© Garry Winogrand
Garry Winogrand n'aura eu de cesse de parcourir les rues avec sa caméra. Il n'arrêta jamais jusqu'à ce qu'un cancer foudroyant le terrasse, deux mois après son diagnostic, à l'âge de 56 ans. Il entamait sa troisième procédure de divorce quand il apprit la nouvelle. La mort le rattrapa avant qu'il puisse mettre un terme à cette union comme l'évoque avec humour et empathie son ami, photographe professionnel et commissaire de l'exposition, Léo Rubinfien. Aujourd'hui, la rétrospective parcourt le monde. Après l'exposition au San Francisco Museum of Modern Art ainsi qu'au MOMA à New-york, les oeuvres de Winogrand traversent l'Atlantique pour s'installer en France au Jeu de Paume, sur les quais du métro de Paris ainsi qu'à Madrid à la Fundacion MAPFRE.
Actuphoto a eu la chance de se rendre à cette exposition accompagné par Léo Rubinfien.
© Garry Winogrand
Garry Winogrand, ce virtuose, laissa derrière lui des milliers de films (environ 250 000 images). Certains clichés exposés au Jeu de Paume n'ont même jamais été vus par son auteur. Comment, dès lors, rendre justice à ce que l'homme aurait souhaité ? A priori, la mission est impossible. Léo Rubinfien confie : « certaines photographies sortent du lot, purement et simplement », mais peut-il être objectif sachant qu'il considérait Winogrand comme son mentor ? Léo Rubinfien a en effet passé dix ans de sa vie (à l'âge de 20 ans) à l'assister dans ses travaux. Il dit de lui : « Garry Winogrand était un homme profondément honnête et (pause) authentique. C'est tout ce qu'il avait à offrir, son authenticité. Rien de plus. »
Le travail de sélection semble si insurmontable que même Thomas Roma, accompagnant le commissaire lors de sa visite guidée de l'exposition, et ayant assisté John Szarkowski (le commissaire de la première rétrospective de l'artiste en 1988 au MOMA), préféra « ne rien avoir affaire » avec ces choix. Par ailleurs, Winogrand détestait la post-production et laissait à ses amis et commissaires le choix de sélectionner ses travaux. Cela nous permet de comprendre qu'il ne s'agissait pas seulement de rendre justice à l'artiste. Par ailleurs, certaines images présentées avaient été marquées par la main de l'auteur (annotation sur la planche de contact)
Justement, en regardant de plus près ses planches photos, on réalise, que certaines images manquent de la petite étincelle là où d'autres s'imposent. Il est question de cadrage, de lumière, d'instant volé. Tout ces critères ne peuvent pas toujours être réunis. Comme le disait Garry Winogrand :
« Photography is not about the thing photographed. It is about how that thing looks photographed. » (La photographie n'est pas la chose photographiée. C'est ce à quoi ressemble cette chose une fois photographiée.)
© Garry Winogrand
© Garry Winogrand
© Garry Winogrand
« Garry Winogrand était un homme très, très drôle »
Ses clichés sont intenses, émouvants, parlants mais aussi intrusifs. Ils méritent plusieurs coups d'oeil. Tout d'abord il y a plusieurs niveaux de lecture. En effet, bien souvent, au second plan apparaît un homme, une femme, un adolescent(e) ou même un enfant toisant l'auteur de la photographie. « Que fait-il ? » semblent-ils tous se demander. Ce non-respect de l'intimité les gêne car ils savent faire partie des objets photographiés. D'une certaine façon Garry Winogrand semble les provoquer. Un jour, l'aventure photographique a d'ailleurs mal tourné et l'homme a du courir sur près de 8 pâtés de maison pour échapper à un mécontent.
Mais Léo Rubinfien explique qu'il savait aussi se faire apprécier en engageant la conversation une fois la photo prise, en souriant, en faisant rire ces Hommes afin de rendre ces minis « sessions photos » plus « agréables et moins provocatrice que ce qu'elles pouvaient paraître » explique Mr. Rubinfien car, au fond, « Garry Winogrand était un homme très, très drôle ». A d'autres moments, pourtant, en réalisant qu'il n'avait pas le consentement de ses sujets, il faisait semblant d'inspecter sa caméra comme si le cliché n'avait pas été pris...
La majorité des images exposées sont prises dans la rue. Pourtant, Garry Winnogrand détestait ce terme de « street photographer ». « Il n'était pas un photographe de la rue, il était un photographe de ce qu'il voyait dans la rue. Là il voyait tous ces visages, tous aussi importants les uns que les autres. L'important n'était pas la rue mais le sens des choses trouvées dans la rue. » explique le commissaire.
© Garry Winogrand
© Garry Winogrand
Étudiée, disséquée, l'oeuvre de Winogrand est passé à la loupe des critiques, commissaires et même amis de celui-ci. Pourtant, à part déclencher, rien ne l'intéressait dans la photographie. Cela explique que pour un artiste aussi prolifique, il ait publié si peu de livres de son vivant (seulement cinq). On comprend également pourquoi il n'y a pas eu de rétrospective plus tôt. Léo Rubinfien explique : « Une fois qu'une personne décède, il faut un certain temps pour prendre du recul et comprendre l'oeuvre de l'artiste en question. John Szarkowski, l'homme qui a fait la première rétrospective posthume de Winogrand en 1988 était si respecté et si proche de Winogrand qu'il fallut attendre sa mort (il y a cinq ans) pour que les gens osent remettre tout en question. ». Par ailleurs, son travail est immense. La difficulté pour les commissaires est grande. Développer les films. Rester fidèle à son travail. L'analyser, le comprendre. Le restituer dans un contexte historique.
L'auteur ressemble d'ailleurs aux grands historiens bien qu'il se serve de sa caméra et non d'un stylo pour raconter les grands événements de son pays après la guerre. Malgré tout, il ne se considérait pas comme tel. Plus précisément il se voyait comme un « poète de l'histoire ». Léo Rubinfien pense que son ami était à « la recherche d'un sens au lieu d'être dans une recherche de pure faits ». C'est pourquoi il a abandonné le photojournalisme ; il voulait s'affranchir des carcans des reportages de l'époque afin de mener sa propre quête de sens. Il tentait de capturer la réalité, celle qui l'intéressait. « C'est l'Amérique que j'étudie » disait-il à Léo Rubinfien. Et il l'a fait. Il aura capturé l'essence des Etats-Unis mieux que quiconque comme le dit si bien son ami.
© Garry Winogrand
© Garry Winogrand
Léo Rubinfien pense avoir réuni les meilleurs clichés de Winogrand. Véridique. Tous ont leur intérêt. Il y a toujours quelque chose d'accrocheur dans ses images : un sourire, une attitude, etc.
Alors, n'hésitez pas une seule seconde avant de vous rendre à cette exposition. Je suis certaine que ses clichés dans le métro vous ont déjà mis l'eau à la bouche. A ce propos, le commissaire raconte : « Bien que je connaisse ses photos par cœur, je n'ai pas réalisé que ces clichés étaient de Winogrand. J'ai oublié qu'ils étaient de lui. J'ai juste vu New-York. New-York invité à Paris. » Si cela ne vous donne pas envie...
© Garry Winogrand
Caroline Vincent