petit garçon debout sur un amas de gravats, Berlin, 1947. © Mara Vishniac Kohn, courtesy International Center of Photography
Né en Russie en 1897 dans une famille juive aisée, Roman Vishniac se passionne rapidement pour la photographie. Resté seul étudier la zoologie et la biologie à Moscou, il rejoint cependant sa famille à Berlin en 1920. C'est dans les rues de la jeune capitale de la république de Veymar que l'artiste débute réellement ses activités photographiques.
Ses premiers clichés nous montrent une Berlin moderne, avec ses voitures et ses cinémas, mais aussi pleine d’allégresse, où l'on peut y observer des scènes de vie en famille, dans la rue, au zoo ou lors de processions. Il s'en dégage une impression de grandeur et de bonheur.
Hall de gare, Anhalter Bahnhof, près de Potsdamer Platz, Berlin, 1929. © Mara Vishniac Kohn, courtesy International Center of Photography
L'année 1933, qui voit l'arrivée au pouvoir d'Hitler et le développement du nazisme dans la société, marque une véritable rupture dans les photos de Vishniac. Lui même juif, et qui connaîtra brièvement l'internement en France quelques années plus tard, se sent des plus concernés. Ses clichés continuent de représenter la ville, mais ceux-ci, à l'image de Berlin elle même, sont beaucoup plus noirs. Les symboles et les doctrines nazis font leurs apparitions dans les rues et forment tour à tour le cœur du sujet de Vishniac ou bien alors un détail perfide dans les rues et la vie des Berlinois. Dans tous les cas, le photographe, qui brade l'interdit fait aux juifs de prendre des photos dans la rue, nous montre l'insinuation du nazisme dans la société allemande et avec elle la peur, notamment celle de sa fille Mara.
J'ai grandi à Berlin avec un sentiment permanent de danger et de crainte.
[...]Je savais que j'étais personnellement en danger et que, s'il m'arrivait
quelque chose, mes parents ne pourraient pas me protéger ni me venir
en aide. (Mara Vishniac Kohn)
La deuxième moitié des années 30 est une période importante dans la carrière de Vishniac. Embauché par la direction européenne du Joint - l'American Jewish Joint Distribution Commitee est à l'époque l'une des plus grandes organisations d'aide aux juifs dans le monde - pour documenter la dégradation de la condition de vie des juifs d'Europe enfermés dans des ghettos, ses clichés montent encore d'un cran dans la noirceur. Paradoxalement, certaines de ces photos ont été les plus populaires, surtout après la guerre car perçues comme le témoignage visuel d'un peuple qui n'existe quasiment plus en 1945.
Sara, assise sur le lit dans un logement en sous-sol, des fleurs peintes sur le mur au-dessus d’elle, Varsovie, vers 1935-1927. © Mara Vishniac Kohn, courtesy International Center of Photography
Garçon avec du bois de chauffage dans un logement en sous-sol, rue Krochmalna, Varsovie, vers 1935-1938. © Mara Vishniac Kohn, courtesy International Center of Photography
Cette impression de passé disparu est accentué par son travail sur l'expansion forte du sionisme à la fin de la décennie et juste avant le commencement de la guerre, qui lui, est tourné vers l'avenir. Là encore envoyé par le Joint, Vishniac photographie le camp de Werkdorp. Situé en Hollande, c'est un camp d’entraînement pour les juifs désirant partir pour la Palestine. En attente de visa pour cette terre d’accueil qui promet tant de choses telles que la paix ou la prospérité, les juifs d'Europe entière y apprennent alors tout ce qui semble nécessaire à la vie la-bas : Méthodes d'agriculture, de construction etc. Les photographies ont ici un aspect beaucoup plus positif. L'impression d'hommes et de femmes pionniers, prêts à coloniser un espace difficile avec envie et courage est celle qui transparaît le plus.
Willy Lefkowitz et Martin Grünpeter construisant une fonderie, Werkdorp Nieuwesluis, Wieringermeer, Pays-Bas, 1939. © Mara Vishniac Kohn, courtesy International Center of Photography
Au début de la guerre, Vishniac et sa famille sont réfugiés en France comme tant d'autres juifs d'Europe. Après un internement de trois mois en France à la fin de l'année 1939, l'expatrié russe retrouve finalement sa famille à Lisbonne où ils embarquent pour les États-Unis en 1941. Il y monte un atelier de photographie et devient célèbre pour sa maîtrise du portrait. C'est aussi l'occasion pour lui de reprendre la photographie de rue. Vishniac immortalise alors le New York des années 30 avec ses chanteurs de Jazz, ses cabarets, ses danseurs. Ce monde semble être en parfaite rupture avec ce qu'il avait montré en Europe. C'est aussi l'occasion d'immortaliser les réfugiés arrivant sur le nouveau continent et qui comme lui, tentent de s'intégrer dans cette nouvelle société.
Marion, Renate et Karen Gumprecht, trois sœurs prises en charge par le National Refugee Service et la Hebrew Immigrant Aid, peu après leur arrivée aux Etats-Unis, Central Park, New york, 1941. © Mara Vishniac Kohn, courtesy International Center of Photography
Il retourne en Europe après la guerre et retrouve alors un continent en ruine, dont Berlin, devenue méconnaissable. C'est aussi pour lui le moment de reprendre en photo les populations juives d'Europe réfugiées en ville et dans les camps de déplacés.
Enfin, Roman Vishniac c'est aussi une grande carrière scientifique, à l'origine d'avancées décisives en matière de photomicrographie.
Témoin d'une époque changeante, où les actes du nazisme et de l'antisémitisme rythment sa vie et son œuvre, Roman Vishniac nous livre avec ses magnifiques clichés en noir et blanc, des images saisissantes de différentes émotions telles que la joie, la peur, la tristesse ou la fierté qui sont finalement les reflets de son époque mais aussi de son histoire personnelle.
Jérémy Maillet
Retrouvez notre chronique d'exposition http://actuphoto.com/29704-la-premiere-retrospective-de-roman-vishniac-est-a-voir-a-paris.html">
Roman Vishniac
Introduction de Maya Benton
12,5 x 19 cm
144 pages
environ 75 photographies en couleurs et noir et blanc
ouvrage broché
ISBN : 978-2-330-03669-0
Photo Poche n°153
Octobre 2014
Prix : 13 euros