© Nobuyoshi Araki
L'artiste publie en 2014, avec la maison Taschen, une nouvelle édition classique du livre Araki (version originale, signée et tirée à seulement 2 500 exemplaires, vendue à 1750 euros). Une autre sélection monumentale de l'oeuvre du photographe japonais, désormais plus accessible.
« C'est comme si j'étais un sale gosse faisant des bêtises interdites »
Nobuyoshi Araki, est né à Minowa, quartier populaire de Tokyo en 1940. Il étudie la photographie et le cinéma à l'université de Chiba. Il intègre l'agence de publicité Dentsu de 1963 à 1972 où il rencontre Yokko qui devient sa femme en 1971. Il commence à exposer ses œuvres dès 1965. Il crée deux écoles de photographie, sa propre maison d'édition et un magazine durant les années soixante-dix. Depuis 1990, sa production et ses expositions à travers le monde s'intensifient en même temps que ses troubles avec les autorités japonaises. Les travaux d'Araki ont fait l'objet de nombreuses interdictions, il a plusieurs fois été arrêté et condamné.
Pourtant Araki déclare ne pas être un artiste engagé, ni politiquement, ni esthétiquement. Ses photographies ne portent pas de message ou la preuve d'un engagement volontaire. Les clichés ne dissimulent pas un langage qui voudrait dire autre chose que l'image elle-même : « Je n'ai rien à dire, aucun message particulier dans mes photographies. […] J'attends que les sujets se donnent, s'offrent ». Comme si ses photos ne s'adressaient à personne d'autre qu'à lui-même et qu'aux figures qu'il photographie. « Je n'ai aucune idéologie particulière, ni d'idée sur l'art, sur la pensée ou la philosophie. C'est comme si j'étais un sale gosse faisant des bêtises interdites ». Les images montrent des fragments de vie : une rencontre, une histoire, un bref moment capturé.
© Nobuyoshi Araki
« J'ai confiance en mes photos. Elles ne changent jamais »
Ce livre est l'occasion pour Nobuyoshi Araki d'un retour sur sa vie et sa carrière. Entièrement fait de rouge, sa couleur préférée, l'ouvrage est différent de toutes les autres publications d'Araki (plus de 250), en ce qu'il présente une vision totale du travail de l'artiste.
« J'ai eu 60 ans à la fin du XXième siècle. Au Japon, le 60ème anniversaire, appelé Kanreki, est une fête particulière, celle d'un cycle de vie qui s'achève pour un autre. C'est un passage et un nouveau départ. À cette occasion, j'ai rassemblé tous mes travaux. »
Toujours inspiré par la forme du journal intime, Araki livre ici les détails de son parcours professionnel et personnel. Pas un jour ne passe sans qu'il prenne des photos. Le son du déclencheur doit ponctuer son évolution dans le temps et l'espace au rythme des secondes. « Des transferts de lieux et de temps. C'est cela un journal : des transferts de jours ». Certaines images sont datées, la plupart ne le sont pas. De toute façon, l'ordre des cliché ne compte pas, les dates non plus. Le photographe a laissé le soin de la présentation à la maison Taschen pour cette publication.
« Généralement, on croit donner à la photographie des idées ou des pensées par l'édition ou le montage. Mes photos ont en elles-mêmes beaucoup de force ou d’énergie. Je peux me permettre de les mettre dans les mains d'un éditeur, car je suis sûr de la qualité et de la force de mes photographies. Normalement cela devient le regard de celui qui les édite. Mais j'ai confiance en mes photos. Elles ne changent jamais ».
Sans chronologie, les photographies d'Araki parlent de lui, racontent son histoire. Chacune tend à se libérer du moment d'où elle provient pour se transformer en récit intemporel : « Un instant est une éternité et l'éternité un instant ». À partir de son histoire subjective, avec le moyen de la photographie, il capture une partie de temps et aspire à l'éternité : « Quand je déclenche l'obturateur, ce moment est éternel ».
© Nobuyoshi Araki
Cette femme, dans les premières pages du livre inaugure la préface (une interview d'Araki par le conservateur et critique d'art Jérôme Sans). Les cheveux défaits, la sueur au front, son regard semble vouloir nous mettre en garde, nous avertir que nous pénétrons dans l'espace le plus intime du photographe. La femme prévient que la lecture sera changeante. Parfois douces, parfois plus piquantes, les images se rassemblent autour d'une puissance tranquille.
