Photo Trouvées 10, © collections particulières
Chroniques du 26/11/2014 au 25/1/2015 Terminé
Maison de la Photographie Robert Doisneau 1 rue de la Division du Général Leclerc 94250 Gentilly France
Photo Trouvées ou ce qui se fait de mieux en photographie anonyme. Leurs auteurs étaient même les premiers instagramers. Dans le cadre du Mois de La Photo 2014 et de son thème « Anonymes et amateurs célèbres », la Maison de la Photographie Robert Doisneau présente du 24 Octobre 2014 au 25 Janvier 2015 Photo Trouvées, la collection de deux historiens de la photographie, Michel Frizot et Cédric de Veigy, qui possèdent aujourd'hui à eux deux près de 2000 images. Glanés dans divers brocantes, ces négatifs et clichés sont aujourd'hui exposés dans plusieurs galeries et sont sources de questionnement. « Ces pépites sorties de la boue » comme le dit Michel Frizot, ne sont pas de simples photos mais bien les bouts d'âme de nombreux inconnus. Parfois cornées, abimées, ces images nous plongent dans un autre univers ; un monde sensible où même une photo ratée ne l'est jamais réellement. Maison de la Photographie Robert Doisneau 1 rue de la Division du Général Leclerc 94250 Gentilly France
Une danse photographique. Voilà comment l'exposition est conçue. L'accrochage forme une vague dans laquelle les images se succèdent au gré du courant. Le visiteur assiste alors à un ballet. Cela confère davantage de poésie et de douceur à des clichés déjà très délicats.
Avec la démocratisation de la photographie, la frontière entre professionnels et amateurs est de plus en plus fine. Être professionnel est-il un gage de qualité ? Qu'est-ce qu'une photo réussie ? Comment définir l'amateur ? Voici les questions auxquelles l'exposition Photos Trouvées à la Maison de la Photographie Robert Doisneau répond.
Photo Trouvées 6, © collections particulières
Rater n'existe pas
Oui, qu'entend-t-on par photo ratée ? Sur quels critères va-t-on s'appuyer pour affirmer le Beau ? N'est-ce pas, d'ailleurs, purement subjectif ? Les clichés de Photo Trouvées émeuvent et racontent une histoire. Ils sont même le témoin d'une histoire. Celle de différentes familles, celle de la Libération ou encore celle d'un voyage lointain. Alors pourquoi quelques défauts techniques (sur-exposition ou sous-exposition, sur-impression, mauvais cadrage, lignes en biais, couleurs jaunies, sales, un peu pastels) suffisent-ils à déconsidérer une œuvre aujourd'hui ? Ces maladresses nous touchent et peuvent même rendre la photographie très intéressante et originale ! Ces instants volés feront pâlir certains photographes professionnels. « Si seulement j'avais pris cette photo » se diront-ils.
Par ailleurs, beaucoup de photographes amateurs et parfois même professionnels recherchent ces « ratés ». Le ton pastel par exemple. Ainsi naquit Instagram ! Leur utilisateurs savent-ils que la technique utilisée ici n'est pas nouvelle ? Quant aux sur-impressions, là encore, cet effet attire de plus en plus de photographes. Enfin des photojournalistes utilisent même des techniques d'amateurs (appareil photo iphone) pour réaliser leur reportage. C'est ce qu'on appelle « l'iphotojournalisme ». En Avril 2011, Le Monde présentait les photos du Yémen de Karim Ben Khelifa prises avec un IPhone(*).
Il y a donc une volonté de laisser de côté la technique afin de se focaliser sur l'écriture photographique (histoire et esthétisme). Il semblerait aussi que tout a déjà été fait en photographie. Seuls les regards changent. Un enfant se fait gronder et s'enfuit. Il apparaît flou. Une vague cache les enfants du champ. Des images se superposent créant un aspect fantomatique. Ce sont des moments de vie. L'écriture photographique compte plus que tout. Elle est indispensable. Bien entendu, il faut maîtriser un tant soit peu la technique mais une très belle photo, si elle ne raconte rien, n'arrive pas à la cheville d'une photo « ratée » mais émouvante.
Photo Trouvées 8, © collections particulières
Photo Trouvées 3, © collections particulières
L'argent, synonyme de talent ?
Photo Trouvées questionne cette notion d'amateurisme. Au fond, ce débat a-t-il lieu d'être ? L'art n'est-il pas subjectif ?
