La Bretonne – Ce?cile Lavanant, statisticienne, Cercle celtique Korollerien Laeta, Festival des Gene?ts d’Or, Bannalec (Finiste?re) © Marc Latuillière
La transhumance – Stéphane Chétrit, éleveur de brebis laitières, Artouste, vallée d’Ossau (Pyrénées-Atlantiques)
© Marc Lathuillière
Marc Lathuillière apprend la photographie dans les années 2000 en explorant les mutations des sociétés asiatiques. Marqué par une formation de Sciences Politiques, il développe en France et à l'étranger des projets à dimension anthropologique, immersions dans des cultures autant qu'interrogations sur l'image. Ses travaux, photographiques, installations et performances ont été montrés dans de nombreuses expositions : au Palais de Tokyo en 2004, le Château de Noirmoutier en 2010, le Museum Siam à Bangkok ; et récemment à la galerie Binôme, à Paris à l'occasion du mois de la photo 2014.
L'ouvrage montre donc des portraits sans visages. Les acteurs sont captés fixes ou en action, dans un cadre qui leur est familier selon quatre environnements qui décomposent les chapitres : Au travail – En vacances – A la campagne – Au musée. Ces lieux sont données comme stéréotypes du paysages français, chargés de symbole et de l'imaginaire collectif. Les décors typiquement français sont familiers et rassurants, le corps de l'acteur s'y accorde parfaitement, mais le tout est malmené par la présence du masque. Le visage toujours identique est sans sourire ni colère mais pourtant terrible. Traversant les pages de l'ouvrage il rappelle la condition fragile du paysage authentique, la fausseté du tableau, et crée le malaise.
Sur la plage du Carlton – Christian Toussaint, producteur, avec Melissa Mourer Ordener, actrice, Festival de Cannes (Alpes-Maritimes)
© Marc Lathuillière
Dans la préface, Michel Houellebecq livre son impression et ses réflexions : « Voici donc, au premier abord, une œuvre vouée à une dénonciation sans appel : la France a renoncé à évoluer, elle a décidé de s'immobiliser, de cesser de prendre part à l'évolution du monde, nous sommes tous non seulement touristes dans notre propre pays, mais acteurs du tourismes, les Français dans leur ensemble on accepté de jouer leur rôle de Français pour le plus grand bonheur du tourisme international ».
C'est en effet la question de la mise en scène du paysage français et de la « muséification » de ses territoires qui est posée dans l'oeuvre de Marc Lathuillière. Houellebecq raconte : « j'avais été particulièrement frappé par cette anecdote, se déroulant dans un village provençal de l'arrière pays, où les retraités étaient défrayés d'une petite somme par la municipalité pour mener exactement leur mode de vie habituel, tel qu'il a été entre autres popularisé par les films de Pagnol : partie de pétanque, pastis à la terrasse d'un café ombragé par des platanes ; leur seule obligation un tant soit peu contraignante était d'adapter leurs horaires au passage des cars de touristes étrangers, et d'accepter de se laisser photographier par ces touristes ».
Les vieux gréements – Pascal Février, président des Amis du Sinagot, Régates des bois de la Chaize, Noirmoutier (Vendée)
© Marc Lathuillière
C'est en cela que nait le malaise : Marc Lathuillière dresse le tableau d'une France jouant son propre rôle. Une mise en scène crée pour le regard de l'étranger, la contrainte de demeurer conforme à l'imaginaire, de ressembler à son propre stéréotype ; et Michel Houellebecq y voit ici « une atteinte à la dignité humaine ».
Dans la postface, un entretien de l'artiste mené par Frédéric Bouglé, critique d'art, membre de L'association Internationale des Critiques d'Art - AICA et directeur du Centre d'art Contemporain de Thiers, revient sur l'initiative de « Musée national ». De retour d'un voyage d'un an en Corée du sud, Marc Lathuillière se sent étranger dans son propre pays. Les scènes habituelles sonnent désormais faux, les lieux communs et familiers n'ont plus le même goût.
La viande de qualité – Alain Daire, boucher, Cunlhat (Puy-de-Dôme)
© Marc Lathuillière
« Dans les jours qui ont suivi l’atterrissage, j'ai eu une sensation étrange : mon pays avait disparu. La France, celle que l'on m'avait enseignée, n'existait plus. À sa place, je ne percevais plus qu'une série de cartes postales. [… ] Ces petits tableaux, assez rapidement, j'ai commencé à les voir reliés en un ensemble réellement inquiétant : un long diaporama dans lequel, de rituel en commémoration, le pays, comme un homme avant sa mort, ne cessait de se rejouer son passé.
Sous mes yeux désormais distanciés, la France avait perdu son évidence. Et, partant, sa Face. »
Le compagnon du Tour de France – Yamine Ouarti, apprenti charpentier, Ruvigny (Aube)
© Marc Lathuillière
Projet mené entre 2004 et 2014, le Musée national de Marc Lathuillère évolue dans sa méthode et sa technique. D'abord clichés pressés réalisés « à main levée, et en argentique […] cette démarche a vite trouvé ses limites » et l'auteur y substitue des montages, des compositions préparées sur le long terme.
L'obsession de la mémoire, la dénonciation de l'immobilisme semblent cristalliser une angoisse du temps qui passe et se perd. Marc Lathuillière mène une chasse aux faux-semblants et tente de bousculer l'imaginaire stéréotypé et poussiéreux des territoires français. L'ouvrage sonne à la fois comme un hommage et une mise en garde pour la vie en France.
La société du musée – Jean Lorentz, président, société Schongauer, Musée Unterlinden, Colmar (Haut-Rhin)
© Marc Lathuillière
Musée national de Marc Lathuillière, aux éditions de la Martinière.
Préfacé par Michel Houellebecq.
285 x 245 mm - 216 pages.
49 €
Gwendolina Duval.