occidentalisation.
© Chen Haiwen/agence Sanya
Peut-être qu'au contraire l'homogénéisation de la population est l'un des symptômes de la globalisation, une façon de faire comme tout le monde. Ce qui subsiste de la question, c'est l'évidence d'une tension entre tradition et modernité au sein de cette culture émergente. Ni totalement moderne, ni totalement traditionnelle, la société chinoise se définit le plus sûrement à travers son hybridité et sa flexibilité, particulièrement sollicitée ces dernières années.
© Xu Jingyan
ISBN : 9782732448824
Titre : China Now
Auteur : sous la direction de Yann Layma
Éditions : La Martinière
Année de publication : 2014
89 pages
Prix : 49,00€ TTC
Marie Beckrich