L'argent sépare l'amateur du professionnel. Ce dernier vit de sa passion contrairement à l'amateur. Mais est-ce aussi simple ? Qu'en est-il de ceux qui ne gagnent pas suffisamment leur vie en tant que preneur de vue ? Ils ne sont pas perçus comme des professionnels mais sont-ils dénués de talent pour autant ? Dans quelle catégorie sont-ils placés ? Il existe aussi beaucoup de photographes naviguant entre les eaux. Parfois architectes, journalistes ou exerçant divers métiers, ils travaillent sur leur temps libre en tant que photographes et font payer leurs prestations. Ceux-là sont (considérés comme) des professionnels. Il y a également ces anonymes présentés à la Maison de la Photographie Robert Doisneau. Des personnes avec un œil photographique mais qui n'ont peut-être jamais cherché à gagner de l'argent grâce à leur caméra. L'argent reçu pour un vente, une exposition ou une prestation n'est donc pas synonyme de talent.
Peu importe le cadrage ou la lumière, peu importe l'argent. La sensibilité de l'auteur, la beauté d'un moment comptent davantage. Cet œil est synonyme de virtuosité. Une des photos de l'exposition ressemble même à l'une des images mythiques d'Elliott Erwitt d'un couple qu'il a photographié à travers un rétroviseur et s'embrassant, intitulé « USA. California. 1955. »
Photo Trouvées 4, © collections particulières
© Elliott Erwitt, USA. 1955. California.
Une délicate imprévisibilité
A l'époque où ces images ont été prises (1920 - 1960), l'apparition de l'instantané changea la façon de voir le monde. Le Pocket Kodak (l'une des premières caméras affichant le prix abordable de 19 dollars) révolutionne cette forme d'art. Il en est de même de la Box Brownie, appareil conçu par Kodak spécialement pour les enfants. La réclame insistait sur sa praticité. On aperçoit alors, perdu dans les accrochages, le premier « selfie » de l'époque, celui d'un jeune bambin au visage arrondi. Les premiers congés payés et l'essor du tourisme favorisent grandement l'utilisation de l'appareil photo. Les photographes du dimanche, comme on aime les appeler, sont nés. Ils immortalisent leur vie mais couvrent également de grands événements politiques. Quelles étaient leurs ambitions ? Etait-ils des aspirants photojournalistes ? Voulaient-ils publier leurs travaux dans les journaux ? Personne n'a de réponse exacte à ces questions. L'énergie de Photo Trouvées en devient plus belle et plus forte.
Souvent ces amateurs sont perçus comme des « presseurs de boutons », incapables de faire des choix. Pourtant, Photo Trouvées démontre exactement le contraire. On sent parfois la volonté de l'auteur de montrer quelque chose. Un reflet, un instant, un cadrage parfait. Comme cet enfant pris à travers la roue d'un vélo. Ou ce vieil homme assis sur sa barque. Cette photo de la photo (elle-même encadrée et posée sur une table de chevet). La jambe d'une jeune femme. Quand les lignes sont de biais, là aussi, on comprend que la photo n'est pas ratée. Non, l'auteur a voulu transmettre un message. Lequel ? On le devine. Mais nous ne connaissons pas les intentions des auteurs. Ces choix de cadrage et de lumière étaient-ils conscients ou le fruit du hasard ? Peu importe la réponse. L'évidence réside dans ce fait : ces images sont réussies.
Celles-ci échappent aux canons de la photographie amateur, mais libérées de la technique, elles laissent place à une plus grande interprétation. On se concentre alors davantage sur ce qu'a souhaité exprimer l'auteur. Ces tâtonnements émeuvent. Cette esthétique de la défaillance est même recherchée aujourd'hui car elle est source d'inspiration.
Photo Trouvées 15, © collections particulières
Photo Trouvées 1, © collections particulières
Si les clichés au deuxième étage de l'exposition restent dans leur format originel, c'est pour mieux transcender la vivacité d'un instant. Ces images tenaient dans de simples portefeuilles ; des souvenirs gravés à tout jamais sur papier. Les admirer dans leur contexte d'origine nous transporte dans le monde des auteurs, dans leur famille, dans leurs désirs. Agrandies, certes, elles prennent davantage d'ampleur et sont plus accessibles mais le ressenti reste le même. Que nous soyons dans un rapport d'esthétisme avec ces grands tirages ou dans un rapport de proximité avec ces photos vintage, nous voici plongés dans un autre univers. N'est-ce pas le but premier de la photographie ?
Pour ceux avides de connaissances, désireux d'en apprendre davantage sur les intentions de ces anonymes, la Maison Européenne de la Photographie organise une rencontre avec Michel Frizot, le commissaire de l'exposition le 17 Décembre 2014 entre 18h et 20h.
A voir également sur ce thème de photographie d'anonymes et amateurs célèbres :
- Shooting Point, à Un livre – Une image
- A identifier, à Photo Vivienne
- Eugène Biver, Louise Nurse : Sans Nom, Sans abri à la Société Française de Photographie
- Cloud Atlas, Cartographie des Nuages à la Galerie Robespierre
- Toute Photographie fait énigme, à la Mep
Caroline Vincent
(*) http://www.lemonde.fr/week-end/infographe/2011/04/15/au-yemen-photographe-de-presse-avec-un-iphone_1508142_1477893.html