Araki se met à nu
Plus intime que jamais, ce livre est une intrusion dans l'intimité la plus profonde du photographe. Il ne s'agit pas seulement de son sexe ou de ses ébats débridés, mais aussi de sa famille : sa femme Yoko, leur chatte Chiro, sa ville Tokyo, ses figurines... « Je peux tout montrer de moi ».
© Nobuyoshi Araki
Il y a les femmes et le sexe, toujours... Araki n'a plus rien à cacher. Il nous montre toutes ces femmes qu'il a rencontrées et qui ont traversé sa vie : celles qui ont juste posées comme celles qui sont devenues ses maîtresses.
« Je livre pour la première fois ces faits qui me concernent. Je me révèle de plus en plus. À 60 ans, il y a prescription ».
Les femmes sont plus qu'une obsession pour le photographe, elles sont une obligation : « Un photographe qui ne photographie pas les femmes n'est pas un photographe, ou seulement un photographe de troisième classe ».
Nobuyoshi Araki aime tout ses sujets, qu'ils soient vivants ou non. Les fleurs lui rappellent la gente féminine et son sexe. Rapprochée et colorées, les prises de vue de fleurs laissent vagabonder l'imagination en toute sensualité.
Les photographies d'Araki parlent d'amour. Le photographe nous laisse pénétrer dans son foyer, pour y retrouver sa famille. Il y a sa femme Yokko, le sujet de clichés pleins de tendresse et de douleur puisqu'elle meurt le 27 janvier 1990 à l'âge de 42 ans. Araki ne s'encombre d'aucune pudeur, ni celle de l'amour, ni celle de la souffrance. Puis il y a la chatte Chiro, qu'Araki adore.
Nobuyoshi Araki demeure attaché à sa ville : Tokyo où il est né, où il a grandit, et où il habite toujours. « Quand je parle de Tokyo, je ne m'intéresse pas à la ville dans sa globalité, mais simplement aux endroits qui me sont familiers et que je fréquente quotidiennement ». Souvent en noir et blanc les clichés de la ville montrent les curiosités de l'artiste, expriment sa nostalgie. Le lieu de naissance est un repère, une attache indéfectible, preuve de la volonté du photographe de toujours revenir sur ses origines. D'ailleurs, l'ouvrage se termine par des images de la série « Satchin », la toute première qu'il ait réalisée et exposée.
© Nobuyoshi Araki
« Voici donc mon épitaphe, à l'âge de 60 ans, pour la fin du monde »
Araky by Araki est sans conteste le livre d'un homme mûr, empreint de toute la poésie que peut avoir le regard d'un homme quand il fait le bilan de sa vie. Il s'agit d'un regard original et reposé.
À presque soixante-quinze ans, Nobuyoshi Araki dit : « Araki by Araki est une épitaphe pour mes 60 ans. Je prends des photos depuis que je suis né. Après être sorti du ventre de ma mère, je me suis retourné et ai photographié le sexe de ma mère ! »
Ce livre sonne comme une déclaration d'amour à la photographie faite par un homme, désormais septuagénaire, toutefois doté d'une sensibilité d'enfant. Araki n'est jamais seul, il est toujours accompagné de ses figurines. Ce sont des éléphants, des dinosaures, des lézards en plastique qui viennent jouer sur les images et qui ont établi leur résidence principale sur le balcon de l'artiste à Tokyo. Ils sont ses amis, ses compagnons.
Avec cet ouvrage monumental, Araki tourne une page et en ouvre une autre. En homme mature, il contemple sa vie avec sagesse et s'élance vers l'avenir avec une nouvelle folie : « voici donc mon épitaphe, à l'age de 60 ans, pour la fin du monde ».
http://taschen.com/pages/fr/catalogue/photography/all/05787/facts.araki_by_araki.htm"
http://taschen.com/pages/fr/catalogue/photography/all/05787/facts.araki_by_araki.htm"
Couverture rigide, 23,4 x 34 cm
568 pages
€ 49,99
Gwendolina Duval